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Le site de bloc d’Étrechy interdit à la pratique de l’escalade

Alors que plusieurs falaises font l’objet actuellement d’une interdiction municipale temporaire de la pratique de l’escalade (lire notre article sur le sujet ici), c’est au tour d’un site de bloc de se voir interdire la pratique, et plus précisément le site de bloc d’Etrechy en Essonne. Cette fois, ce n’est pas la commune qui a posé une interdiction, mais l’Agence des espaces verts (AEV): un établissement public régional à caractère administratif qui œuvre, sur l’ensemble du territoire francilien, à la préservation, l’aménagement et la gestion des espaces naturels régionaux. La raison invoquée serait que « les blocs présents sur le site sont dangereux ». Nous avons tenté de contacter l’AEV pour en savoir plus, mais vous n’avons eu aucune réponse de leur part.

De son côté, Gilles Rotillon, membre de la Commission Fédérale de Montagne et d’Escalade de la FSGT, nous en dit un peu plus sur la situation actuelle. 

Étréchy est une petite ville de l’Essonne qui n’est sans doute pas très connue des grimpeurs, même si elle offre une forêt avec quelques blocs et trois circuits, jaune, vert et orange, qui auraient du mal à être qualifié d’incontournables.

Pourtant, il y a une bonne raison de croire que ce site d’escalade risque prochainement de devenir une pierre noire dans le développement de l’escalade en forêt, comme l’accident de Vingrau l’a été pour la falaise. Ce texte vise à informer et si besoin à mobiliser la communauté des grimpeurs sur ce qui est en train de se passer.

Pour ce faire, un peu d’histoire est nécessaire. Car Étréchy est la ville où Michel Coquard, le créateur, avec ses élèves, du premier circuit enfant spécifiquement conçu pour eux en tenant compte de leur morphologie, a fait toute sa carrière d’instituteur. Il a bien évidemment exploité les blocs de la forêt toute proche et dès le début des années 1980, il y a tracé un premier circuit facile. Ce qui a permis à des générations d’élèves depuis quarante ans de découvrir l’escalade, mais aussi aux enfants du centre de loisirs situé à quelques centaines de mètres des blocs.

Depuis peu, le site est propriété de l’Agence des espaces verts (AEV), un établissement public régional à caractère administratif qui œuvre, sur l’ensemble du territoire francilien, à la préservation, l’aménagement et la gestion des espaces naturels régionaux.

C’est pourquoi le collège Le Roussay, qui comme de nombreux établissements scolaires possède un mur d’escalade et pratique aussi dans la forêt, a pris contact avec l’AEV pour signer une convention pour l’autorisation annuelle gratuite pour l’exercice d’activités sportives, éducatives, culturelles ou autres sur les espaces régionaux gérés par l’AEV. Des réunions préliminaires avec des techniciens de l’agence ne laissaient pas supposer que l’Agence ferait des difficultés pour signer cette convention.

Or, le 21 octobre 2022, la directrice de l’AEV envoya une lettre au directeur du collège indiquant que l’escalade en forêt d’Étréchy sera interdite. La raison invoquée étant que « les blocs présents sur le site sont dangereux », en conséquence, pour des raisons de sécurité, « le règlement du site va ainsi être modifié et les marquages sur les blocs supprimés ».

Mais des blocs ne peuvent pas être dangereux en eux-mêmes, c’est la seule pratique de l’escalade qui leur confèrerait ce caractère dangereux. Or, concernant cette pratique, on voit mal ce qu’elle peut avoir de spécifique dans la forêt d’Étréchy pour justifier son interdiction, alors qu’elle se développe dans le monde entier sans que cette croissance entraîne des accidents en nombre. On peut même inverser la causalité : c’est justement parce qu’il n’y a que très peu d’accidents que l’escalade progresse spectaculairement. Quelles sont donc ces « blocs dangereux » qui sont donnés ici en justification contre les faits ?

La forêt de Fontainebleau est le terrain de jeu de grimpeurs venus du monde entier et là aussi l’accidentologie reste très faible proportionnellement au nombre de pratiquants et on y trouve pourtant nombre de blocs qui pourraient être considérés comme bien plus dangereux que ceux que l’on trouve dans le Bois du Roussay, à commencer par la plupart des blocs de la forêt de la Commanderie, souvent de 10 mètres et plus, parcourus par plus d’une quarantaine de circuits d’escalade fléchés (soit des centaines de voies) de tous niveaux dont des faciles ou la grande dalle de Villeneuve-sur-Auvers, proche d’Étréchy, bien connue des grimpeurs.

L’escalade est par ailleurs la quatrième activité sportive la plus pratiquée en milieu scolaire, ce qui ne pourrait pas être le cas si elle causait des accidents à répétition.

C’est d’autant plus incompréhensible que jusqu’à présent, elle a été pratiquée régulièrement sur ce site, aussi bien dans le cadre scolaire ou avec le centre de loisirs proche que par les associations de grimpeurs et ce depuis plus de quarante ans. On a ainsi eu la preuve par la pratique que l’escalade durant toutes ces années ne causait aucun trouble à la sécurité. Et la proximité du site, à quelques centaines de mètres du collège et du centre de loisirs sans route à grande circulation à traverser en renforce encore le caractère sécuritaire.

Enfin, les circuits ont été repeints et entretenus récemment sous l’impulsion de Pascal Etienne, Breveté d’Etat d’escalade, membre de l’USEP et de la FSGT avec l’aide de plusieurs clubs montagne-escalade de la FSGT. Cette réfection a pris le plus grand soin à précisément examiner les risques liés à la pratique ce qui rend encore plus incompréhensible la décision d’interdiction.

On ne peut que s’inquiéter des conséquences que pourrait avoir cette décision si d’autres propriétaires de sites la prenait également. Étréchy serait alors le signal déclencheur d’un reflux de l’escalade en forêt, car on ne voit pas pourquoi on l’interdirait ici sans l’interdire ailleurs, compte tenu de la raison invoquée, incompréhensible pour un grimpeur, qui sait parfaitement qu’il ne risque pas sa vie chaque fois qu’il pratique (et qui le prouve avec les statistiques d’accidents), mais pouvant susciter la crainte d’un péril pour un propriétaire peu au fait de cette activité, péril d’autant plus inquiétant qu’il est mal défini, pouvant donc faire soupçonner les pires conséquences.

Ce ne seraient plus les seuls enfants qui se verraient interdire l’accès à une pratique sportive en pleine nature mais tous les pratiquants, à une époque où la connaissance active du milieu naturel devient de plus en plus une nécessité si on veut le protéger comme l’affirme l’AEV. Car l’interdire n’est sans doute pas le meilleur moyen pour ce faire. Ce serait pourtant la conséquence de l’interdiction prononcée, encore accentuée par la décision de supprimer les marquages des rochers, juste au moment où ils viennent d’être refaits. Il ne pourrait pas y avoir de pire signal pour la poursuite de l’escalade, non seulement à Étréchy, mais partout où des blocs permettent d’en faire.

Et s’il existe des blocs « dangereux », l’escalade est une des activités qui permet d’en juger et de rendre responsable dans son activité le pratiquant qui doit justement être capable de mesurer le risque qu’il prend en s’engageant dans une ascension. C’est d’ailleurs une des dimensions éducatives les plus importantes de l’escalade que d’apprendre à ses pratiquants à gérer un risque, apprentissage auxquels sont très sensibles tous les éducateurs qui s’y consacrent comme le prouve encore une fois la faible accidentologie qu’elle implique.

Les associations et organismes contribuant à développer la pratique de l’escalade en forêt, (Le collège Le Roussay, la municipalité d’Étréchy, le Cosiroc, la FSGT, l’UNSS, la Communauté de communes entre Juine et Renarde, le club FFME d’Étréchy) ont demandé une réunion avec la directrice de l’AEV, en lui demandant de revenir sur cette décision. On ne peut qu’espérer que cette demande sera entendue, mais en attendant, il semble nécessaire d’être prêts à se mobiliser pour que cette décision ne créé pas un précédent qui ferait d’Étréchy et du 21 octobre un lieu et une date signifiant un freinage absurde dans le développement de l’escalade, au moment où elle explose dans le monde entier.

Publié le : 28 décembre 2022 par Charles Loury

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