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Jérémy Bonder met un terme à sa carrière de grimpeur : retour sur 17 ans de haut niveau

© Le Xav

Vendredi soir, à 19h, Jérémy Bonder partage sur son compte Instagram une vidéo accompagnée d’une déclaration un peu spéciale. Le jeune papa de 32 ans annonce que la coupe du monde de Briançon était la dernière compétition de sa carrière. Son message, rempli de gratitude, clôture à la perfection 17 années dans le sport de haut niveau.

Retour sur ce parcours exceptionnel…

Bond dans le temps de 26 ans : en 1997, Jérémy est au CP et tombe amoureux de l’escalade lors d’une classe découverte. Très vite, il s’inscrit au club de Cahors Escalade, et réalise ses premières compétitions. A 14 ans, il décide de s’investir davantage dans sa passion pour tenter de décrocher de bons résultats. En 2010, il côtoie pour la première fois les podiums nationaux : il remporte une médaille d’or au championnat de France jeune de difficulté et une médaille d’argent en bloc. Maillot de l’équipe de France sur les épaules, les portes du haut niveau sénior lui sont enfin ouvertes. Il ne le sait pas encore mais il vient de signer pour 13 années de haut niveau.

Au cours de ces années, sa détermination et son investissement seront récompensés par de nombreuses victoires et beaux souvenirs.

Si je dois me remémorer les moments les plus forts de ma carrière, ma première finale de coupe du monde est le premier qui me vient à l’esprit. Je venais tout juste d’arrêter mon métier de charpentier couvreur et personne ne m’attendait ! Ça m’a permis l’année suivante d’intégrer le pôle France de Fontainebleau et c’était une énorme étape dans ma vie.

Il y a aussi mon premier titre de champion de France de bloc en 2014. J’avais fait une énorme compète en gagnant tous les tours.

Jeremy remportera trois fois le titre de champion de France de bloc (en 2014, 2015 et 2019).

La même année, je remporte aussi ma médaille de bronze à Laval en France, devant mes parents ! Un podium en coupe du monde c’est quand même un truc vraiment incroyable. On était plusieurs français à être en finale : Guillaume Glairont Mondet (2ème), Alban Levier (5ème) et Stéphane Julien (6ème).
Stéphane était mon idole à l’époque et j’ai eu la chance de le côtoyer en tant que personne et de faire des compétitions avec lui. Ça, c’était vraiment incroyable pour moi.

Et puis bien sûr Les championnats du monde de Paris Bercy en 2016 ! Malgré l’échec, j’en garde un très bon souvenir. Lors de cette finale je termine 5ème, je ne monte pas sur le podium mais grimper devant 12 000 personnes, en France, à Paris Bercy, où il y a toute ma famille, mes amis, ma femme et ma belle-famille : il n’y a rien de plus beau. Je m’étais énormément investi et être devant ce public… j’en ai encore des frissons rien que d’y penser.

Lorsque l’on lui demande de se remémorer les moments plus sombres de sa carrière, il a plus de mal à en identifier. Il cite tout de même son choix de transférer ses efforts sur la diff plutôt que le bloc :

Il y a bien sûr eu des moments très durs et des échecs dans ma carrière. La décision qui a été la plus dure a été d’arrêter le bloc. C’était ma discipline de cœur qui animait ma carrière de sportif depuis plus de 10 ans ! L’escalade de bloc a beaucoup évolué et comprend plus de mouvements de coordination et gymniques. J’avais du mal à me retrouver dans ce style dynamique et je ne pouvais plus concurrencer les autres. J’étais fort dans des blocs plus statiques avec des arquées et des petits pieds : et ça il n’y en a plus beaucoup en compétition !

Je me suis donc lancé dans la diff. La première année, je suis tombé dans le surentraînement bêtement. Je ne me suis pas écouté et je n’avais personne pour me dire de ralentir donc ça m’a couté mon année. Ensuite, il y a eu les années covid un peu compliquées à gérer.

Quand j’ai repris, je me suis fait une énorme tendinite au coude : 6 mois de blessure. L’année d’après, je me fais deux poulies partielles alors que je ne m’étais jamais blessé. Finalement ce sont ces blessures les moments les plus compliqués de ma carrière.

Clôturons cette partie en revenant sur sa saison de compétition 2023. Alors qu’il était affaibli par de nombreuses blessures les années précédentes, c’est plus déterminé que jamais qu’il entame cette nouvelle saison d’entraînement. Il passe tout de même à côté du podium lors des championnats de France et prend alors la décision d’avancer sa retraite en tant qu’athlète, qu’il avait initialement fixé à 2024.

J’ai passé une super année à l’entrainement avec Romain Desgranges. Je n’ai jamais été aussi en forme en diff de ma vie surtout lors des championnats de France !

Lors du sélectif [6 et 7 mai], ça avait moins marché pour moi parce qu’il y avait eu de gros changements dans ma vie de famille juste avant. Je sortais tout juste d’un déménagement de mon appartement pour une nouvelle maison. Je suis arrivé bien fatigué du coup je l’ai un peu loupé.

J’arrive aux Frances [10 et 11 juin] bien préparé et très confiant grâce à ma victoire à la Coupe de France de Marseille [21 mai]. Je n’ai jamais aussi bien grimpé de ma vie en compétition que lors de la demi-finale. En finale c’est un peu pareil mais je zippe sur cette fin de voie. Cela m’empêche de gagner ou au moins de faire un podium.

© Aurèle Bremond

Le championnat de France à Tarbes marque donc le coup d’arrêt avancé de sa carrière. Il termine tout de même l’année en acceptant toutes les sélections en équipe de France même si cela implique un investissement difficile à concilier avec sa vie de famille. Depuis plus de 2 ans, Jérémy est devenu papa d’un petit garçon. Au-delà de l’amour inconditionnel et du bonheur absolu qu’a amené Maé dans sa vie, il ne faut pas oublier les nuits réduites et tous les compromis nécessaires lorsqu’on devient parent.

Physiquement j’ai eu du mal à m’entrainer correctement pendant le dernier mois de préparation avant les coupes du monde. C’était aussi un peu compliqué parce que je reste un père de famille et c’est toujours délicat à gérer. Mon fils est plutôt un sportif la nuit, il ne dort pas beaucoup alors que j’ai toujours eu l’habitude de beaucoup dormir.

Et puis je savais que je vivais mes derniers entrainements alors que je suis dedans depuis 17 ans. Depuis mes 15 ans c’est ce qui anime ma vie, émotionnellement ce n’est pas facile à gérer.

© Arthur Delicque

Le plus dur mentalement ça a été Briançon. Je pensais me prendre un retour de bâton après la compétition et finalement j’ai été frappé en plein dedans. Dès l’échauffement, j’ai réalisé que d’ici 48h ma carrière de compétiteur allait s’arrêter, et ça c’était très intense. Il y a eu quelques larmes…

Jusqu’à cette dernière coupe du monde, un cercle réduit de personnes était dans la confidence : seulement sa famille, ses plus proches amis et ses entraîneurs. Il annonce sa décision aux autres athlètes et cadres de la fédération à Briançon alors que la compétition s’entame tout juste.

Je ne pouvais plus garder le secret. Au final, en 24h, ils (athlètes, coachs, partenaires, …) se sont organisés pour me faire leurs adieux. Ils m’ont fait une magnifique surprise à la fin du week-end : ils ont annoncé sur scène ma fin de carrière et en plus c’était le jour de mon anniversaire. C’était beaucoup d’émotions. Tous les copains de l’équipe, la fédé et mes partenaires ont participé.

© Jan Virt / IFSC

Belle image de fin de carrière pour Jérémy qui fera ses derniers adieux sur ses réseaux sociaux quelques jours plus tard. L’avalanche de messages témoigne de l’attachement du public pour ce sportif qui a teinté le paysage de la grimpe durant près de 20 ans. Il aura débuté sa carrière dans un sport encore très peu connu du grand public à l’époque,  et la termine dans un sport devenu olympique et comptant de plus en plus d’adeptes.

L’escalade de compétition a beaucoup évolué. Ma première coupe du monde sénior était en 2011, j’avais 20 ans, et le style était beaucoup plus basique. Il y avait beaucoup moins de monde, d’étrangers et de concurrence. Seulement une petite dizaine de nations étaient sur la liste de départ. Maintenant c’est plutôt une grosse dizaine et avec des nations très très fortes comme les Japonais.

Le style était aussi très différent : c’était des blocs à prises, avec des petites prises de mains et de pieds.
Je dirais que le changement s’est fait autour de l’année 2016. A cette période, la densité de forts grimpeurs a fortement augmenté et continue a croître depuis.

Il n’y a plus de saison de coupes du monde où on retrouve toujours le même athlète en première position. Je me souviens des années où Dimitri Sharafutdinov [grimpeur russe] gagnait 4 étapes sur 6. Il faisait toutes les finales de l’année !
Selon moi, aujourd’hui en bloc, les 30 premiers mondiaux sont capables de gagner une coupe du monde. Au-delà de l’augmentation de niveau, ça vient du fait que les mouvements demandés en bloc sont plus aléatoires avec de la coordination. Cela crée plus de surprises !

L’escalade en général a aussi beaucoup évolué ! En 2011, personne n’en parlait ! Le nombre de pratiquants et de salles à considérablement augmenté depuis. On est même devenu un sport olympique et les chaines comme Eurosport s’y intéressent. C’est génial parce que ça va permettre aux athlètes de pouvoir en vivre et d’être reconnus.

Son expérience et sa longévité dans le milieu lui permettent bien évidemment d’avoir une vision globale de l’évolution de ce sport mais aussi de précieux conseils pour la génération future. À la question « Qu’est-ce que tu dirais à un jeune athlète qui entame sa carrière de grimpeurs ? », sa réponse est immédiate :

Croire en ses rêves, et surtout l’objectif est de ne pas avoir de regret. Et pour ne pas avoir de regret, il faut se donner les moyens d’atteindre ses rêves. Quand je dis « se donner les moyens » je parle de s’entourer des bonnes personnes, aller à l’entraînement avec de l’envie et de la détermination.

Maintenant que sa carrière de compétiteur a pris fin, il compte profiter de sa famille et bien évidemment continuer à grimper. Une longue liste de projets qu’il avait laissé de côté en faveur de ses entraînements l’attend. On retrouve parmi eux, « Big Island » 8C et « le Sens de la Fête » 8B+ en bloc, et en falaise, principalement « Supercrackinette » 9a+ à Saint-Leger.

© Guillaume Pellion

Je vais continuer à faire des compétitions, mais moins sérieuses, plutôt pour passer un peu de temps le baudrier aux fesses parce que je suis amoureux de ça. Je vais continuer à faire les 24h du Mur parce que c’est une compétition hyper conviviale. Je ferai aussi des contests en région parisienne pour se tirer la bourre avec les copains.

Professionnellement c’est encore incertain. Dans tous les cas je vais rester dans le milieu de la grimpe, peut-être dans l’ouverture ou dans l’entraînement. Rester dans le haut niveau mais sous une autre casquette me permettrait de vivre encore des émotions fortes. A voir ce que l’avenir me réserve…

L’entretien, qui se déroule durant la sieste de Maé, s’achève sur des remerciements et une reconnaissance immense pour toutes les personnes qui l’ont soutenu : sa famille bien sûr mais aussi toutes les personnes qui ont gravité autour de lui pour lui permettre de vivre son rêve. A 32 ans, c’est un chapitre (un peu extraordinaire) qui prend fin pour Jérémy. Au compteur : 17 ans de haut niveau, 13 ans en équipe de France et 53 compétitions internationales avec le maillot bleu blanc rouge.

Publié le : 25 juillet 2023 par Morgane Morel

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