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Interview : comment Jakob Schubert a-t-il réalisé la plus belle année de sa carrière ?

© Michael Piccolruaz

Les mots nous manquent pour décrire l’année 2023 qu’a vécue Jakob Schubert. Pour résumer, l’Autrichien de 33 ans a remporté non pas un mais deux titres de champion du monde, décroché l’un des précieux tickets pour participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024, signé la première ascension du troisième 9c du monde en direct sur Youtube, puis, enchaîné le désormais célèbre 9A bloc « Alphane ».

Schubert avait commencé à travailler « Alphane » à la fin de l’année 2022. Ensuite, la saison des compétitions internationales a démarré et l’Autrichien n’a pu faire que de courtes séances dans le bloc. « Je n’étais jamais sûr de la méthode à utiliser et je n’avais jamais l’impression de progresser. J’ai commencé à douter de pouvoir enchaîner ce bloc un jour », nous a-t-il confiés.

Mais en grand guerrier, Schubert n’a rien lâché ! Alors qu’il était prêt à remballer ses affaires en cette journée du 20 décembre, il a décidé de mettre un dernier essai. « Ça a été une vraie surprise ! Ce fut aussi un très gros combat et une expérience incroyable », décrit-il.

En enchaînant « Alphane » 9A, Schubert est devenu le grimpeur le plus accompli de l’Histoire, ayant réalisé un 9c, un 9A, et remporté deux titres de champion du monde ainsi que sa place pour les Jeux Olympiques. Et tout cela, en seulement quelques mois !


Salut Jakob, tout d’abord comment vas-tu ? As-tu passé de bonnes fêtes de fin d’année ?

Je vais très bien, merci beaucoup ! Oui, j’ai passé de bonnes fêtes de fin d’année, j’ai pu profiter de ma famille et fêter le 31 comme il le fallait. Depuis quelques années, je reste à la maison pour les vacances de Noël, avec ma famille et ma petite amie. À l’époque, à cette période de l’année, j’allais toujours en Espagne, pour grimper à Oliana ou ailleurs en Catalogne. Donc cette année, j’étais chez moi, et je me concentrais déjà sur l’entraînement pour préparer la saison 2024.

En parlant de fin d’année, tu as clôturé 2023 de la plus belle des façons, en enchaînant « Alphane » 9A. Parle-nous de cette performance.

Oui, faire « Alphane » à la fin de l’année a vraiment été quelque chose d’extraordinaire ; c’était mon dernier grand objectif de 2023. Ça me tenait vraiment à coeur de faire ce bloc cette saison, parce que ces douze derniers mois ont été si spéciaux pour moi ! Je suis vraiment fier de tout ce que j’ai accompli, et je voulais clôturer cette année en beauté !

« Alphane » est un bloc vraiment incroyable, il m’a fallu beaucoup de temps pour progresser et m’améliorer. D’une certaine manière, je me suis senti à l’aise dès le début, notamment dans les premiers mouvements, que j’ai bien assimilés dès mes premières séances. Tout ce dont j’avais besoin, c’était d’une bonne journée et de bonnes conditions, parce que dès j’ai commencé à mettre des runs corrects depuis le bas, subitement, la météo est devenue capricieuse.

© Michael Piccolruaz

Raconte-nous le jour où tu as enchaîné le bloc. Te sentais-tu particulièrement en forme ? Qu’est-ce qui a fait la différence selon toi ?

Oulaaa ! Le jour où j’ai enchaîné le bloc, tout partait plutôt mal ! Je m’étais dit : « Aujourd’hui, je vais le faire », mais dès que j’ai posé mes doigts dedans, j’ai eu l’impression que c’était pire que mes fois précédentes, notamment parce que les conditions étaient un peu trop sèches pour moi. Pendant cette journée, j’ai mis beaucoup d’essais médiocres, et j’étais à deux doigts d’abandonner, je me demandais déjà si je devais me reposer le lendemain ou revenir essayer. Cependant, j’ai décidé de mettre un dernier essai et (ne me demande pas comment !), j’ai réussi à atteindre le sommet, alors même que quelques minutes avant, j’étais prêt à remballer mes affaires ! Ça a été une vraie surprise ! Ce fut aussi un très gros combat et une expérience incroyable.

Dans ton post Instagram, tu as dit que le travail de ce bloc avait été une véritable montagne russe et que tu avais failli abandonner. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Oui, la première fois que j’ai essayé ce bloc, c’était fin 2022 et je me suis senti très bien les premiers jours. En fait, en voyant la vidéo du bloc pour la première fois, j’ai su tout de suite que je voulais l’essayer. Il collait parfaitement à mon style ! J’aime les blocs où il ne s’agit pas d’un seul mouvement extrême mais plutôt d’enchaîner les mouvements entre eux, c’est plus amusant à essayer.

J’ai fait plusieurs voyages dans le Tessin, mais je n’y suis jamais resté longtemps : j’y allais deux jours, puis je restais un mois sans y aller, avant d’y retourner deux jours, etc etc… Ce qui fait que j’ai vraiment stagné ou même régressé dans le bloc. Je n’étais jamais sûr de la méthode à utiliser et je n’avais jamais l’impression de progresser. J’ai commencé à douter de pouvoir enchaîner ce bloc un jour et je pense qu’à l’automne, si je n’avais pas mis de bons runs lors de mes deux voyages suivants, j’aurais peut-être abandonné.

J’ai pris la bonne décision de faire une semaine complète là-bas, et je pense que ces cinq jours ont été déterminants, notamment pour retrouver la confiance dont j’avais besoin et croire à nouveau en moi, au fait que je pouvais l’enchaîner.

© Michael Piccolruaz

Au total, combien de fois es-tu allé à Chironico pour travailler ce bloc ?

Je ne suis même pas sûr de pouvoir répondre à cette question avec précision parce que comme je te le disais, j’ai fait plusieurs petits voyages. J’ai d’abord fait un petit voyage de deux jours lorsque j’ai essayé le bloc pour la première fois, puis nous avons voulu faire un voyage plus long au début de l’année 2023. Je me souviens que nous sommes allés au Tessin le 1er janvier 2023 pendant dix jours, mais la météo avait été terrible et le bloc était trempé ! Je n’avais pas pu beaucoup grimper dedans, mais j’avais quand même mis quelques essais. Puis j’ai fait deux ou trois autres voyages de deux jours au printemps ou à la fin de l’hiver.

Cette saison, j’y suis retourné trois fois avant de l’enchaîner, donc oui, on peut dire que j’y ai consacré pas mal de temps. C’est toujours difficile de travailler un bloc en extérieur quand on se prépare aussi pour la saison des compétitions, parce que je n’ai jamais pu y consacrer plus de quelques jours consécutifs… Au final, je pense que j’ai passé près de 20 jours à le travailler, en comptant même les très mauvais jours.

Enchaîner « Alphane » t’a-t-il donné envie d’essayer d’autres 9A bloc ?

Oui, sans aucun doute ! Et je ne parle pas seulement des 9A bloc ou des voies en 9c, j’ai juste envie d’essayer beaucoup plus de choses difficiles à travers le monde. J’aime toujours me dépasser et encore une fois, « Alphane » est un bloc que j’ai vraiment, vraiment aimé travailler, pas seulement parce qu’il vaut 9A, mais avant tout parce qu’il m’a poussé dans mes retranchements, il m’a rendu plus fort, et j’ai appris beaucoup de choses. C’était un bloc vraiment cool à travailler et j’espère pouvoir trouver un autre 9A ou 8C+ qui me mette autant au défi. Je ne cherche qu’une chose : être un grimpeur très complet. Je ne pense pas que j’excelle dans un seul style, je pense que ma force réside dans le fait que je peux presque tout faire assez bien. Alors maintenant, j’aimerais me défier sur d’autres styles et dans d’autres 9A.

© Vladek Zumr

Cette année 2023 a tout simplement été majestueuse pour toi ! Tu as remporté deux titres de champion du monde, gagné ta place pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, clippé le relais de « B.I.G. » 9c et enchaîné « Alphane » 9A ! Arrives-tu as réalisé tout ce que tu as accompli en quelques mois ?

Oui, je suis vraiment très, très fier de ce que j’ai accompli cette année ! Je ne comprends pas vraiment comment, alors que je viens tout juste d’avoir 33 ans, je passe la meilleure année de ma vie… C’est vraiment incroyable ! Cela me rend encore plus enthousiaste et motivé pour essayer de réitérer une telle année. Il est évident que ce que j’ai fait sur la scène internationale est déjà très bien et qu’il sera très difficile de le répéter. Cependant, je pense qu’après les Jeux Olympiques, j’aurai beaucoup plus de temps pour me concentrer à des projets encore plus ambitieux comme « B.I.G. » et « Alphane ». Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de savoir si cette année s’est bien passée et si elle a été couronnée de succès, mais aussi à quel point elle a été amusante et combien d’expériences formidables j’ai vécu. J’ai eu beaucoup de chance avec « B.I.G. » et « Alphane », car ce sont des projets extraordinaires sur lesquels je me suis beaucoup amusé et j’ai beaucoup appris. Je suis vraiment très fier de cette année 2023 !

Tu es le seul grimpeur au monde à avoir atteint la plus haute difficulté à ce jour en bloc et en difficulté. Qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Cela signifie beaucoup pour moi. Mon objectif a toujours été de ne pas me contenter de gagner une compétition ou un championnat ou de grimper une voie très difficile, mais d’essayer d’être le meilleur grimpeur possible. Peu importe ce que mon corps, ma forme physique, ou ma forme psychologique peuvent me donner, je cherche toujours à en tirer tout le potentiel. Pour moi, il a toujours été clair que si je voulais être le meilleur grimpeur possible, je devais réussir à la fois en bloc et en difficulté. Le fait d’avoir réalisé un 9A bloc et une voie en 9c montre au monde entier que je suis assez bon dans les deux disciplines et j’en suis plutôt fier.

© Moritz Klee

Si je t’avais dit il y a un an jour pour jour que tout cela arriverait, y aurais-tu cru ?

Probablement pas, mais je dirais quand même que je suis une personne très ambitieuse et que j’avais de très grands objectifs pour cette saison. Je ne pensais vraiment pas les atteindre tous, mais en même temps, en tant qu’athlète, il est très important de croire en soi, d’avoir confiance en soi. J’ai donc essayé de croire en moi et de penser que je pouvais réaliser tous ces objectifs.
Je me pensais vraiment capable d’enchaîner « B.I.G. » ou « Alphane », mais gagner les deux titres de champion du monde, je ne pense pas que je t’aurais cru si tu me l’avais dit en janvier 2023. Le combiné, en particulier, a nécessité beaucoup d’efforts de ma part. Il y a tellement de grimpeurs forts sur la scène internationale maintenant… Mais c’est aussi ce qui me motive et me pousse à travailler encore plus dur, pour essayer de faire aussi bien aux Jeux Olympiques.

J’imagine que ton début d’année 2024 va être consacré à ta préparation olympique. Comment te sens-tu à quelques mois des Jeux ?

Pour l’instant, j’ai terminé mes principaux projets en extérieur et je me concentre afin de me préparer au mieux pour les Jeux Olympiques. J’espère toujours pouvoir faire un peu de bloc au Tessin, mais ce ne sera que de courts séjours. Mon objectif principal est maintenant d’être dans la forme de ma vie au mois d’août, pour les Jeux Olympiques de Paris. Je suis confiant dans mes capacités en difficulté, mais j’ai encore beaucoup de progrès à faire en bloc… J’essaie donc de travailler sur mes points faibles. Pour l’instant, je me sens bien et je suis impatient de m’entraîner encore plus fort. Je suis impatient de travailler comme un fou et d’essayer d’être vraiment fort pour Paris. Il reste encore un peu de temps, alors pour l’instant, je ne suis pas encore très nerveux.

© IFSC

As-tu déjà d’autres projets pour la suite ?

Je ne suis pas vraiment le genre de personne qui planifie trop de choses à l’avance. Pour l’instant, je sais que mon grand, grand objectif est d’aller à Paris et d’essayer de remporter une nouvelle médaille olympique. Ensuite, à l’automne, j’espère vraiment avoir le temps de retourner à Majorque pour faire du deep-water. La dernière fois que j’y suis allé, j’ai vraiment, vraiment adoré et je pense qu’il y a encore beaucoup de potentiel pour des voies plus difficiles là-bas. J’aimerais également enchaîner une autre voie difficile ou essayer de répéter « DNA » (une voie qui me tient particulièrement à coeur). Mes plans ne vont pas vraiment plus loin que ça… Tout ce que je sais, c’est qu’il y a tellement de voies, de blocs et d’endroits où je veux aller… C’est ce qu’il y a d’extraordinaire avec l’escalade, on n’est jamais à court d’objectifs !


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