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Coupe de France de Chamonix : je suis inquiet

Thomas Ferry, entraîneur et préparateur physique spécialisé dans l’escalade, était à Chamonix pour la coupe de France de ce week-end, et il répond à la question « Tu en as pensé quoi de la coupe de France ? »

« Tu en as pensé quoi de la coupe de France ? ».

Voilà la question qui m’a été posée à plusieurs reprises hier, comme si je pouvais vraiment m’exprimer sur le sujet. Comme si je pouvais me mettre à la place des grimpeurs qui jouent dans une autre cour que moi. Je ne permettrai donc absolument pas de donner un avis sur la qualité des ouvertures, sur les détails techniques des différents blocs, ni même sur l’organisation en général. Je ne peux qu’écouter. Quant au reste, les sourires des bénévoles, le choix de la musique, l’ambiance de la salle, je crois que mon avis importe peu. Alors, pourquoi me poser cette question ? Est-ce pour savoir si la compétition m’a plu ? Oui, je me déplace peu, alors c’est une question qu’on pourrait me poser. Est-ce que j’ai aimé ? Comment ai-je vécu cette journée en tant que spectateur ? Mais il faut se rendre à l’évidence, tout le monde s’en moque.

« Tu en as pensé quoi de la coupe de France ? ».

Je vais y répondre, car évidemment, je n’étais pas uniquement là pour assister au spectacle. Les coupes de France sont toujours intéressantes, car on y croise à la fois l’élite française et des grimpeurs plus modestes, parfois livrés à eux-mêmes, sans entraîneur, parcourant une partie de la France pour vivre ces moments si…particuliers. Alors, entre deux papotages, j’ai pris le temps d’observer avec un regard qui n’est pas celui d’un grimpeur, et pas spécialement celui d’un entraîneur non plus. Mon avis à moi, le voilà, un mélange un peu étrange, entre préparation physique et mentale, avec quelques connaissances sur l’activité et différentes expériences au fil des ans.

J’ai entendu des entraîneurs autoritaires dire à leur poulain de ne pas se mettre la pression, j’ai vu des mutants trembler, grimper à côté de leur style habituel, probablement à cause de certaines séances de musculation bien chargées en guise de préparation aux championnats de France. J’ai vu des sportifs réguliers aussi, des survoltés, d’autres déroutés. Oui mais voilà, je suis globalement inquiet.

Inquiet, parce que j’ai entendu bon nombre de grimpeurs me dire « je ne suis pas encore assez fort, je vais augmenter les charges en prep physique », ou « dans ma planification, je vais m’attaquer aux choses sérieuses, je vais me mettre des doses ». Comment avons-nous fait pour en arriver là, pour faire passer le volume physique au premier plan ? Voilà donc ce que j’ai vu, des grimpeurs tenus en échec sur un mouvement, et qui avaient comme premier réflexe de ruminer sur le physique. Déjà, il n’existe aucune règle qui dit que si on est « au max » physiquement, on est à son niveau de pratique maximum. Mais pire que cela, dans 90% des cas hier, je n’y ai pas vu un manque physique, mais des lacunes mentales ou du non-respect des basiques.

Par exemple, plutôt que de travailler encore et encore physiquement pour « avoir la marge », il serait peut-être intéressant d’apprendre à un grimpeur à se concentrer, à porter son attention où il le faut, pendant la durée nécessaire. Combien de mouvements physiques auraient pu être résolus hier si les grimpeurs avaient réussi à se focaliser à la fois (par exemple) sur une main et un pied, ou sur les deux mains, sans lâcher prématurément une partie du corps. Oui, ça se travaille, au même titre que le reste. Pire que cela, j’ai vu ce trop-plein de physique même chez les jeunes, très forts et pourtant objectivement incapables de doser leur effort. Nous fabriquons rapidement des « machines », mais seront-ils les futurs champions du monde ? Les futurs champions olympiques ? La France, première ou deuxième nation en fonction des années ? Peut-être…mais quelque chose me dit qu’on pourrait faire mieux qu’un classement par nation, qu’on pourrait aller chercher des titres. Et quand j’entends les sportifs raisonner de cette manière, je suis inquiet. Oui. Et je me rends compte à quel point les entraîneurs ont un métier difficile. A quel point il faudrait avoir toutes les casquettes possibles. Et il faudrait unir les compétences. Mettre l’ego de côté aussi.

Un autre exemple me vient. J’ai entendu des grimpeurs me dire qu’ils ne décollaient pas dans certains blocs. D’autres m’ont dit qu’ils avaient fini leur échauffement dans les blocs directement. Je n’ai pas d’avis sur la question, j’imagine que les organisateurs ont fait au mieux, et je n’ai pas vu la zone d’échauffement. Mais encore une fois, j’ai entendu des propos sur le physique, comme quoi il fallait travailler plus spécifiquement les compressions par exemple. Mon constat ? Certains grimpeurs ne décollaient pas tout simplement parce qu’ils n’étaient pas suffisamment échauffés. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la routine d’échauffement n’est pas simple, et elle évolue avec l’âge. Bien plus que cela, on pourrait envisager, assez facilement, de chauffer un groupe musculaire en particulier avant de se lancer. Frontière entre le physique et le mental, je me suis permis hier une seule suggestion, à une grimpeuse en particulier. « Je ne décolle pas dans la dalle rouge ». « Oui, c’est normal, il faut t’échauffer les pectoraux ». Je suis sûr que le simple fait d’en prendre conscience a forcé la réussite. Parce qu’évidemment, le bloc est sorti à l’essai suivant. L’échauffement, voilà une clé essentielle de la réussite. Notre discipline, aléatoire, riche, complexe, nécessiterait de véritables spécialistes de l’échauffement.

Je suis inquiet parce que les grimpeurs parlent trop souvent le physique quand ils échouent. Je suis inquiet parce que certains entraîneurs accordent une trop grande importance au physique. Je suis inquiet car on fabrique des machines qui deviennent forts à court termes, et qui se tirent une balle dans le pied pour leurs années en sénior. Je n’ai pas les compétences pour être entraîneur à haut niveau en escalade. Je suis loin de pouvoir leur donner des leçons, de les critiquer. Mais là, s’il vous plaît, messieurs les grimpeurs, arrêtez les dégâts. Ce que j’ai vu hier n’est pas forcément rassurant sur l’avenir de la discipline.

Qu’on revienne aux fondamentaux. Qu’on apprenne à maîtriser la simplicité avant de chercher compliqué. Qu’on arrête de croire que le physique permettra de mieux réussir. C’est un équilibre à trouver. L’échauffement, le mental, ne sont que des pistes. Des pistes clairement mises en évidence sur cette coupe de France. Quant au reste, oui, j’y ai vu de bien jolies choses quand même, et je ne saurai mettre tous les grimpeurs dans le même panier. Je reste impressionné, toujours, admirateur. Et oui, je suis content de croiser les stars françaises en toute discrétion, dans l’ombre, comme un spectateur passionné. Bonne préparation pour la suite, mais surtout…pas trop de physique, hein ?

Publié le : 13 décembre 2016 par Charles Loury

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