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Rencontre avec Jorge Diaz-Rullo : l’avenir de l’escalade en falaise

© Adri Martinez / Liqen Studio

A 23 ans seulement, Jorge Diaz-Rullo compte parmi les meilleurs grimpeurs au monde. Depuis bientôt 5 ans, il ne cesse de faire parler de lui avec des performances de plus en plus spectaculaires en falaise. Cet amoureux de la nature nous a donné envie de se pencher sur son parcours. Il a gentiment accepté de répondre à nos questions alors qu’il achevait une impressionnante liste de croix à Margalef. Sur deux années, il réussit à valider une 9b+ (« Mejorando la Samfaina »), deux 9b (« Café solo » et « The full journey »), huit 9a+, un 9a cinq 8c+ et un 8c. L’espagnol n’en est qu’au commencement de sa carrière de grimpeur déjà bien remplie.

Commençons par le commencement, peux-tu nous parler un peu de tes débuts en escalade ?

La première fois que j’ai essayé l’escalade, c’était quand j’avais 12 ans. A cette époque, je n’étais pas très attiré par ce sport mais mon frère m’a convaincu. Un jour il m’a emmené dans une petite association du quartier de Madrid où j’habite pour grimper sur un petit pan. J’y suis allé de plus en plus régulièrement au point d’être totalement accro et ne plus penser à rien d’autre. J’ai commencé à prendre ce sport plus au sérieux vers mes 15 ans. Je m’entraînais pour la compétition et, en parallèle, je sortais de plus en plus en extérieur. Je travaillais beaucoup de projets à l’étranger : c’est ce que j’ai toujours le plus affectionné.

Quels sont les grimpeurs qui t’inspirent au quotidien ? 

Depuis mes débuts en tant que grimpeur j’ai toujours regardé des vidéos. Je me suis beaucoup nourri de la motivation de ces grimpeurs. Mais ce qui m’a vraiment toujours inspiré, ce sont les gens et les amis qui m’entourent. Je pense que tout le monde a quelque chose à apporter et l’on peut apprendre de n’importe qui. Bref, une grande partie de mon inspiration et de ma progression a été grâce à toutes ces personnes qui m’ont accompagné et soutenu.

Qu’est-ce que représente l’escalade pour toi ?

Pour moi, l’escalade n’est pas qu’un sport, c’est un mode de vie et elle nous apporte beaucoup. Ce qui m’a rendu accro à l’escalade, c’est sans aucun doute de pouvoir être en montagne, de sentir l’air frais et d’être celui qui établit les règles. Mais ce que j’aime le plus, c’est d’être constamment en contact avec la nature.

Tu as déjà fait un peu de compétition, notamment en 2017 et 2018 sur le parcours jeune. Pourquoi as-tu décidé d’arrêter?

Comme je l’ai déjà dit, ce que j’aime le plus dans l’escalade, c’est la vie dans la nature et la recherche d’amélioration personnelle. En compétition, je n’ai jamais vraiment trouvé ça. Tu dépends toujours des résultats des autres et ça demande un très gros sacrifice et un entraînement très strict uniquement pour un mur d’escalade lors d’une compétition : ce qui finalement ne me motive pas tant que ça. À l’époque, j’ai participé pendant quelques années à des compétitions nationales et internationales, et j’aimais beaucoup ça mais je savais que ma vie allait être sur le rocher. Actuellement je participe parfois à certaines compétitions nationales pour m’amuser, changer un peu et profiter avec des amis, mais pas pour m’investir sérieusement.

Tu es l’un des meilleurs grimpeurs au monde à seulement 23 ans : comment expliques-tu que tu aies un tel niveau ? Au quotidien, quel est ton rythme de vie ?

Je suppose que l’une des choses qui m’a amené là où je suis est le temps que je consacre à l’escalade. Je passe de nombreuses heures par jour à m’entraîner et/ou à grimper en falaise, et le reste du temps, je pense uniquement à l’escalade.

Normalement je ne suis que quelques semaines à la maison avec ma famille ce qui me libère du temps pour pouvoir m’entraîner et me préparer à un projet précis. Ensuite, je pars quelques mois à l’endroit que j’ai choisi pour la saison. Pendant mon séjour, je m’entraîne tout le temps: j’ai une poutre d’entraînement et quelques trucs que j’emporte dans mon van et je vais aussi régulièrement dans les salles d’escalade à proximité pour ne pas perdre ma forme physique. Le tout est organisé par un plan d’entraînement de mes entraîneurs Ekhiotz Alsasua et Pedro Bergua.

© Adri Martinez / Liqen Studio

Quand on voit tes performances, on a du mal à imaginer que tu as des défauts ! Quels sont selon toi tes points faibles ? Et les points dans lesquels tu es particulièrement performant ?

Physiquement parlant, je suis une personne assez équilibrée. Je pense que c’est une bonne chose mais en même temps, c’est vrai que je ne suis très bon à rien, et c’est pourquoi je dois toujours m’améliorer également dans tous les aspects.

Mentalement, l’une de mes vertus est sans aucun doute la motivation. Comme je l’ai déjà dit, je suis une personne qui n’aime pas arrêter de grimper et lorsque je ne grimpe pas, je m’ennuie et je pense sans cesse à l’escalade haha !

Comment organises-tu ton travail lorsque tu fais face à un nouveau projet difficile ? As-tu un processus « rituel » ?

Au cours des dernières années, j’ai appris à prioriser les tentatives de projet lorsque je me sens bien et que les conditions sont bonnes. J’ai aussi appris à prendre de la distance avec mon objectif si je n’ai pas l’impression que c’est le bon moment. C’est essentiel pour moi, durant la saison, de me motiver en enchaînant d’autres voies. Je suis aussi une personne qui ne peut pas arrêter de s’entraîner car je perds très vite ma forme physique. Pour cette raison, les jours de mauvais temps, je continue mon entraînement en salle. De plus, comme je l’ai déjà dit, je m’entraîne tous les jours et j’essaie de m’exercer sur les qualités qui contribueront le plus à un projet spécifique. Ce fonctionnement est une stratégie qui fonctionne pour moi : à la fois physiquement et mentalement.

Normalement, je choisis un secteur à chaque saison et ce que j’aime le plus, c’est d’y vivre, près de la zone d’escalade. Je vis dans la nature avec mon van, ma copine et nos chiots.

Quelle est ta meilleure performance en extérieur ? Celle dont tu es le plus fier.

La vérité est que dans toute ma carrière, je ne garde pas qu’une ligne en mémoire. Ce qui me rend vraiment fier, c’est de voir toute la progression et tous les objectifs que j’ai atteints depuis que j’ai commencé à grimper jusqu’à présent. Je suis une personne qui aime relever des défis de plus en plus difficiles : c’est pour cette raison que ce qui me rend heureux c’est d’enchaîner des choses qui m’ont demandé des efforts. Les perfs qui sont significatives pour moi sont donc : « Soyuz » mon premier bloc en 8C, « La Planta de Shiva » mon premier 9b, « Pengim Penjam » mon premier 8c à vue, « Darwin Dixit » 8c que j’ai grimpé en free solo. Je retiens également « El bon combat » 9b et mes premières ascensions de « Café solo » 9b, oui encore « Mejorando la samfaina » 9b+.
Comme je l’ai déjà dit, j’ai de bons souvenirs dans de nombreuses voies que j’ai grimpées et dans tous les niveaux.

Que penses-tu des cotations des voies en Espagne ? Elles sont souvent jugées trop « soft »…?

L’Espagne est sans aucun doute l’un des pays avec le plus de secteurs et le plus de variations en terme de type de roche dans le monde. Cela signifie que de nombreux grimpeurs, du monde entier, viennent se mesurer à nos blocs et voies : provoquant ainsi un grand nombre de répétitions. Les cotations sont donc assez consensuelles et confirmées par beaucoup de grimpeurs. Je pense qu’en Espagne, il y a comme dans tous les pays, certains secteurs sous-cotés et d’autres sur-cotés, mais je pense que les lignes les plus populaires sont bien cotées ! Après il ne faut pas oublier que quoiqu’il arrive les cotations sont toujours subjectives !

Que penses-tu de l’impact de ce sport sur l’environnement ?

C’est un sujet qui m’inquiète actuellement. L’escalade devient un sport de plus en plus populaire et de plus en plus de gens grimpent. Cela a des conséquences très positives mais en même temps très négatives : et c’est le cas de l’impact sur l’environnement. Il est difficile, ou pratiquement impossible, pour tous ceux qui vont à la montagne d’avoir une certaine « éducation » face à la nature, et cela affecte considérablement l’environnement. Pour ma part, je pense que nous devons essayer de donner l’exemple et d’éduquer les nouveaux grimpeurs pour qu’ils fassent du mieux qu’ils peuvent. De manière générale, et pas seulement dans le haut niveau de l’escalade, je pense qu’il est important d’essayer de prendre soin de la nature au quotidien à travers nos actions. Au final, tout affecte l’environnement et malheureusement, les conséquences sont visibles et nous concernent tous.

Quels sont tes projets futurs ?

Pour le moment, cette année, mes plans à court terme sont de retourner à Céüse et de voyager à nouveau en Australie avec ma copine. Je suppose qu’en automne et en hiver, je serai en Espagne pour poursuivre les projets que j’ai en attente. Pour répondre de manière générale, je vais continuer à chercher des défis, rester motivé et aimer grimper !

© Adri Martinez / Liqen Studio

Publié le : 14 mai 2023 par Morgane Morel

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