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Solène Amoros: se reconstruire après une blessure

© Coll. Amoros

Il y a quelques jours, vous avez peut-être vu passer sur les réseaux le premier épisode d’une mini web-série intitulée « Résilience« . Il s’agit de l’histoire d’une grimpeuse, Solène Amoros, qui nous partage sans compromis son combat face à sa blessure au genou en juin dernier après une mauvaise chute en salle de bloc. Au travers cette série, vous allez pouvoir vivre avec elle sa reconstruction, ses choix parfois difficiles, et son abnégation à retrouver le chemin de la grimpe de haut niveau.

De notre côté, nous avions déjà beaucoup aimé le teaser, et après avoir vu le premier épisode, nous avons immédiatement contacté Solène pour l’interroger sur cette épreuve qu’elle traverse et qu’elle retranscrit à la perfection en vidéo.


Peux tu te présenter à nos lecteurs, revenir sur tes débuts en escalade, et nous résumer ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai commencé à grimper très tôt, j’avais 8 ans. Je m’y suis rapidement mise à fond: entraînement au pôle France à Aix en Provence, équipe de France jeunes pour terminer en coupe du monde seniors. J’ai arrêté en 2018 ma carrière de compétitrice suite à plusieurs blessures: je ne supportais plus de ne pas être à mon meilleur niveau en compétition, et j’ai préféré me tourner vers le rocher car je parvenais mieux à contrôler  ma forme et à moins me blesser. Mais ce n’était pas du tout à contre coeur car j’ai toujours aimé la falaise depuis mes débuts.

Et puis petit à petit j’ai commencé à faire de belles performance en extérieur. En 2022 j’ai fait une super saison: j’ai enchaîné mon premier 8c+ avec « la flûte en chantier » à la Ramirole. Je me suis également focus sur les grandes voies où j’ai fait quelques belles réalisations en 8B max: « Hotel Supramonte » en Sardaigne ou encore « Alibaba » avec Katherine Choong.

Tu viens de sortir le premier épisode d’une mini web-série qui t’est consacrée. Peux tu nous la présenter ?

Effectivement, on lance un projet de web-série avec mon sponsor Black Diamond. L’idée c’est de documenter ma reconstruction personnelle d’un point de vu physique mais également mental après ma blessure en juin dernier. C’est important pour moi d’aborder ce volet du mental dans chaque épisode. La blessure chez le sportif ça reste encore tabou, et l’objectif ici c’est de montrer ce qui se passe vraiment pendant ces longs mois de rééducation. Pour moi, ça va durer un an, on va montrer une année de ma vie, les hauts et les bas, mes progrès, ma réflexion, mes questionnements, etc…

Qu’est-ce qui t’a motivé à parler de ton histoire personnelle ? Est-ce que c’est aussi un moyen de passer à autre chose ?

Oui tu as raison, c’est d’abord un travail personnel, ça m’aide à avancer et à passer à autre chose. C’est une vraie introspection: pourquoi je fais ce sport, qu’est-ce que j’aime dans ce sport, est-ce-que j’ai envie d’y retourner, comment j’ai envie d’y retourner… Ça me tient à coeur de partager ça. J’ai eu beaucoup de blessures dans ma vie: d’un côté ça a forgé mon caractère, et en même temps c’est quelque chose que j’ai encore du mal à accepter, j’ai parfois honte. Je ne veux pas être connue comme la grimpeuse tout le temps blessée, je veux que les gens se souviennent de moi autrement. À chaque nouvelle blessure c’est tabou, clairement, et du coup cette fois j’ai envie de parler de ça face caméra, ouvertement. Je veux aller piquer là où ça fait mal chez moi. Ça me fait peur d’en parler, je ne l’assume pas, mais c’est un défi d’aller renverser ce sentiment de honte qui m’habite.

« Alibaba », l’une des grandes voies les plus connues de France © Mélanie Cannac

De combien d’épisodes est composée la série et qu’allons nous voir ensuite ?

Je me suis blessée en juin 2023, et on va me suivre jusqu’en juillet 2024. Ce sera divisé en 5 épisodes d’une dizaine de minutes qui vont chacun abordé chronologiquement une période de ma vie.

Dans ce premier épisode on voit la phase la plus difficile, celle où j’ai eu beaucoup de doutes. La chirurgie n’était vraiment pas simple, et on essaye de retranscrire ce que j’ai vraiment vécu. Sur les autres épisodes, on verra comment se passe ma rééducation, avec progressivement la reprise de la grimpe, mais aussi beaucoup de face caméra concernant la partie psychologique qui joue un rôle énorme dans ce parcours du combattant.

Aujourd’hui ou en es-tu par rapport à cette blessure ?

J’en suis à 7 mois et demi depuis le jour de ma blessure. Je viens de passer le mois de janvier au CERS (Centre Européen de Rééducation du Sportif) à Capbreton: je fais de la rééducation toute la journée et je commence à être un peu plus solide sur mes jambes. Je n’ai pas le droit de courir, mais je peux sautiller par exemple. J’ai repris la grimpe aussi, tout doucement en moulinette, ça m’a fait vraiment trop plaisir.

Quels conseils peux-tu donner aux jeunes grimpeurs qui seraient face à une blessure ?

Si je devais donner un conseil aux jeunes: c’est d’être conscient que c’est normal que ce soit dur. Plus on cache ses émotions, plus on les refoule, moins on va rebondir derrière. Il faut accepter d’être mal, de souffrir pour revenir plus fort. Attention à ne pas revenir trop vite: il m’est arrivé de vouloir revenir trop tôt, notamment en compétition, mais ça peut être dangereux et contre productif. Il faut se méfier, repartir doucement pour devenir plus fort plus tard. C’est très important de s’écouter, de se faire confiance, et ne pas hésiter à chaque entraînement de se poser les bonnes questions: est-ce que je fais les choses bien, est-ce que je n’en fais pas trop, ou pas assez? Ce sont des questions compliquées à se poser, mais nécessaires pour pouvoir aller mieux, s’écouter, et revenir plus fort.

Quels sont tes prochains projets/objectifs ?

Déjà reprendre tout doucement le footing, c’est une étape importante pour refaire des marches d’approche en falaise ou pouvoir me rendre en expédition en grande voie et autres bigwalls. À moyen terme j’aimerai aller grimper à vélo, et même si c’est ambitieux j’aimerai refaire du 8c en 2024, cet automne c’est envisageable je pense. Et puis j’aimerai planifier un voyage, faire quelque chose qui a du sens et qui me motive à bosser à fond sur ma rééducation.

Le mot de la fin ?

J’aimerai remercier toutes les personnes qui m’ont accompagnées dans cette épreuve. Allez voir ma web-série, n’hésitez pas à partager et à me faire des retours constructifs. Plus on aura de la visibilité, plus on pourra s’améliorer sur la prod de note côté. Merci encore de votre soutien, et à très vite sur les falaises !

Ah, et j’aimerai aussi ajouter que c’est la première fois que je communique sur autre chose que de la performance sportive. Et en fait en y réfléchissant, je me rends compte que revenir d’une blessure pareil, c’est un énorme projet avec beaucoup de rigueur et d’investissement. C’est être tous les jours à fond, comme un projet sportif, et j’ai envie de mettre ça en avant. C’est une autre aventure, malgré moi, mais c’est une aventure quand même et je dois assurer car je fais le choix de reprendre l’escalade et de revenir à haut niveau. Ça m’anime énormément, là je repense au moment où je serai sur une falaise, libre et sans penser à mon genou, c’est l’image que je visualise tous les jours.

Publié le : 21 janvier 2024 par Charles Loury

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