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Interdictions en falaise : entretien avec Alain Carrière, président de la FFME

- Le 19 décembre 2022 -

Nous publiions il y a quelques semaines l’article Escalade interdite, pourquoi votre falaise pourrait-être concernée ?. Derrière ce titre volontairement alarmiste, nous voulions attirer votre attention sur les possibles répercutions inquiétantes de la fermeture, toujours temporaire, de la falaise historique de Saffres. Les points de vues de la Mairie et du Comité départemental vous permettant de comprendre les enjeux et les difficultés des deux parties.

Depuis Saffres, Vieux Château, Brochon et Arcenant sont également sous le coup d’un arrêté temporaire. Devons-nous avoir peur que cette flambée en Côte-d’Or se poursuive dans toute la France ?

Alain Carrière, président de la FFME, a souhaité apporter des précisions sur la situation des falaises en France.

Nombreux sont les arrêtés d’interdiction qui tombent en ce moment sur nos falaises, et le déconventionnement semble en être la cause.

Il faut relativiser ces affirmations, il y a aujourd’hui plus de 2000 sites naturels d’escalade, la FFME a dénoncé près de 1000 conventions pour les raisons que nous vous avons exprimé il y a maintenant près de deux ans et nous connaissons, selon nos informations, moins d’une dizaine d’arrêtés municipaux d’interdiction dont certains temporaires le temps de trouver avec elle une solution qui les rassure. Moins d’une dizaine, sur 1000 cas, on ne peut affirmer qu’ils sont nombreux.

Dépossédés de leur lieu d’expression, les grimpeurs de falaises oscillent entre incompréhension (qui les mène souvent à la colère) et peur. La peur de voir leur passion être littéralement dénaturée et se limiter à la salle.

Vous semblez considérer que la pratique en salle dénature l’escalade ? La FFME ne cautionne pas cette approche et considère que toutes les facettes de l’escalade sont intéressantes et complémentaires, des voies en salle aux grandes voies, de la pratique loisir à la compétition de haut niveau.
Certains grimpeurs devraient tenter de s’approprier les questions complexes du développement des sports de plein air. Nous devons partager les espaces, considérer que nous pratiquons toujours chez un propriétaire qui n’est pas obligé de laisser l’accès à ses terrains au seul motif de l’intérêt que nous voyons dans nos passions verticales et que les plaquettes et autres scellements ne tombent pas du ciel.

Chacun est responsable de ses actes, de nombreuses questions assurantielles se posent immanquablement à tous.
Les temps et les modalités d’accès aux espaces naturels ont changé et le nombre des grimpeurs a augmenté considérablement. La posture du « c’était mieux avant » ne permet pas de régler les questions posées par le développement de l’activité et par les attendus d’une société toujours plus sécuritaire et judiciarisée.

Signalétique maison

Que répondez-vous aux grimpeurs qui pensent que la fédération se désintéresse de la pratique en falaise au profit de la compétition ?

Notre avis est très clair, c’est un procès d’intention totalement faux et dénué de sens. Rien de plus facile et de plus vain que de critiquer les organisations pour ne pas s’engager soi-même ! La FFME accueille bien volontiers tous les grimpeurs qui veulent s’engager, ses décisions sont prises dans le respect de ses statuts et donnent lieu à des échanges nourris entre ses représentants. La FFME c’est avant tout environ 110 000 licenciés, 1000 clubs, 82 comités territoriaux et 16 ligues. Des acteurs de terrain qui ont largement participé à travers le demi-siècle d’existence de la fédération a façonné l’escalade d’aujourd’hui et qui continuent de défendre leur terrain de jeu. Prétendre que la fédération se désengage, c’est manquer de respect à ces milliers de passionnés.
En tout état de cause, la FFME est toujours extrêmement engagée sur la question de l’escalade en falaise :

  • défense de l’accès
  • travail législatif qui a conduit aux évolutions que l’on connait
  • aides financières à des projets d’équipement ou d’entretien bien pensés
  • mise en place d’un fonds de dotation Rockclimber visant à récolter des fonds sous forme de dons pour participer au financement de l’entretien et de l’aménagement des sites
  • définition des normes d’équipement et de classification des sites
  • travail sur la normalisation des matériels, expertise et conseil juridique et technique pour les propriétaires…

Les comités territoriaux discutent, négocient pas à pas les autorisations d’accès, entretiennent, équipent les falaises, informent les utilisateurs, éditent des topos, interviennent dès qu’une alerte de sécurité est portée à leur connaissance ! En un mot, la FFME défend les grimpeurs et permet un accès aux falaises gratuit encore aujourd’hui et ce tous les jours de l’année.

Mais il est vrai que nous avons aussi dans nos obligations celles d’organiser les compétitions nationales et de sélectionner des équipes de France. Et nous n’avons pas à en rougir quand nous voyons la qualité de notre circuit national et les performances de nos athlètes français.

L’arrêté d’interdiction est-il le seul moyen actuel de protection des petites communes propriétaires qui ne peuvent faire face à la charge juridique et financière d’une falaise ?

Les arrêtés d’interdiction que nous connaissons ne sont pas motivés par des questions financières mais essentiellement par des questions de responsabilité.

Nous comprenons que les petites communes soient inquiètes quant à la prise en compte de cette nouvelle situation. La FFME est à l’écoute des collectivités : nous discutions avec elles. La FFME se veut être une aide à la bonne gestion des sites.Par ailleurs, il faut signaler que ces arrêtés sont fragiles juridiquement, l’absence d’une convention avec une fédération ne peut pas les justifier. Le maire peut interdire l’accès à des espaces quand des questions de sécurité réelles et objectives sont en jeu. Ces interdictions doivent reposer sur un risque avéré d’insécurité que la commune peut prévenir par des mesures de police moins contraignantes qu’une interdiction pure et simple.
Si nous élargissons la question, avec ce raisonnement, un maire pourrait interdire toute pratique sportive sur son territoire pour des questions de responsabilité sans aucune justification. Le législateur n’a pas donné aux maires ce type de pouvoir.
La FFME est toujours dans une position d’ouverture, d’écoute et de proposition. Nous sommes aux cotés des collectivités pour tenter de trouver des solutions partagées et pérennes.
Interdire n’est pas se protéger pour une collectivité. Gérer intelligemment l’accès au site et l’information du public, l’aménagement, les parkings et l’entretien dans des relations équilibrées entre les acteurs est la meilleure des protections. Encore une fois, la grande majorité des collectivités ont entendu la fédération et compris ce raisonnement.

Exemple de gestion positive de la falaise du Ouaki sur l’île de la Réunion.

La notion de responsabilité sans faute de la nouvelle loi semble pourtant dédouaner les propriétaires de leur responsabilité, mais est-ce le cas ?

Sur ce sujet, il convient d’être précis : l’ambition du nouveau texte est de tenter de limiter les possibilités d’engagement de la responsabilité civile sans faute des propriétaires (des gardiens) en cas de sinistre.
Pour être très clair, le nouvel article L.311-1-1 du code du sport prévoit :
« Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1 du code civil lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée ».
Le texte est d’application générale et ne se limite pas à l’escalade : il concerne tous les sports de nature car les questions de responsabilités sont identiques.
Pour votre information et en complément, le commentaire du Dictionnaire Permanent du Droit du Sport éclaire l’avancée de ce texte dans le paysage législatif et jurisprudentiel et les incertitudes qui demeurent :
« Ce texte prévoit donc un régime d’exonération partielle, celle-ci étant conditionnée en effet à la réalisation d’un risque « normal et raisonnablement prévisible » inhérent à l’activité sportive pratiquée. En d’autres termes, ce n’est que si l’accident résulte d’un tel risque que le gardien d’un site naturel pourra prétendre à être exonéré de sa responsabilité de plein droit.
Reste à savoir toutefois quel sera l’impact concret de cette évolution législative sur la jurisprudence en matière d’accidents de sports de nature imputables aux sites de pratique (on pense notamment aux chutes de pierres). Comment le juge judiciaire va-t-il apprécier la notion de « risque normal et raisonnablement prévisible » ? Très probablement en prenant en compte notamment le comportement de la victime, le degré d’aménagement du site, la signalisation des dangers particuliers, etc…
Plus généralement, le juge sera-t-il prêt, sur le fondement d’un texte législatif laissant place à l’interprétation, à sacrifier l’indemnisation d’un pratiquant sportif ayant subi un grave préjudice à la suite d’un accident sur l’autel de l’acceptation du risque ? L’avenir le dira…
Toujours est-il que la disposition commentée devrait, dans l’immédiat, rassurer les propriétaires et gestionnaires de sites naturels, à commencer par les collectivités publiques qui sont en première ligne sur la question du développement des sports de nature. Et cela est déjà en soi une bonne chose. »

Cette loi doit-elle encore évoluer pour définir le risque normal et anormal ?

La question ne se pose pas en ces termes mais travailler sur un nouveau texte prévoyant une exonération totale de la responsabilité civile des propriétaires sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1 est une piste que la FFME étudie et qui est compliquée ; ce qui prévaut aujourd’hui dans les décisions de justice est l’indemnisation des victimes.
Là encore, c’est un travail de longue haleine. Mais aujourd’hui, la FFME doit au préalable terminer la sortie des anciennes conventions d’usage en continuant de limiter au maximum les interdictions.

L’ancien modèle de conventionnement faisait reposer toute la responsabilité sur la FFME, ce que la fédération ne peut plus assumer aujourd’hui. Quel modèle proposez-vous aux propriétaires ?

Un partage des responsabilités plus simple et plus juste :

  • La collectivité au sens large (communes, EPCI, département) assume la responsabilité de l’ouverture des espaces au public. C’est son rôle.
  • La FFME, quand elle en a la capacité par l’intermédiaire de ses comités ou d’un autre acteur, assume la responsabilité quant à l’entretien et l’aménagement des sites. Les actions d’équipement et d’entretien sont détaillées dans un guide spécifique.

Ce partage semble équitable : très nombreuses sont les collectivités à avoir compris l’importance de la filière escalade sur le plan touristique. Il parait donc juste que les propriétaires publics assument leur volonté d’offrir des espaces de pratique à leurs administrés et qu’ils trouvent des prestataires compétents pour les opérations d’équipement et d’entretien.
Le code du sport (art L.311-3) et le code de l’urbanisme (art L.113-6) encadrent parfaitement les possibilités des collectivités dans ce type de dispositif.
Dans ce nouveau modèle la FFME se positionne, notamment avec ses comités territoriaux, comme un expert mettant au service de tous ses compétences et ses conseils. Elle peut également participer au financement des opérations d’entretien et d’aménagement.

Les Gorges du Tarn, l’escalade comme modèle d’attractivité touristique.

Une augmentation du prix des licences ne permettrait-elle pas d’assumer le coût assurantiel en cas d’accident ?

Non car ce n’est pas le rôle d’une fédération sportive d’assumer ce type de risques et, par extension, ce n’est pas aux 110 000 licenciés de la FFME de le faire pour les millions de pratiquants français et étrangers sur le sol français. La FFME refuse aujourd’hui d’assumer ce type de risque pour les propriétaires des falaises et l’ensemble des grimpeurs qui ne sont finalement peu à être licenciés.
Par contre, une augmentation non du prix de la licence mais du nombre de licenciés serait intéressant. Mais nous ne pensons pas qu’il soit possible ni même souhaitable de rendre la prise de licence obligatoire pour pouvoir grimper en falaise. Les grimpeurs devraient accepter les risques qu’ils choisissent de prendre et s’interroger sur les assurances qui les couvrent dans leur pratique sportive, et souscrire des garanties susceptibles de couvrir l’intégralité des dommages dont ils peuvent être victimes. Cela a inévitablement un cout très supérieur aux habitudes françaises sur ces questions. Aujourd’hui, il est plus aisé de rechercher la responsabilité d’un tiers qui peut être le propriétaire, son partenaire de cordée, demain peut-être l’équipeur du site… que de faire soi-même les bons choix.

Qui prenait en charge le coût de l’entretien des falaises avant que vous ne proposiez des contrats d’entretien payants aux propriétaires ?

Il n’y a pas une réponse unique à cette question.
Souvent, ce sont les équipeurs bénévoles qui assument cette charge sur leurs deniers personnels.
Dans de nombreux cas, les comités territoriaux de la FFME finançaient tout ou partie des équipements en s’appuyant sur les produits des topos qu’ils éditaient. Par ailleurs, des aides des collectivités sont depuis longtemps dédiées à cette mission ; ce n’est pas nouveau que nos comités territoriaux obtiennent des aides pour équiper les falaises, à travers des subventions ou des contrats d’entretien. Parfois, des entreprises privées fournissaient le matériel, sans oublier les différents clubs, les autres fédérations, les professionnels … Beaucoup d’acteurs doivent être remerciés pour leur engagement.
Il faut noter que les grimpeurs, principaux bénéficiaires, ne participaient jamais en direct à ces coûts jusqu’à aujourd’hui, pour autant rien n’est gratuit. Une prise de conscience collective des pratiquants est nécessaire et de nombreuses possibilités existent pour contribuer à l’entretien et la pérénisation des sites, dont, en premier lieu, la prise d’une licence à la FFME ou un don à Rockclimber.

Equipeur bénévole

L’escalade libre comporte en son sein de nombreux équipeurs qui ont œuvré sans conventionnement. De multiples falaises sont ainsi grimpées sans que la fédération soit impliquée. Que risque ces grimpeurs hors cadre ? Le conventionnement est-il si indispensable ?

Les équipeurs peuvent voir leur responsabilité engagée si un accident leur est imputable, par exemple, pour défaut dans les équipements qu’ils ont placés. Les règles générales de la responsabilité civile s’appliquent.

Les équipeurs qui interviennent sans même prévenir les propriétaires, sans rechercher leur autorisation, se placent également dans des situations pouvant être compliquées.

Les propriétaires supportent sans le savoir une situation de risque juridique. Ceux d’une activité sportive se déroulant « clandestinement » sur leurs terrains et dont ils restent civilement responsables (art 1242 alinéa 1 du code civil). Cette manière d’agir n’est pas souhaitable.

Le principe du conventionnement, c’est-à-dire du transfert de la garde juridique du propriétaire sur un tiers, n’est pas indispensable si le propriétaire a la volonté d’autoriser le public à accéder à ses terrains pour la pratique sportive.

Les fédérations ne peuvent-elles pas s’allier pour sauvegarder la pratique en falaise ?

Nous le disons encore une fois très clairement : la pratique de l’escalade en falaise n’est pas aujourd’hui menacée.
Évidemment, la FFME a présenté à toutes les fédérations sportives de plein air ses problématiques et l’évolution de sa stratégie quant à l’escalade en site naturel.

Faudrait-il créer un organisme exclusivement porté sur la gestion des falaises ?

Un tel projet pose toujours les mêmes questions : quelle forme juridique, quels moyens d’actions, quelle gouvernance et surtout pour quoi faire ?

Il nous semble que la bonne gestion des falaises passe par un engagement des collectivités territoriales quand la promotion des activités sportives les intéresse, ce qui est souvent le cas. Par ailleurs, l’évolution de la loi a été une première étape prometteuse et d’autres avancées peuvent être envisagées. Le changement est toujours difficile, les grimpeurs, toujours plus nombreux, doivent être prêts à partager les espaces, à devenir des acteurs de leur pratique et non plus de simples consommateurs.

La pratique du bloc en site naturel pose-t-elle les mêmes questions ?

Il n’y a pas de différence sur les questions de responsabilités entre le bloc et la falaise, entre l’escalade et la randonnée, entre l’escalade et le VTT. Les impacts financiers sur l’aménagement des sites sont par contre bien différents, de même que les accidents graves pratiquement inexistants à ce jour en bloc.

Retrouve-t-on les mêmes problèmes dans d’autres pays ? Existe-t-il des modèles dont on peut s’inspirer ?

Il est difficile de répondre à cette question car les règles juridiques, les conditions d’accès aux espaces diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Il y a le cas de la France avec ces accès totalement libre et gratuit mais ce n’est pas le cas dans d’autres pays avec des accès payant selon les sites.

Les questions assurantielles sont très différentes elles-aussi, il suffit pour cela de se pencher sur la question de la prise en charge frais médicaux à l’étranger notamment aux USA, Canada, Japon…

Les spécificités du droit de la responsabilité -notamment sans faute – sont, elles-aussi, bien françaises et constituent le principal obstacle au développement des sports de nature au sens large.

Il parait difficile de calquer un modèle sur un autre. Des tendances semblent néanmoins se dégager en Europe : c’est la présence grandissante des collectivités dans la gestion des sites et la prise en compte des questions environnementales.
Il reste beaucoup de défis à relever pour les générations actuelles et futures de grimpeurs afin que l’escalade reste le sport extraordinaire d’aujourd’hui. La FFME et ses comités territoriaux vont continuer à jouer un rôle de premier plan, pour pérenniser l’accès aux sites d’escalade pour tous en France. Si l’ensemble de la communauté des grimpeurs rejoignait ses 110 000 licenciés, nul doute que son action dans ce domaine, serait bien plus forte.