Le contenu

Interview croisée: Anouck Jaubert et Bassa Mawem

Quand on parle de vitesse en France, deux noms nous viennent particulièrement à l’esprit: Anouck Jaubert et Bassa Mawem. À eux deux, c’est plus de 8 médailles en coupes du monde cette saison! Voici donc une interview croisée de ces deux champions pour en savoir un peu plus sur leur lutte contre le temps…

– La saison s’est terminée depuis quelques semaines. Pouvez-vous nous faire un rapide bilan de cette année ? Vos objectifs ont-ils été atteints ?

 Anouck: Hormis le championnat du Monde où j’ai fini 15ème suite à une malheureuse zipette, cette année s’est déroulée à merveille. J’espérais monter au moins une fois sur le podium en coupe du Monde et j’ai récolté 6 médailles donc l’objectif est largement atteint. De plus j’ai fait descendre mon record personnel d’une demi-seconde au cours de la saison en passant de 8’’45 à 7’’95. Et surtout j’ai été beaucoup plus régulière dans ma grimpe donc je suis entièrement satisfaite.

Bassa: Je suis vraiment fier de ma saison. Cette année m’a démontré que j’étais capable de…! J’ai pris beaucoup de plaisirs à participer aux compétitions tout au long de l’année. Pris du plaisir à partager les réussites et déceptions avec les 3 équipes (vitesse, bloc et difficulté) sans oublier mes pseudos concurrents russes, ukrainiens, polonais, indonésiens, italiens, tchèque etc… Pris du plaisir aussi à prendre plein de photos avec les spectatrices et spectateurs. Je me souviens d’un jour où j’ai dû mettre au moins 15 min à passer du mur de vitesse à la salle d’échauffement tellement les spectateurs voulaient prendre des photos avec moi. C’était fatigant mais très drôle et flatteur.

À part cela, sportivement ça a été une très bonne saison. Ma meilleure saison. J’avais des objectifs élevés et j’ai réussi à tous les réalisés. Je souhaitais faire le circuit complet, passer sous les 6 secondes et faire un podium. Je me suis qualifié pour toute la saison à la 1er coupe du monde en Chine où j’ai fait 5ème en sachant qu’il fallait faire dans les 5 premiers sur une étape de coupe du monde pour toutes les faire. Je réalise mon premier podium à Arco en Italie avec une belle 2ème place et en réussissant à passer sous les 6 secondes en faisant 5″96 en demi-finale.

À partir de ce moment, tout le reste de la saison allait être du plus. Et pour finir en beauté, sur la dernière coupe du monde je finis 3ème en passant 2 fois sous les 6 secondes. 5″93 en quart de finale et 5″96 en demi-finale.
Retour en France avec le big smile!!!!

– L’équipe de France de vitesse, et notamment vous deux, avez fait de très bons résultats cette saison. Quel a été le déclic ?

A: Selon moi ces bons résultats ne sont pas dus à un déclic mais reflètent un travail sur plusieurs années. Les entraînements nous ont permis non seulement de progresser sur les capacités physiques mais aussi de faire de moins en moins d’erreurs sur la voie. Et en parallèle, on apprend à mieux se connaître au fil des compétitions. Il est plus facile de savoir ce dont on a besoin pour être prêt au bon moment, on a nos petits rituels, on sait comment on fonctionne avec Sylvain (Chapelle) et tout cela est très rassurant !

B: Je ne pense pas être un surdoué de la vitesse. Cette année je me suis beaucoup entraîné et cela a payé. Je ne pourrai pas dire combien de kilomètres de voies de vitesse j’ai sous les bras et combien de visionnages de run j’ai dans la tête mais je peux vous dire UN PAQUET. De plus, les bons conseils du coach de l’équipe de France (Sylvain Chapelle) m’ont aidé à me surpasser et surtout à ne pas commettre les mêmes erreurs. Sylvain a vécu les étapes avec nous. Si vous aviez pu voir les déceptions et surtout la joie sur son visage, vous comprendriez. Un grand merci à lui!!!!!

chap

– Qu’avez-vous changé dans votre façon de s’entraîner pour être encore meilleur ?

 A: Je n’ai pas fait de réels changements mais c’est en jouant sur des petits détails que j’arrive à m’améliorer : modifier certains exercices de renforcement musculaire, changer la préhension d’une prise, poser un pied différemment … Et c’est en se donnant à 100% sur tous les plans que la progression se fait !

B: Rien du tout. Je me suis tout simplement beaucoup plus entraîné.

– Anouck, tu es de plus en plus régulière au fil des années. En 2012 tu étais 12ème au classement général, en 2013 6ème et cette année tu es 3ème. La prochaine saison nous laisse envisager le meilleur…

 A: C’est vrai que jusqu’à présent je m’améliore de saison en saison. Et j’ai bien l’intention de rester sur ce rythme-là ! Cette année, je me suis vraiment sentie toute proche des meilleures… Je suis déterminée à les dépasser et je sais d’ores et déjà ce que je dois travailler pour faire descendre le chronomètre. Mais mes adversaires vont-elles aussi accélérer donc la difficulté sera de progresser plus vite qu’elles !

– Bassa, pour ta première saison complète, on peut dire que c’est plutôt une réussite au vu de tes deux podiums en coupe du monde !

B: Oui c’est effectivement une réussite mais depuis que je me suis mis à la vitesse mon réel objectif est de battre le record du monde. Je m’en approche mais je ne suis pas encore satisfait à 100% de mes performances. Clairement, je ne m’entraîne pas pour m’amuser à faire des 4èmes places. C’était vraiment frustrant car la majorité de mes 4èmes places se sont jouées entre 5 et 10 centièmes de seconde. Excuse-moi pour l’expression mais c’est « de quoi me foutre les boules ».

mt

 – On sent une véritable cohésion de groupe dans cette équipe de France de vitesse. J’imagine que ça aide à se surpasser encore plus ?

A: Bien sûr ! On s’entend très bien dans l’équipe et c’est vraiment motivant de se sentir soutenu. Je pense qu’on se donne mutuellement de l’énergie pour avancer. Et cet environnement favorable est selon moi indispensable à la performance. L’émulation est également présente à l’entraînement et on accueillerait avec plaisir de nouvelles recrues pour l’augmenter !

B: Les bonnes relations dans l’équipe font que nous avons juste à nous concentrer sur l’essentiel durant les étapes. Il est clair que s’il y avait des tensions, le niveau de certains s’en verrait impacté. Ce n’est pas le cas, alors tant mieux. On est tous différents, on a tous un rythme de vie différent mais on respecte les différences de chacun. Ça doit être la clé de notre bonne entente. Le respect réciproque.

 – Quel a été votre meilleur souvenir cette saison ?

A: Mon meilleur souvenir a été ma victoire lors de la coupe du Monde d’Arco. C’était la première fois que j’étais en finale et j’étais totalement libérée pour grimper. J’ai eu de super sensations en grimpant et le moment où j’ai touché le buzzer en sachant que j’étais devant mon adversaire a été un pur bonheur. C’était aussi génial de partager un podium avec Bassa et de pouvoir faire péter le champagne sur le podium !

B: Ma première médaille à Arco! C’était même pas tant la médaille mais plutôt avoir réussi à descendre sous les 6 secondes. Cela met arriver 3 fois cette année en compétition mais jamais à l’entraînement. Mon meilleur temps à l’entraînement est 6″03. La preuve pour moi que ma préparation mentale et gestion de compet sont efficaces, donc à reproduire.

 – Qu’est-ce qui vous a manqué pour encore grappiller quelques centièmes et gratter quelques places au classement général ?

A: Lors des deux dernières étapes, j’ai perdu en finale pour 10 puis 3 centièmes de seconde… Cela se joue donc vraiment sur des petits détails : un genou qui frotte contre le mur, une préhension qu’on a un peu moins bien, une jambe qui tarde à pousser… Il peut y avoir plein de raisons !
Comme on fait les choses très rapidement, il est impossible de tout assurer. Il faut alors minimiser la partie aléatoire en répétant de très (très) nombreuses fois les gestes à l’entraînement.
Je sais que je peux gagner du temps, notamment sur les deux derniers mouvements de la voie où je me suis souvent fait devancer. C’est une section que je vais devoir particulièrement travailler.

B: Personnellement il me manque pas mal de force dans les jambes. J’essaie de les travailler, mais sans en faire trop, car j’ai des genoux en carton.

Gijon (2)

– À quoi pensez-vous juste avant d’entendre le signal de départ ?

 A: Lorsque je me mets en place, je me remémore les actions clés que je dois réaliser dans la voie (pousser fort sur les jambes, tirer sur les bras, mettre de la fréquence, me placer de telle ou telle manière…) tout en essayant de calmer ma respiration. Lorsque le « ready » est prononcé, je me mets en  tension sur les prises et bloque ma respiration pour être prête à bondir. Je suis concentrée pour être réactive au signal de départ et je pense juste à tirer de manière explosive sur les prises puis à me relâcher pour entretenir la vitesse et en créer de manière efficace.

 B: Juste à monter les genoux (conseil du coach) et ça marche!

– Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans l’escalade de vitesse ? Est-ce que tout le monde peut y arriver ?

 A: Tout d’abord je lui dirais d’oser se lancer et de ne pas se préoccuper de ce qu’en pensent les autres ! La priorité est de se faire plaisir ! Et bien souvent quand on commence, on en devient accro : on réessaye, on a envie d’accélérer, de chercher de meilleures méthodes… Et c’est à ce moment qu’on a besoin de bons conseils et qu’il faut savoir s’entourer des bonnes personnes (celles qui veulent la même chose que nous c’est-à-dire qu’on progresse).
Pour réussir, il faut avoir une âme de compétiteur et toujours vouloir aller plus vite que les autres. L’entraînement nécessite une grande détermination, il ne faut pas avoir peur de répéter des centaines de fois un mouvement pour qu’il soit parfait et efficace. Cela sans jamais oublier de prendre du plaisir !
En gros si vous aimez la grimpe, les sensations fortes, la proximité avec l’adversaire et les efforts courts, l’escalade de vitesse est faite pour vous ! Alors n’hésitez plus !

B: De persévérer car l’apprentissage de la discipline est long. Pour moi en s’entraînant, il faut 6 mois pour se faire vraiment plaisir et 1 an et demi /2 ans pour faire des coupes du monde (en s’entraînant!). J’ai encore des vidéos de mes débuts, c’est à mourir de rire! Plus sérieusement, il faut être un vrai compétiteur pour supporter l’entraînement en vitesse. Les compétitions sont le coté plaisir de la saison. Imaginez aller en salle pour toujours grimper sur le même bloc ou la même voie avec comme objectif d’aller toujours de plus en plus vite (ce n’est pas amusant)… En revanche en compet, c’est un réel plaisir de montrer aux autres compétiteurs, au coach et à nous-mêmes que tous nos efforts et notre implication n’ont pas servi à rien!

Chongqing (2)

– Honnêtement, cette voie de vitesse, vous en rêvez la nuit ? 

A: En période de compétition, je fais beaucoup de travail d’imagerie mentale notamment avant de dormir mais je ne me souviens pas avoir rêvé de la voie. En revanche, il m’arrive parfois de me répéter les mouvements dans la tête à des moments totalement hors contexte (en cours ou au volant par exemple).

 B: Ça ne m’arrive pas souvent mais hier j’ai rêvé que j’avais réussi à faire 5 secondes 51 à l’entrainement. En me réveillant j’ai directement envoyé un message au coach (Sylvain Chapelle). Maintenant on va se donner les moyens d’y arriver!!

–  Anouck, si tu devais décrire Bassa en 3 mots, ça serait…?

A: Bon vivant, déterminé et travailleur, parfois un peu tête en l’air (Je sais, ça fait plus de trois mots ^^)

 

– Et toi Bassa, décris-nous Anouck en 3 mots…

B: Bouffeuse 😉 souriante et déterminée

– Maintenant, la suite c’est quoi ?

A: Pour l’instant je suis en repos complet : je n’ai ni compétitions ni entraînements donc j’en profite pour penser à autre chose et me focaliser sur mes études de kiné. Je vais reprendre l’entraînement en décembre pour être au top lorsque la saison internationale recommencera (en avril).

 B: Entraînement…Entraînement…Entraînement et révision…Révision…Révision

– Des remerciements à passer ?

A: Oui, je remercie toutes les personnes qui me soutiennent d’une manière ou d’une autre : ma famille, mes amis, mon entraîneur : Sylvain Chapelle, mon club : Escapilade, la région Rhône-Alpes, le conseil général de la Loire et la mairie de Saint-Etienne. Car c’est bien grâce à eux que j’en suis arrivée là !

B: À la team CLIMBING FAMILLY, Scarpa, Beal, AD Nutrition, Massy et surtout à toutes les personnes qui m’ont aidé à en arriver là, en me soutenant et en prenant le temps de m’assurer. Particulièrement à une ancienne coloc, Cynthia 😉 

Publié le : 22 novembre 2014 par Nicolas Mattuzzi

# Actualités PGInterviewsInterviews et portraits

anouck jaubertbassa mawem