Ventilateur et escalade : tricherie ou optimisation ? Camille Coudert relance le débat !

© Coll. Coudert / Relais Vertical
Il y a quelques jours, Camille Coudert signait l’ascension de « Mammunk (assis) » à Fontainebleau, un bloc ouvert par Nicolas Pelorson et proposé à 8C. Mais loin de se contenter d’ajouter une croix à son palmarès, Camille a déclenché une discussion de fond dans le monde du bloc en décotant le passage à 8B+… et en assumant pleinement avoir utilisé un ventilateur pour l’enchaîner.
Une pratique de plus en plus répandue, mais qui continue de faire débat dans le milieu…
Une performance, une méthode, une décote
Dans un style direct et teinté d’humour, Camille Coudert a publié une réflexion bien plus large que la simple cotation du bloc. Il y explique pourquoi, selon lui, « Mammunk (assis) » ne mérite pas 8C, notamment grâce à une optimisation des méthodes plus efficace.
Mais ce qui a surtout retenu l’attention, c’est sa justification de l’usage du ventilateur, souvent pointé du doigt dans les discussions autour de la « pureté » des ascensions.
Toute ma vie de grimpeur, j’ai mouillé. […] Puis un jour, une lumière. Un miracle. Une bouffée d’air… sec : le ventilateur électrique. — Camille Coudert
Soutenant que la cotation d’un bloc doit être établie dans les meilleures conditions possibles, Camille défend l’idée que l’usage du ventilateur ne fausse pas la difficulté intrinsèque d’un passage, mais au contraire permet d’atteindre les conditions idéales, là où elles se font de plus en plus rares.
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Le ventilateur : accessoire utile ou triche technologique ?
Dans un contexte d’évolution climatique où les créneaux de “conditions parfaites” se réduisent comme peau de chagrin, les ventilateurs sont devenus pour beaucoup un outil incontournable. Leur usage s’est démocratisé, notamment à Bleau, pour assécher les prises, évacuer l’humidité et recréer artificiellement un air froid et sec, favorable à l’adhérence.
Mais cette pratique ne fait pas l’unanimité. Pour certains grimpeurs, dont Nicolas Pelorson lui-même, le ventilateur influence trop la perception de la difficulté. En d’autres termes, un bloc réalisé avec ventilateur ne vaudrait pas la même cotation qu’un enchaînement “naturel”, sans l’aide de cet outil.

© Coll. Coudert
Et c’est là que réside le cœur du débat : où placer la limite entre la recherche légitime de performance et le respect d’une certaine éthique dans l’effort ? Doit-on adapter les cotations en fonction de l’équipement utilisé ? Devrait-on interdire les ventilateurs, ou au contraire, les accepter comme on a accepté les genouillères, les nouvelles gommes de chaussons ultra-performantes ou la magnésie liquide ? L’optimisation de la performance peut-elle tout justifier ?
Tous les moyens sont-ils bons pour performer ?
La question posée par Camille Coudert soulève un débat aussi vieux que le sport lui-même : quels équipements sont acceptables dans la quête de performance, et lesquels dénaturent l’effort ? Car si l’objectif est de repousser ses limites, à quel moment cesse-t-on de repousser les siennes pour simplement s’en affranchir ?
Le ventilateur, en cela, agit comme un révélateur. Il interroge la frontière entre aide extérieure et évolution logique de la pratique. Utiliser un ventilateur pour sécher les prises, est-ce comparable à porter des chaussons performants, à brosser une arquée, ou à attendre les bonnes conditions météo ? Ou franchit-on là une étape supplémentaire, où la nature du rocher et de l’environnement est modifiée artificiellement pour servir la grimpe ?
Où place-t-on le curseur ? Tous les sports sont soumis à cette quête de performance, et parfois, de nouvelles mesures sont prises pour éviter tout débordement. Par exemple, en 2010, les combinaisons en polyuréthane ont permis à des nageurs de pulvériser des records du monde, en réduisant les frottements et la traînée de l’eau. Trop efficaces, elles ont été interdites pour préserver l’équité et garantir que la performance reste celle de l’athlète, pas de la technologie.

© Coll. Looking For Wild
Doit-on imaginer un futur de l’escalade où des équipements toujours plus sophistiqués (ventilateurs, nouvelles gommes de chausson, additifs sur la peau, magnésie modifiée, etc.) influencent directement le niveau de friction et, donc, la réussite ? Et si oui, comment encore juger la valeur d’un enchaînement ?
Cette réflexion renvoie à une notion essentielle : l’éthique de la difficulté. Dans une discipline où la performance est mesurée à l’aune de la résistance, de la technique, et de l’engagement personnel, toute aide extérieure remet en question la nature de l’effort. Est-ce encore le grimpeur qui fait la croix, ou le dispositif qu’il utilise ?
Accepter certains outils, c’est ouvrir une boîte de Pandore. Où s’arrête l’acceptable ? Jusqu’à quel point l’optimisation devient-elle contournement ? Une chose est sûre : plus les moyens techniques influencent directement la réussite, plus ils interrogent le sens profond de la cotation, de la performance, et de la comparaison entre ascensions.
Vers une nouvelle normalité ?
Camille pousse la réflexion plus loin, évoquant à la fois son rapport personnel à la transpiration, les contraintes climatiques croissantes, et l’évolution naturelle de la pratique. Il compare même l’usage du ventilateur aux prothèses d’un athlète paralympique, pointant l’absurdité d’un jugement moral sur un outil permettant simplement à chacun de grimper à son meilleur niveau.
Ce n’est pas de la triche. C’est de l’optimisation. […] Faut-il vraiment attendre les conditions parfaites pour mériter un enchaînement ? — Camille Coudert
Sa prise de position, aussi tranchée que sincère, questionne les valeurs de la performance en escalade. L’idée que seuls les grimpeurs pouvant attendre les trois journées parfaites de l’hiver mériteraient leurs croix semble de moins en moins tenable, notamment à l’heure où le climat rend ces fenêtres de plus en plus rares. Mais la fin justifie-t-elle les moyens ?
Vers une escalade augmentée ?
Entre innovation et tradition, le monde de la grimpe se trouve à un tournant. La question n’est plus seulement de savoir si l’on accepte l’usage du ventilateur, mais comment on redéfinit les standards de cotation et les critères d’évaluation des performances. À l’instar de l’apparition des genouillères, l’outil technique modifie l’approche, et donc le jeu.

© Petr Chodura
Alors, faut-il réécrire les règles ? Ou simplement les assouplir à la lumière des évolutions techniques et environnementales ? Camille Coudert, en tout cas, n’a pas attendu le consensus pour continuer à grimper, avec lucidité, humour… et un ventilateur.
Le commentaire complet de Camille Coudert
« Pour ceux qui vont dire que je décote parce que j’ai utilisé un ventilateur, j’ai préparé une petite histoire à lire ci-dessous.
Et pour ceux qui ont la flemme de lire, je résumerai que la cotation d’un bloc ne dépend pas des conditions d’enchaînement de ce même bloc, mais des meilleures conditions possibles pour faire ledit bloc, sinon autant donner une cotation hivernale et une cotation estivale à chaque bloc. Bref, selon moi, Mammunk assis est un 8B+ standard, avec ou sans ventilateur !
Respect tout de même à Nico d’avoir fait la FA du bloc et d’avoir décidé de se compliquer la tâche en n’utilisant pas de ventilateur pour compenser les températures du moment. 💪🏻

© Petr Chodura
Toute ma vie de grimpeur, j’ai mouillé. Oui, littéralement. Mes mains, deux éponges humaines. Avant, je pouvais grimper trois mois dans l’année (janvier, février, mars), quand il faisait -2 °C. Les prises ne fuyaient pas comme si elles étaient enduites d’huile de tournesol. Parfois, il pleuvait, mais c’était passager. Et puis, insidieusement, les températures ont grimpé. La pluie est devenue résidente permanente. Fini les condis de rêve. Les mois se sont raccourcis, puis réduits à quelques semaines. Une misérable quinzaine pour tenter de performer.
Alors j’ai perdu espoir. Je me suis résigné à grimper dans le 7. Ouais. Le 7. C’était mignon au début. Presque rafraîchissant. Une petite cure de modestie. J’ai même ri une ou deux fois. Puis c’est devenu aussi excitant qu’un bassin de 25 mètres pour un nageur olympique. Je tournais en rond. Alors j’ai pensé tout arrêter. Plier les crashpads, ranger les chaussons et partir cultiver des tomates.
Mais un jour, une lumière. Un miracle. Une bouffée d’air… sec : le ventilateur électrique. Au début, j’ai cru que c’était juste pour sécher les prises — méthode absolument grotesque, on est d’accord. Puis un pote a eu l’idée de génie de me souffler dessus… pendant que je grimpais. Et là… révélation ! C’était ça. LA solution. Je retrouvais enfin cette sensation perdue : lutter contre la gravité, pas contre ma propre sueur. Je pouvais enfin grimper comme en hiver, même en avril. Pas à 100 %, hein (un ventilo, aussi puissant soit-il, ne vaut pas un bon -5 °C sec), mais je retrouvais le plaisir de grimper.

© Coll. Coudert
Et puis, les prêtres du “style pur” sont arrivés. Ceux pour qui la seule chose qui transpire, c’est leur ego. Ils m’ont vu enchaîner des blocs avec mon ventilo, alors qu’ils échouaient les doigts au sec, et ont décrété : triche ! Ils ont décidé : ventilo = dopage. Et moi, mes blocs ? Effacés. Comme si je les avais rêvés. Mais bon, je grimpais pour moi. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais choisi de suer comme un bœuf à la moindre prise… Je me sentais un peu comme un coureur amputé à qui on interdit les prothèses parce que, qui sait, “ça pourrait être trop performant”. Alors j’ai continué. Discret. Avec mon ventilo de contrebande, comme un alchimiste de l’adhérence.
Mais à force d’entendre partout que j’étais un tricheur, j’ai fini par le croire. Alors j’ai tout arrêté. Puis un jour, les condis parfaites sont revenues : 0 °C, hygrométrie d’un désert. Je retourne dans un 8C que j’avais fait, jadis, au printemps avec ventilo, par des températures estivales. Et surprise, je le torche en deux runs. Spoiler : il m’a paru bien plus facile qu’à l’époque. C’est là que j’ai compris : Ce n’est pas de la triche. C’est de l’optimisation.
Comme quand on choisit ses crashpads, sa magnésie, ses chaussons. Comme quand on évite de grimper en pleine canicule.
Mais faut-il vraiment attendre les conditions parfaites pour mériter un enchaînement ? Perso, je préfère grimper. Toute l’année. Tant pis si ça implique un ventilo.

© Petr Chodura
Alors oui, j’utilise un ventilateur. Et j’mmrd* ceux qui trouvent ça “pas valable”. À ce compte-là, on interdit aussi les genouillères, les semelles Vibram 2.0, la magnésie liquide “super grip max 9000”… et on grimpe torse nu avec des espadrilles en corde de chanvre ?
Bref, si vous croyez que j’ai triché, venez les faire, mes blocs. Avec ventilo. Et si vous y arrivez… bravo. Sinon, eh bien… faites un post sur Instagram pour pleurer un coup.
« Mammunk assis » 8B+ : avec ou sans ventilo. Même combat. »
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