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Voyage au centre du Japon : Micka Mawem nous raconte son séjour à Tokyo.

- Le 08 février 2023 -

Micka Mawem a vécu une expérience enrichissante au Japon, et nous raconte.

Faire face aux blocs les plus durs de la planète, se mesurer aux meilleurs grimpeurs de la discipline et s’immerger au coeur d’une culture bien différente de la nôtre: Mickaël Mawem a décidé de démarrer cette année 2023 sur les chapeaux de roues, à l’image de cette saison sportive où les enjeux qui l’attendent sont énormes. C’est en effet dans quelques mois que seront attribuées les premières places olympiques pour Paris 2024. L’objectif ultime du cadet de la fratrie Mawem.

Alors, le 1er janvier, à l’heure où tous les Français se prenaient dans les bras pour échanger leurs vœux, Micka était déjà sur les tapis, chaussons aux pieds, mains recouvertes de magnésie, prêt à mettre un nouvel essai dans un bloc, à 9700 kilomètres de nous.
Sortir de sa zone de confort, vivre de nouvelles aventures, se confronter à des situations inédites, grimper avec des personnes différentes. « C’est la base de l’escalade de bloc », explique Micka, faisant référence à la diversité infinie de notre sport. Pour ces raisons, le Français de 32 ans a atterri le 26 décembre 2022 à Tokyo, l’endroit même où seize mois plus tôt il décrochait la 5ème place aux premiers Jeux Olympiques d’escalade de l’histoire.

Mais bien que Tokyo lui rappelle des moments inoubliables de son aventure olympique, gravés à vie dans sa mémoire, ce n’est pas pour cette raison qu’il a décidé d’y débuter l’année. Alors, pourquoi avoir choisi le Japon comme lieu de stage pendant trois semaines ? « Tout simplement parce que le niveau est très haut là-bas », répond Micka. « Je voulais me confronter aux blocs les plus difficiles du monde et repousser mes limites mentales. Et c’est à Tokyo, notamment dans la salle B-Pump, que l’on retrouve les tracés les plus extrêmes de la planète ».

Son principal objectif était donc de s’immerger au beau milieu de la culture asiatique et se mesurer aux grimpeurs japonais, connus et reconnus pour être les meilleurs bloqueurs au monde. « Je voulais me rendre compte des capacités que je devais développer pour faire partie des meilleurs. Car ce n’est un secret pour personne : les grimpeurs japonais sont les meilleurs. L’idée était donc de voir comment ils s’entraînent et me faire une idée de leur niveau réel, de là où je dois arriver pour être aussi forts qu’eux à l’international. Et puis, ça me permet aussi d’amener de la nouveauté dans mon entraînement, de casser ma routine, de m’adapter et de découvrir les manières de faire d’une autre culture », poursuit Micka.

Le membre de l’équipe de France avait planifié ce stage il y a bien longtemps de cela, avec l’approbation de son frère et entraîneur, Bassa. Après son arrivée en terre asiatique, Micka s’est laissé quelques jours pour se reposer du voyage et s’accoutumer au décalage horaire. « J’ai pu profiter un peu et faire du tourisme. J’ai visité Tokyo et les alentours, et goûté à la cuisine japonaise. Par le passé, j’avais déjà eu l’occasion de me rendre à Tokyo lors de compétitions internationales, mais je n’avais jamais eu le temps de visiter ou de profiter de la culture locale. Mes premiers jours sur place ont donc été idéaux pour cela », raconte Micka.

Lors des premiers jours sur place, Micka a pris le temps d’apprécier la cuisine locale.

Mais le 1er janvier 2023, changement d’ambiance. Fini la villégiature et l’acclimatation, il était temps pour le grimpeur olympien de se lancer corps et âme dans l’entraînement. Et surtout, d’aller chercher les réponses aux questions qui l’avaient conduit jusqu’ici, au cœur de la capitale japonaise. Durant deux semaines, Micka s’est entraîné quasiment quotidiennement, dans l’une des meilleures salles du pays. Pour l’épauler, il a été rejoint par Florian Bourdon, le chef ouvreur de la salle d’escalade Les Frères Mawem, récemment acquise par les deux frères, dans leur région d’origine à Colmar. « C’est un véritable soutien à l’entraînement » confie Micka à propos de son ami Florian. « Il m’accompagne quand je pars en stage sur plusieurs jours dans d’autres villes ou d’autres pays. Il est là pour me pousser, pour me donner des conseils, pour me filmer, pour être les yeux dans mon dos. Et comme c’est lui qui m’ouvre les blocs chez moi, c’était très important qu’il soit au Japon avec moi, afin qu’il voit lui aussi le niveau et le style de ce qui se fait là-bas, pour ensuite pouvoir le mettre en place dans notre salle », affirme-t-il.

En effet, à peine un mois après les Jeux Olympiques de Tokyo, Bassa et Micka Mawem reprenait une salle privée de Colmar et la rebaptisait de leur nom, devenu une véritable marque dans le milieu de l’escalade. La salle d’escalade Les Frères Mawem, c’est un antre de 1500 m², dédié à la grimpe sous toutes ses formes, au coeur de l’Alsace. On y retrouve la possibilité de pratiquer les trois disciplines de l’escalade au même endroit : du bloc, de la difficulté et de la vitesse. Un repère, qui allait devenir leur lieu d’entraînement pour l’aventure olympique de Paris 2024, et qui marquait l’aboutissement d’un projet sur lequel les deux frères travaillaient depuis près d’une dizaine d’années.

Mais revenons à Tokyo. Durant son séjour sur place, Micka Mawem a eu la chance de partager des séances d’entraînement avec quelques-uns des meilleurs grimpeurs du pays, habitués aux finales mondiales. Pour ne citer qu’eux : Yoshiyuki Ogata (numéro 1 mondial en 2022), Kokoro Fujii (numéro 3 mondial) ou encore Tomoaki Takata (numéro 16 mondial). Mais ce qui a choqué le plus notre Français, c’est avant tout la densité de très fort grimpeurs japonais. Pas seulement les athlètes sélectionnés en équipe nationale comme ceux mentionnés plus haut, mais globalement tous les grimpeurs qui franchissent les portes des salles du coin. « Les grimpeurs amateurs là-bas sont très, très forts ! », souligne Micka. « Si tu rentres dans une salle japonaise un soir et que tu prends les 40 meilleurs de la salle, je pense qu’ils finissent tous dans les 50 premiers du Championnat de France. Leur niveau est incroyable ! Même leur façon d’appréhender une séance est stupéfiante. Ils font tous de l’après-travail, et sont à fond dans l’analyse. D’ailleurs, l’une des choses qui m’a le plus surpris, c’est que tout le monde se filme, pour ensuite analyser les images de leur performance. Et même les débutants ! Leur rigueur est dingue : ils se fixent un objectif, ils choisissent un bloc et ils persévèrent, jusqu’à y arriver. Tu ne vois pas un seul japonais courir dans tous les blocs, ou faire une séance de volume. Non. Ils arrivent à la salle, ils s’échauffent et ensuite ils travaillent un bloc. Et ils y restent, deux, trois, quatre, cinq heures s’il faut… C’est assez incroyable ! », répond Micka quand on lui demande ce qui l’a le plus surpris là-bas. « C’était super enrichissant de partager des moments avec tous ces grimpeurs », poursuit-il.

Des moments riches en partage et en échange, tout ce dont Micka était venu chercher au Japon.

Mais alors comment expliquer une telle domination ? Pour notre Français, l’une des premières raisons est liée à leur génétique : « Ils ont globalement une morphologie parfaitement adaptée à l’escalade ; ils sont légers, pas trop grands ni trop petits et souples. J’ai été impressionné par les enfants là-bas. J’ai vu des gamins de 4 ans faire leur première séance d’escalade, et leur niveau de départ était juste dingue ! Ils avaient une faculté à intégrer les mouvements, à se déplacer sur le mur, à tomber correctement… C’est comme si c’était ancré en eux. Tu te rends compte à ce moment-là qu’ils sont élevés différemment ».

Mais les facteurs génétiques ne sont pas les seuls aspects qui expliquent le niveau incroyable des grimpeurs japonais. Leur rigueur dans l’entraînement et leur capacité à persévérer dans des blocs au-dessus de leur niveau les rend redoutables. « Vous vous demandez pourquoi ils sont si forts ? Pour la simple et bonne raison qu’ils forcent tout le temps ! » s’exclame Micka. « Là-bas, les blocs les plus durs de la salle valent 8C en extérieur. Et les gens les travaillent, encore et encore. Du coup, tu comprends pourquoi, lorsqu’ils arrivent en compétition ils ne sont pas du tout efficaces, car ils enchaînent les essais. Mais par contre, ce sont des essais constructifs. Et ils ont tellement l’habitude de travailler des blocs durs à l’entraînement, que quand ils sont en compétition, les blocs leur paraissent plus faciles. C’est un peu comme Jakob Schubert en difficulté, les compétitions ne sont pas dures pour lui parce qu’il a tellement l’habitude de travailler sur des trucs encore plus durs à l’entraînement, qu’il encaisse facilement trois ou quatre voies d’un niveau mondial lors d’un week-end de compétition ».

Les limites de ce que je pensais possible en salle sont bien plus hautes que ce que j’imaginais.

Micka Mawem

Une force d’esprit, mais aussi une force physique. Si le petit frère Mawem ne s’est pas senti dépaysé par le style des blocs japonais par rapport au style français, il avoue avoir été bluffé par les capacités physiques des nippons : « Leur faculté à tenir les prises est juste hors normes ! Quand chez nous une prise fait 1 centimètre, chez eux, elle fait 5 millimètres. Quand un plat chez nous est incliné à 30°, chez eux, il est à 10° ». Physiquement, tout est plus exigeant au Japon, et les grimpeurs locaux semblent être imprenables dans les blocs déversants ou purement physiques. Pourtant, Micka Mawem n’est pas le dernier quand il s’agit de force. Il est particulièrement reconnu pour inclure beaucoup de physique dans ses entraînements. Mais le Français reste implacable : « En terme de force pure, il n’y a rien à voir… Les Japonais sont bien au-dessus ». En revanche, quand les profils deviennent plus verticaux, voire dalleux, les Asiatiques semblent moins en l’aise. Micka le confirme : « J’arrivais à faire des blocs en dalle facilement à l’échauffement ou alors j’arrivais à les répéter plusieurs fois consécutivement quand eux étaient plus en difficulté ».

Quand il s’agit de faire parler la force, Micka n’est pas en reste. Toutefois, il a été épaté par le niveau physique des Japonais.

D’une manière générale, le Japon connaît le même boom lié aux salles d’escalade qu’en France. On n’en dénombre plus de 600 dans tout le pays, dont plus d’une centaine dans la capitale à elle seule. À Tokyo, l’escalade est un sport très grand public, qui fait de plus en plus d’adeptes. « Il n’y a pas de très grandes salles, par contre il y a plein de petites salles, à la hauteur de la taille de leur salle de bain d’ailleurs ! », plaisante Micka. « Ce sont de petites structures, pas très grandes, où les murs ne sont pas très hauts. D’ailleurs, ce ne sont « que » des salles d’escalade, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de bar, pas de restaurant, ni de services annexes. Si tu veux boire un café ou manger quelque chose, il faut sortir et aller ailleurs. Quand tu rentres dans une salle d’escalade au Japon, c’est pour grimper et grimper seulement ».  

Ça m’a mis un bon coup de pied au cul pour réaliser à quel point il allait falloir être fort cette saison

Micka Mawem

En revanche, d’après Micka, nous n’avons rien à envier à nos voisins asiatiques en ce qui concerne la qualité des ouvertures. « Ce n’est vraiment pas terrible », commente le Français, habitué au style exigeant de nos tracés en France. « Chez nous, on a vraiment la capacité à faire des choses complexes, vraiment plus techniques et exigeantes en terme de gestuelles. Eux jouent moins sur la complexité », explique-t-il. « Il y a une ou deux salles qui sortent du lot, comme B-Pump, où c’est un peu plus complet, un peu plus technique, mais les autres salles ce n’est pas tout le temps ça… Je ne suis d’ailleurs allé que dans deux salles seulement durant mon séjour, je n’ai pas eu besoin de faire plus. »

Il faut dire que B-Pump est la Mecque du bloc japonais. Difficile d’aller ailleurs quand on a déjà franchi les portes de cette salle de bloc. Ce n’est autre que la plus grande salle du Japon, qui s’étend sur trois étages. Un véritable mastodonte de l’escalade indoor. De plus, elle comporte un espace dédié au haut niveau, où s’entraîne régulièrement l’équipe nationale, qui souhaite retrouver des situations de compétition.

Micka Mawem prend la pose dans la salle B-Pump de Tokyo.

Mais même si Micka partageait quelques séances de grimpe avec les meilleurs de la discipline, il affirme que leurs sessions d’entraînement restent quand même très individualistes. Il explique : « Ils viennent grimper ensemble, au même moment, dans la même salle, mais après chaque grimpeur fait son bloc. Là-bas, chacun se focalise dans un bloc « projet ». Ils le travaillent, sans trop bouger tant qu’ils ne l’ont pas enchaîné. Ils se partagent très peu de sessions d’entraînement ensemble finalement, c’est très rare dans leur culture. J’en ai fait qu’une où l’on a vraiment partagé la session entière de grimpe, mais en fait c’est parce qu’un nouveau secteur venait d’être ouvert, donc tout le monde grimpait au même endroit ».

De retour en France, Micka Mawem avoue avoir eu du mal à se remettre de ce périple asiatique, tant physiquement que mentalement. « Je commence seulement à me sentir mieux. La semaine dernière était encore bien difficile. J’ai eu du mal à récupérer du décalage horaire, parce que dès que je suis rentré, j’ai rattaqué le boulot directement. J’ai accompagné des jeunes sur une compétition, puis j’ai enchaîné sur un stage équipe de France, c’était bien fatigant », confie-t-il.

En revanche, notre Français est revenu au pays plus motivé que jamais. Interrogé sur ce qu’il retenait principalement de ce stage au Japon, il répond spontanément : « C’est simple : les limites de ce que je pensais possible en salle sont bien plus hautes que ce que j’imaginais. Ça me permet donc d’encaisser mes séances avec encore plus de motivation, et je me dis qu’il n’y a rien d’impossible. Quand tu te confrontes à un bloc et que tu te dis que ce mouvement n’est pas faisable, en fait, si, dis-toi qu’à l’autre bout du monde les Japonais sont en train de le faire ».

Micka ne se met donc plus aucune limite dans son entraînement. « Ça m’a mis un bon coup de pied au cul pour réaliser à quel point il allait falloir être fort cette saison, qui arrive très vite ! », s’exclame-t-il. Ces prochaines semaines s’annoncent donc bien intenses pour notre Français. Tout d’abord, il s’alignera au départ du Championnat de France de bloc, les 25 et 26 février à Valence. Bien qu’il n’ait jamais remporté cette compétition, il ne la considère pas comme une échéance majeure. Lui vise plus grand.

Micka Mawem avait fait rêver des milliers de Français en finale des Jeux Olympiques de Tokyo 2020.

Son objectif principal est de décrocher sa place pour participer aux Jeux Olympiques de Paris 2024, où il espère cette fois-ci remporter une médaille. Lors des derniers J.O d’été, dans lesquels l’escalade faisait sa première apparition au programme olympique, Micka avait brillé. Il avait trusté la première place des qualifications, s’élançant en tant que grand favori lors des premières finales olympiques de l’Histoire. Suivi par des milliers de téléspectateurs, notre Français espérait rééditer son exploit en finale. Il n’est pas passé loin. Premier ex-aequo après les deux premières épreuves (la vitesse et le bloc), Micka a craqué dans l’ultime épreuve, la difficulté, décrochant finalement la cinquième place du combiné. Mais il le sait, le combat sera encore plus dur pour Paris 2024 :« Premièrement, il y a déjà beaucoup plus de concurrence en France. Deuxièmement, le format change par rapport à Tokyo 2020. Durant ces cinq dernières années, je misais sur le bloc et la vitesse, mais maintenant ce sera un combiné bloc/difficulté, j’ai donc pas mal de boulot pour arriver au niveau international dans les deux disciplines », annonce-t-il.

Micka aura une chance de se qualifier pour les Jeux Olympiques lors des Championnats du Monde d’escalade qui se tiendront à Berne, en août 2023. Pour décrocher son précieux sésame, il se préparera au mieux lors de toute la saison des Coupes du Monde, où il vise la régularité dans sa grimpe et la participation à des finales. Il le sait, le chemin pour arriver au podium olympique est énorme. Mais c’est ce qui le fait vibrer, chaque jour : « C’est la première chose à laquelle je pense chaque matin en ouvrant les yeux ! », termine-t-il.