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Interview: Romain Desgranges revient sur sa saison difficile en 2019

© Patrick Domeyne

À 37 ans, Romain Desgranges est sûrement l’un des grimpeurs les plus expérimentés du circuit mondial. Vainqueur du classement mondial en 2017, médaillé de bronze en 2018, il a malheureusement connu une saison noire en 2019. Il ne prendra part à aucune finale cette année, terminant 26ème du classement général.

Entre zipettes, erreurs de méthode, blessures et choix stratégiques, celui que l’on considère comme le papa de l’équipe de France, n’aura pas réussi à dérouler sa plus belle grimpe en compétition cette année.

Nous sommes donc allé à sa rencontre, afin d’analyser avec lui les raisons de cette saison chaotique, à la fois pour lui, mais aussi pour le clan français.

Comment te sentais-tu lors de ta préparation hivernale, à l’approche de la saison 2019 ?

Écoute comme à chaque fois je me suis investi a 100%, comme à chaque fois ça n’a pas été facile, le parcours n’a pas été un « long fleuve tranquille ». J’avais pris cette option du combiné pour apporter un coup de frais dans cette préparation hivernale, après tant d’années, je pense que c’était pas mal de bousculer les habitudes.

Après la saison 2018 j’ai pris 3 semaines de vacances, ça faisait 5 ans que je ne m’étais pas arrêté plus de 3 jours. Je suis donc revenu fin motivé pour une nouvelle saison ! Malheureusement, je me suis blessé au dos très rapidement après la reprise, ça m’a obligé de m’arrêter complètement presque 3 semaines et ça m’a embêté toute l’année. À partir de là, on avait pris du retard et on était presque tout le temps dans l’urgence entre les différentes compétitions et le planning chargé du combiné.

Après avoir été n°1 mondial en 2017 et n°3 mondial en 2018, dans quel état d’esprit abordais-tu cette année ?

L’année dernière, j’avais fait l’erreur de ne pas être vraiment honnête avec moi et de ne pas être en adéquation entre ce que je disais et ce que je voulais vraiment. Alors cette année, pas de chichi, je voulais être performant sur toute la saison et sur toutes les compétitions.

© Gaetan Haugeard

Ton objectif principal cette saison était les Championnats du Monde où tu termines 25ème. Comment as-tu vécu ce moment ?

J’abordais les Championnats du Monde comme une autre compétition. Les années passées nous ont montrées que j’avais du mal à me fixer sur un objectif très très précis un jour J, du coup ce rendez-vous faisait partie de la globalité de la saison… Le fait est que, comme les galères n’arrivent jamais seules, je me suis blessé au genou quelques jours avant la compétition. Nous sommes arrivés au Japon une grosse semaine avant l’épreuve et lors du premier entraînement, mon genou a craqué. Pendant quelques jours, je pouvais à peine marcher, j’ai donc fignolé ma préparation pour l’épreuve en ne pouvant faire que des suspensions et encore, car il fallait toujours que je gère ce problème au dos… Bref, la galère ! Du coup, j’étais déjà content de pouvoir participer à la compétition, strapé comme jamais. Pour finir, je suis rentré en France au fond du trou !


J’ai cru jusqu’au bout que j’allais pouvoir inverser la tendance… Mais non.


Suite à ton intégration dans le groupe olympique, ton entraînement a-t-il été bouleversé ?

Bouleversé oui, car j’ai obligatoirement fait plus de vitesse et de bloc spécifique que ce que j’aurais fait en étant 100% diff’, mais c’était sûrement un mal pour un bien. La filière diff’ évolue beaucoup et travailler la gestuelle moderne en bloc et l’explosivite / coordination de force en vitesse était très bon pour moi dans cette escalade moderne. Après coup, ce qui m’a le plus handicapé, c’est d’avoir déjà des Coupes du Monde en mars avril très tôt, et de ce fait, d’être déjà à cette période dans une optique de qualitatif.

© Vladek Zumr

Justement, penses-tu que tes moins bons résultats cette saison sont dûs à cela ?

Moins bons, c’est une façon soft de raconter l’histoire… Non, je ne pense pas qu’il y ait qu’une seule explication. Même si l’on est encore « à chaud », il y a tellement de facteurs qui rentrent en compte pour la performance que ça serait facile de se cacher derrière ça et de tout mettre sur le dos du combiné.

Comment te positionnes-tu par rapport aux Jeux Olympiques ?

Comme je te disais, il y avait une part de renouvellement à aller chercher, je savais que le projet n’était pas impossible, mais pas loin. Tu pouvais retourner le concept dans tous les sens, il fallait que je sois très fort en difficulté pour imaginer exister dans cette histoire olympique. Du coup, ça collait parfaitement avec l’idée d’avoir comme priorité et objectif la saison de diff’.

Après avoir été pendant plusieurs saisons dans le top mondial, mentalement comment as-tu vécu le fait de ne faire aucune finale cette année ?

Mentalement ça a été horrible du début jusqu’à la fin. Des France à la dernière Coupe du Monde au Japon, tout a été chaotique et malgré toute la volonté du monde, je n’ai pas réussi à inverser la tendance. Chaque compétition m’enfonçait un peu plus la tête au fond de l’eau. Peut-être à tord je n’ai pas voulu rendre les armes. Je suis arrivé là car je n’ai jamais abandonné, je n’ai jamais baissé les bras et je n’allais pas commencer aujourd’hui. J’ai cru jusqu’au bout que j’allais pouvoir inverser la tendance… Mais non.


Même après cette saison horrible, j’ai toujours gagné le général, toujours été 2 fois Champion d’Europe etc etc… On ne me l’enlèvera pas.


Physiquement, tu semblais en forme, mais bien souvent tu chutais à cause d’une zipette ou d’une petite erreur. Comment analyses-tu cela ?

C’est forcément difficile d’encaisser mauvaises performances sur mauvaises performances, week-ends après week-ends. Mais la déception et la frustration était plus sur mes prestations et donc le résultat que sur les conséquences et l’image que ça pouvait véhiculer.

Même après cette saison horrible, j’ai toujours gagné le général, toujours été 2 fois Champion d’Europe etc etc… On ne me l’enlèvera pas. Encore une fois, le statut de numéro 1 ne m’a jamais trop intéressé, je suis dans le concret, souvent un peu trop, mais j’ai appris avec le temps à prendre et interpréter les bonnes et les mauvaises nouvelles de la même manière… Quoi qu’il arrive, il faut retourner à l’entraînement.

Alors d’après toi, que t’as t’il manqué cette saison ?

Comme quoi le physique ne fait pas tout ! L’alchimie était brisée et avait laissé place aux vieux démons. Mon escalade était fébrile et la moindre poussière faisait dérailler l’engrenage déjà pas très bien huilé. Physiquement pas au top, psychologiquement pas au top… Dur de faire monter la mayonnaise.

17 ans après ta première saison internationale le style d’ouverture a beaucoup évolué en difficulté, encore plus depuis l’intégration de l’escalade aux J.O. Qu’en penses-tu ?

Oui ça, pour avoir évolué, le style a évolué ! Bien évidemment le sport évolue et je préférais avant 😅. Après, en tant que compétiteur, c’est à nous de faire avec.

Il y a plusieurs variables, le sport devient plus médiatique et il faut plus de mouvements spectaculaires. Les voies doivent être de plus en plus visuelles et les marques poussent dans ce sens, pour mettre en vitrine leurs volumes de plus en plus gros (et plus chers). Malheureusement pour moi, ils préfèrent vendre des gros volumes plutôt que des petites réglettes 🤔

© IFSC

La fédération française avait fait le choix cette saison de privilégier les athlètes du combiné au détriment des spécialistes. Est-ce l’une des raisons qui expliquent les moins bons résultats de l’équipe de France cette saison selon toi ?

C’est le choix de la fédération française mais aussi de toutes les fédérations. Et quand tu vois les résultats de cette saison pour l’équipe de France et les autres équipes ça a été dur pour tout le monde. Regarde Stefano Ghisolfi, Domen Skofic, Jessica Pilz…

L’an prochain, on reviendra sûrement à une saison plus normale et ceux qui se sont entraînés seront présents, quant à ceux qui attendent de pouvoir faire des compétitions pour s’entraîner, ils rateront sûrement encore le train. Et puis si tu regardes un peu plus en détails, il y a eu beaucoup de jeunes et moins jeunes qui ont fait des compètes de diff’ cette année, il y avait des places et de l’expérience à prendre pour ceux qui avaient les dents longues !


L’équipe de France n’est pas une agence de voyage qui vous offre de grimper sur chacune des destinations au programme. C’est l’équipe de France, on ne parle pas du sport du dimanche entre copains, je le redis c’est l’équipe de France !


En tant que leader de cette équipe de France, comment analyses-tu la saison française d’un point de vue global ?

C’est vraiment compliqué. C’est sûr, cette saison a été difficile. Le niveau mondial est très dense, c’est réellement du haut-niveau et encore une fois, il y a pas de place à la demi mesure ! Et même s’il y a eu des exploits individuels il faut avouer qu’on est d’une manière générale un cran en dessous du niveau mondial qu’il faut actuellement sur le circuit. Même si certains jeunes qui « arrivent » brillent en catégorie jeune, il faut garder en tête que les jeunes japonais, slovènes, espagnols, coréens… font des médailles voir même gagnent en senior ! Et là ce n’est pas une question de critères de sélection, de combiné olympique, d’entraîneurs, ou je ne sais quelles autres excuses. Il faut s’entraîner et il faut s’entraîner plus.

Je n’ai pas assez de recul pour vraiment interpréter le comment du pourquoi mais d’une manière générale, j’ai quand même l’impression qu’il y a trop de suffisance, ça manque de rigueur et de labeur. On s’embourgeoise avec nos belles salles, nos beaux volumes, de belles ouvertures, on va à Innsbruck, on fait des stages à Tokyo… On se laisse porter et influencer par ce qui brille. Et pendant de temps là, les autres, ils travaillent. Ça manque probablement de caractère pour imposer ce côté « made in France ».

Mais rien n’est écrit et l’an prochain les cartes seront redistribuées… (à ceux qui se seront entraînés !!!)

Tu as maintenant 37 ans et il te manque toujours le titre de Champion du Monde à ton palmarès avant que celui ci ne soit bien complet. Quels sont tes projets sportifs pour la (les) saison(s) à venir ?

Tout ce que nous avons construit depuis toute ces années arrive probablement à sa fin et ça m’a mené à gagner de nombreux titres, jusqu’à l’apogée du classement général en 2017. En 2018 j’ai surfé sur la vague et là en 2019 ce fonctionnement semble avoir été essoré jusqu’à la dernière goutte. Nous avons construit quelques choses d’énorme ! Pour continuer il faut construire quelque chose de nouveau, sur de nouvelles bases, en adéquation avec des objectifs et leurs potentielles réalisations.

L’équipe de France n’est pas une agence de voyage qui vous offre de grimper sur chacune des destinations au programme. Partir pour partir n’a aucun intérêt et j’ai trop de respect pour ce maillot bleu pour me cacher derrière l’idée que l’important c’est de participer. C’est l’équipe de France, on ne parle pas du sport du dimanche entre copains, je le redis c’est l’équipe de France ! Il y a une obligation de rigueur et de résultats.

Alors je vais d’abord m’occuper de toutes ces blessures mentales et physiques qui m’empêchent de grimper. Récupérer mon dos à 100%, soigner mon genou parce que je ne peux pas mettre de talon depuis 3 mois et puis toutes ces autres douleurs qui me rappellent que je suis finalement un peu vieux. Quand tout ça sera rentré dans l’ordre, je prendrai le temps de préparer une suite intelligemment.

Publié le : 06 novembre 2019 par Nicolas Mattuzzi

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