Les grimpeurs sont-ils vraiment plus forts maintenant ?
Thomas Ferry, entraîneur et préparateur physique spécialisé dans l’escalade, s’interroge sur son blog: les grimpeurs sont-ils vraiment plus forts maintenant qu’avant ? Éléments de réponse:
On parle désormais de 9A en bloc. On entend dire que les jeunes sont plus forts que leurs prédécesseurs au même âge. On voit des cadets se surclasser et se qualifier en senior pour les championnats de France. On voit des mutants survoler quelques compétitions internationales. Alors, que faut-il penser de tout cela ?
Je n’inventerai rien. Voici, par écrit, une copie du discours de David Epstein, avant bien sûr de faire le parallèle avec la grimpe. A ce moment-là seulement, je me permettrai quelques remarques un peu piquantes sur notre discipline, mais aussi sur ma vision de l’entraînement.
Le matériel
1936, 100m : Jesse Owens remporte le 100 mètres en 10.2 secondes. En 2013, Usain Bolt réalise un chrono de 9.77 secondes. Dans une course virtuelle, il resterait 4.3 mètres à parcourir à Owens au moment où Bolt franchirait la ligne d’arrivée.
L’un courait sur des cendres, l’autre avale une piste conçue pour améliorer les performances. Le premier creusait deux trous avec une truelle, le second profite chaque jour de starting blocks.
1954, 1500m : Roger Bannister devient le premier homme à passer sous la barre des 4 minutes au 1500m. En 2013, 1314 coureurs ont réalisé cette performance. Selon des expertises biomécaniques, la piste en cendres rend la course 1.5% plus lente que les pistes modernes. Sur les 1314 coureurs, il n’en resterait que 530, soit 10 nouveaux coureurs par an depuis 1954.
Cela fait encore beaucoup de coureurs, même si évidemment le nombre de pratiquants a fortement augmenté.
Le 100m nage libre : le record n’a cessé d’être battu depuis les années 50. Tout d’abord avec l’introduction du virage en 1956, puis avec les gouttières au bord de la piscine pour limiter les remous, et enfin l’arrivée des maillots et combinaisons à faible frottement (qui ont tant fait parler !).
Cyclisme, record de l’heure : c’est en 1972 qu’Eddy Merckx a battu le record, avec 49.431km parcourus. Au fil des décennies, le record a lui aussi été régulièrement battu, pour atteindre 56.375km en 1996. Depuis l’année 2000, l’UCI a décrété que celui qui voudrait battre le record devrait le faire avec l’équipement de 1972. A l’heure actuelle, la meilleure performance est de 49.7km, soit 270m de plus qu’Eddy Merckx.
La technologie est donc au cœur de nombreux records.
Les spécificités du corps
Durant la 1ème moitié du 20ème siècle, on pensait qu’il existait un gabarit moyen préconisé pour l’ensemble des sports. Le lanceur de poids avait sensiblement les mêmes caractéristiques que le sauteur en hauteur.
Et puis, au fil des années, on a pris conscience que les disciplines ne demandaient pas toutes les mêmes qualités. Aujourd’hui, le sauteur en hauteur fait 6cm de plus en moyenne que le lanceur, et le lanceur fait 59kg de plus que le sauteur. David Epstein évoque le « big bang des types corporels ».
Le basket : à partir de 1983, la NBA autorise les clubs à parcourir le monde pour trouver les joueurs dont ils rêvent. La proportion des joueurs de plus de 2m13 a doublé. Si vous avez entre 20 et 40 ans aux États-Unis, et que vous mesurez plus de 2m13, alors vous avez statistiquement 17% de chances de jouer en NBA !
A l’inverse, en gymnastique, la taille moyenne est passée de 1m60 à 1m45 pour l’élite mondiale.
La taille, mais aussi les proportions : pour de nombreuses personnes, l’envergure des bras est quasiment égale à leur taille. Pas pour les basketteurs, qui ont de plus longs bras !
Des études montrent qu’au waterpolo la taille des avant-bras par rapport à la longueur totale du bras a augmenté au fil des années.
En natation, on sait qu’il est préférable d’avoir un long torse et de petites jambes, et inversement pour la course. Michael Phelps (nageur bien connu !) et Hicham El Guerrouj( record du monde du 1500m ont 18cm d’écart de taille, mais portent des pantalons de même longueur… Oui, ils ont la même longueur de jambes, alors qu’ils ont presque 20cm d’écart !
Les spécificités « génétiques » contribuent largement à l’amélioration des performances.
David Epstein évoque enfin la piste mentale. La conférence est disponible ici :
Mais pour aller plus loin, et il l’évoque tout à la fin, il faut absolument regarder cette vidéo sur les croyances (en bas de page) :
http://prepagrimpe.com/prep-mentale/les-croyances
Et l’escalade dans tout ça ?
Dire que le matériel contribue à la réussite sportive, au dépassement des records, c’est facile, et cela semble évident. Affirmer que certains gabarits conviennent mieux que d’autres en fonction des disciplines, c’est aujourd’hui admis.
Combien de fois entendons-nous à propos de l’escalade : « ah il est grand et fin, il est fait pour grimper ». Mouais. Mouais ?!
Combien de fois entendons-nous que les petits musclés sont faits pour le bloc. Combien de fois entendons-nous que telle personne est trop lourde. Avant, on ne pensait pas comme ça, peut-être aussi parce qu’on envisageait le sport comme un ensemble de disciplines à pratiquer, et non une hyper spécialisation.
Ce qui me touche, ce qui me pique surtout, c’est qu’à matériel comparable on est à peine fichu de battre des records établis plusieurs décennies auparavant ! Les études en physiologie sont nombreuses, les formations d’entraîneurs de plus en plus poussées…pour quels résultats ? Les entraîneurs sont-ils des imposteurs ? Donc, encore une fois, je signe et je persiste, ce n’est pas la planification qui rend plus fort, mais le sens que vous allez lui donner, toutes les croyances limitantes que vous allez faire tomber, et toutes les croyances aidantes que vous allez exploiter. Faire n’importe quoi apportera beaucoup plus qu’un entraînement minutieux si vous croyez en ce que vous faites. C’est ce que je répète sans cesse.
- La suite à lire sur prepagrimpe.com