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Dans les coulisses d’une victoire en Coupe du Monde, avec Manu Cornu

Dimanche 28 avril 2019, 20h35. Chongqing, Chine.

Manu Cornu entonne la Marseillaise, sur la plus haute marche du podium. Bouquet de fleurs entre les mains, médaille d’or autour du cou, le jeune grimpeur de 25 ans savoure sa victoire. Sa première victoire en Coupe du Monde. Après des années de travail acharné, le français concrétise enfin ce dont il se sent capable depuis longtemps: remporter une compétition internationale d’escalade.

Cette victoire, il est allé la chercher, avec ses tripes, avec sa rage qui le caractérise tant. Son mental de guerrier ne lui a pas fait défaut. En ce dimanche 28 avril 2019, le fauve est sorti de sa cage et s’est exprimé. Pourtant, le chemin n’a pas été facile pour en arriver là.

Manu a accepté de revenir avec nous en détails sur la finale de cette compétition, qu’il n’est pas prêt d’oublier. Immersion dans les coulisses d’une victoire en Coupe du Monde, avec Manu Cornu.

La Marseillaise chantée sur le podium restera le plus beau souvenir de Manu Cornu © IFSC

Des qualifications sous tension !

Un essai supplémentaire dans l’un de ses cinq blocs de qualification et Manu Cornu ne rentrait même pas en demi-finale de la Coupe du Monde de Chongqing… C’est dire si une victoire mondiale se joue à d’infimes détails.

Le français a figuré un long moment à la 10ème et dernière place qualificative de son groupe samedi après-midi. Si l’un des grimpeurs restants faisait mieux que lui, Manu passait de l’autre côté de la ligne, et la compétition s’arrêtait là pour lui. Mais après de longues minutes de suspens, la fin des qualifications sonne: aucun grimpeur ne fera mieux que lui.

Il avait réalisé le bloc 1 en deux essais, puis le bloc 2 à vue, mais avait buté dans le troisième bloc de qualification, se contentant de valider la zone. Heureusement, il se rattrapait dans les deux derniers blocs qu’il enchaînait en trois essais. Au bilan samedi soir, 4 blocs en 9 essais et 5 zones à son actif, de quoi récolter le dernier billet qualificatif pour les demi-finales du lendemain. Un essai de plus et tout s’arrêtait là pour lui.

Je sais que dans le sport tout est possible ! Je supporte le PSG… tu n’as qu’à voir… je me suis réveillé avant ma demie en apprenant qu’on venait de se faire battre par des bretons après avoir mené 2-0, enfin bref, tout ça pour dire que les remontadas c’est courant par ici !

J’ai aussi une stat’ qui montre qu’à chaque fois que je suis 10ème des qualifs, je passe en finale. Je suis parti dans ma demie en étant sûr que ça allait bien se passer, je me suis fait secouer mais j’ai bien bougé dans tous les styles et j’ai osé prendre des risques.

Un suspens à son comble lors des qualifications samedi © Sylvain Chapelle

Une demi-finale qui secoue Manu !

Ayant été le dernier grimpeur à décrocher sa place en demi-finale, c’est donc en première position que Manu Cornu s’est élancé le lendemain. C’est lui qui nous offrira le premier top de la journée, dans le quatrième bloc des demi-finales. Car il aura fallu attendre la fin de son circuit pour que Manu signe son seul et unique top de la matinée, qui lui vaudra sa place en finale. Et quel scénario incroyable encore une fois…

Le bloc 4 des demi-finales proposait un départ aléatoire en équilibre, puis il fallait jouer avec son centre de gravité pour trouver la bonne position permettant de remonter une inversée bien plate pour envoyer sur le dernier mouvement.

Après dix essais, Manu n’a toujours pas trouvé la solution. À 25 secondes de la fin du temps réglementaire, il se lance alors dans un dernier essai. Il arrive au crux à 10 secondes de la fin et cette fois, il décide de shunter la remontée d’inversée pour jeter directement sur la dernière prise. Alors que le chrono n’affiche plus que 4 secondes au compteur, Manu Cornu a les deux mains fermement accrochées sur la dernière prise. De justesse, il vient d’enchaîner le dernier bloc des demi-finales, de quoi lui permettre de prendre la 4ème place du classement et décrocher son ticket pour la finale.

Manu enchaîne le dernier bloc des demi-finales de justesse

Pourtant, la partie n’était pas gagnée d’avance. Quelques minutes avant, alors qu’il tente en vain d’enchaîner le deuxième bloc des demi-finales, Manu tombe du sommet du mur et se réceptionne fermement sur le dos. Une chute spectaculaire qui rend vaseux notre français.

Je suis parti de l’hôtel le soir des finales avec une réelle intention: ramener la coupe à la maison ! Mais avant ça, je n’ai pas hyper bien vécu ma demi-finale, avec un moment où j’étais dans les vapes suite à une chute dans le bloc 2, je me suis posé la question de savoir si je n’allais pas arrêter pour aujourd’hui. J’avais des vertiges, mais après m’être versé de l’eau sur le visage, j’y suis retourné et j’ai fini le tour.

J’ai ensuite été pris en main par notre kiné qui a passé du temps à me remettre sur pied pour la finale. Un grand merci à elle pour s’être occupée de moi. Puis, je me suis préparé mentalement à grimper encore une fois.

La chute de Manu Cornu dans le deuxième bloc des demi-finales © IFSC

Dans la tête de Manu Cornu, avant les finales

Quelques heures de repos plus tard, les six meilleurs grimpeurs du week-end avaient rendez-vous une dernière fois pour faire face au fronton de bloc. Un dernier round, qui sacrerait le vainqueur de cette troisième étape de Coupe du Monde de bloc de la saison. Au moment de la présentation des finalistes, c’est un Manu Cornu extrêmement concentré qui fait face à la foule.

Tout au long de la finale, j’étais hyper concentré. Je connais la difficulté de rentrer en finale, alors il ne faut pas passer à côté ! Les années précédentes je n’arrivais pas à grimper en finale, j’ai travaillé ce point la saison dernière, mais la chance ne m’avait pas souri à Meiringen en tombant à tous les derniers mouvements.

Ce coup-là, je me suis dit “il est interdit de passer à côté et de ne pas concrétiser !” Je me suis assez gâché et battu cette année pour ne pas saisir ma chance ! Comme je l’ai dit plus haut, quand je suis parti de l’hôtel, c’était pour aller gagner !

Quand je suis arrivé à l’échauffement, je me suis tout de suite senti bien, j’ai parlé un peu avec les suisses, j’ai fait quelques coordinations, j’avais de bonnes sensations, de bons timings, ça m’a vite mis en confiance. Puis on est parti à la présentation des finalistes, suivi de la lecture juste après.

Manu, prêt à en découdre © Sylvain Chapelle

Un premier bloc qui donne le ton

Le premier bloc d’un tour de finale donne souvent le ton aux grimpeurs. Et quand le russe Alexey Rubstov, n°4 mondial et premier finaliste à s’élancer le soir des finales, doit s’avouer vaincu dans ce premier passage, nous ne nous attendions pas ensuite à cinq tops consécutifs. Pourtant, tous les autres grimpeurs viendront à bout de ce premier bloc, qui demandait coordination au départ, suivi d’un réta précaire pour atteindre la dernière prise.

Manu Cornu arrive face au bloc déterminé. Lors de son premier essai, il chute dans le mouvement en coordination. Mais moins de 15 secondes plus tard, le français repartait déjà pour un second run. Cette fois, il négocie le premier mouvement à la perfection. Le réta n’est qu’une formalité pour Manu, qui valide donc en deux essais ce premier bloc. Le ton était donné.

Je découvrais le premier bloc, une coordination et un réta et je me demandais quelle méthode choisir pour le jeté, j’avais assez vite compris ce qui avait été prévu par les ouvreurs, mais avec mes qualités je me disais que je pouvais faire autres choses. J’avais trois versions en tête, finalement je n’ai pas trop pris de risques j’ai essayé comme ça a dû être prévu, mais j’aurais pu changer si ça n’étais pas passé. J’avais 0 doute sur le réta.

Le bloc 1 me met toujours en confiance. Quel que soit le tour, c’est le bloc qui me lance dans la partie et celui-ci me correspondait bien, je me sentais prêt avant et après !

Manu dans la coordination du bloc n°1 © IFSC

Un combat légendaire dans le bloc 2

Ce deuxième bloc a marqué un tournant dans la compétition. Il ne sera enchaîné que par trois grimpeurs: Alexey Rubstov et Tomoa Narasaki, qui réalisent le bloc à vue et Manu Cornu, qui le valide lors de son deuxième essai. Il faut dire qu’au regard l’intensité physique que les mouvements demandaient, il valait mieux privilégier des essais qualitatifs plutôt que quantitatifs.

Et ça, Manu l’avait très bien compris dès la lecture du bloc.

Dans le bloc 2 je me suis dit “c’est physique mais il y a des pieds, du volume, tu peux réussir à serpenter, il faut faire attention à la boule elle a l’air de demander une arrivée assez précise, ça va le faire avec une bonne baston !”. Je me sentais de le faire et je savais qu’il allait falloir se battre, mais je ne m’attendais pas à devoir aller aussi loin dans l’effort.

Le tricolore nous propose alors un deuxième run mémorable. Après avoir négocié les premiers mouvements parfaitement, il se lance dans la partie la plus déversante, proposant le passage le plus physique des finales. Tout le clan français encourage Manu, qui puise toute son énergie pour lutter contre la gravité. À chaque mouvement, il donne tout ce qu’il a et alors qu’on l’imagine tomber à plusieurs reprises, le français est toujours accroché sur le mur. Précis, il parvient à tenir cette boule infâme, qui lui permet d’engager le dernier mouvement et d’arriver sur la prise finale. Il vient alors de toper le second bloc des finales. Il pousse un cri de soulagement, juste avant de regagner l’isolement.

Je suis passé par plusieurs états dans ce bloc. Après mon premier run je me suis dit “merde c’est extrême de retenir ce volume”, je n’étais pas très serein, puis j’ai pris mon temps, j’ai analysé, démystifié le mouvement, j’ai envoyé mon run un peu plus tôt que prévu, mais je me sentais dans un bon mood.

Je suis resté hyper lucide tout le long du bloc et j’avais l’impression que les secondes étaient des minutes: j’ai eu le temps de me dire pleins de choses, “le pied un peu plus haut et tu gaines fort”, “traîne pas, vas à la boule et sois bien précis”, “putain ma séance de souplesse”, “monte haut sur les bras, c’est maintenant, je l’arrache du mur, impossible de tomber au dernier mouvement” et là j’avoue que j’ai un peu un trou… je ne me souviens pas avoir ramené, je ne me rappelle pas m’être retourné… je me souviens juste être sur le tapis et “rugir” 🐯 en me disant “putain je l’ai fait !”

Le fight incroyable de Manu Cornu dans le bloc 2 ultra physique des finales

Démonstration dans le troisième bloc

Changement de style de nouveau dans le bloc 3. Cette fois, dans cette partie verticale du mur, les ouvreurs ont voulu faire appel au talent d’équilibriste des grimpeurs. Tous l’enchaîneront, en plus ou moins d’essais. Le slovène Anze Peharc mettra six essais, le japonais Tomoa Narasaki deux, après avoir loupé son départ la première fois. Manu Cornu mettra tout le monde d’accord en réalisant un impressionnant à-vue de ce bloc. Au pied du mur, on le sent concentré et calme. C’est d’ailleurs cette sérénité qui l’emmènera au sommet. Il décide de prendre son temps et d’assurer chacun de ses mouvements. Au total, son essai durera près d’une minute.

Mais il le sait en descendant, il vient de marquer des points pour le podium. Car à ce moment-là de la compétition, seuls Tomoa Narasaki et lui ont enchaîné les trois premiers blocs des finales.

Je n’ai eu aucun doute, je savais que j’allais le faire, ça m’a rappelé le bloc 1 de la finale des Championnats de France. Je savais que ça allait être un bloc où il fallait être appliqué, grimper juste, être dans les bonnes méthodes et alors déjà le bloc serait à moitié fait. J’ai fait confiance à mes pieds et mes mains, j’avais l’impression de pouvoir zipper à tout moment sur le grain de ces volumes chinois, et là c’est le à-vue… Bingo !

Pendant ce temps-là, en isolement, j’étais assez détendu … Je faisais de très courts calculs, je savais quel grimpeur avait un bloc ou pas, mais je n’avais aucune idée du nombre d’essais, je ne pensais pas être si bien placé.

Un bloc 4 difficile à négocier

Je me suis dit “ok, la coordination j’en ai déjà ouverte une dans le passé dans ce style, je connais un peu l’idée du timing à avoir, après c’est des pomos, une pince, je vais le faire !”

Mais finalement, ce bloc ne se laissera pas dompter si facilement… Manu devra se contenter de la zone, qu’il valide au premier essai. Un détail qui fait toute la différence. Car s’il avait mis un essai supplémentaire pour valider cette prise de zone, située après le mouvement dynamique, il n’aurait pas remporté cette Coupe du Monde.

Finalement le quatrième problème sera le seul bloc à résister aux assauts de Manu © IFSC

La consécration !

Manu, premier du classement provisoire, doit alors attendre le passage de Tomoa Narasaki, qui est le seul à pouvoir lui truster la première place. Pour cela, il suffit au japonais d’enchaîner le bloc, peu importe son nombre d’essais.

Ce moment-là était horrible, on me fait passer l’info pendant le run de Kokoro Fujii que si Tomoa Narasaki fait le bloc, il me passe devant au classement. À partir de là, j’ai tout de suite su que j’allais passer un mauvais moment. Je connaissais le grimpeur qui arrivait, Tomoa, et il est capable de tout ! Pendant les 4 minutes, je marchais devant ma chaise, je ne tenais pas en place… et puis ça l’a fait !

Oui, comme le dit si bien Manu, ça l’a fait ! Tomoa Narasaki ne réalisera pas ce bloc, qui sera uniquement topé par Anze Peharc.

Et c’est là que la zone validée au premier essai par Manu Cornu prend tout son sens. Car seul un essai de zone sépare le japonais de notre français. Tous deux ont enchaîné trois blocs. Tous deux l’ont fait en cinq essais. Tous deux ont validé les quatre zones. Mais Manu a mis cinq essais pour valider ces quatre zones, soit un essai de moins que Tomoa. C’est donc à cela que s’est jouée cette victoire mondiale.

À ce moment-là, on ressent beaucoup de fierté, c’est l’accomplissement d’un long week-end et bien plus ! Je saute dans les bras de Sylvain, qui m’a entraîné l’an passé, on échange deux 3 mots, je croise les regards de mes potes de l’équipe qui eux réalisent plus que moi et là je te censure la suite, il y a trop de monde ici 😝

Je me suis préparé avec beaucoup de rigueur cette année et je me sens de mieux en mieux, mais j’ai encore quelques réglages à faire. Mon début de saison a été moyen, mais à chaque compet je progressais. Aujourd’hui la gestion des tours commence à être vraiment bonne, je pense que ça a été l’une des clefs sur cette étape.

Cette victoire me montre que c’est possible, mais dans le fond je le savais déjà, sauf qu’à présent c’est concret, ça donne de la motivation supplémentaire.

Le podium de cette Coupe du Monde © IFSC

Manu Cornu, un prétendant sérieux au combiné olympique

Si la performance de Manu en bloc est tout à fait admirable, il ne faut pas oublier que le français fait partie du groupe olympique, avec en ligne de mire une qualification pour les J.O. de Tokyo en 2020.

Deux jours avant de remporter sa médaille d’or, il participait donc à la Coupe du Monde de vitesse. Après une 32ème place à Moscou lors de la première échéance de la saison, il terminait 26ème à Chongqing, se rapprochant un peu plus du carré final où les 16 meilleurs grimpeurs sont qualifiés pour les 1/8ème de finale. Avec un temps de 6″68, Manu réalise le troisième meilleur chrono des non-spécialistes de la discipline, après Micka Mawem (6″34) et Kokoro Fujii (6″62).

Bien évidemment je m’entraîne pour me qualifier aux Jeux et l’objectif J.O. est plus que jamais sur le devant de mon plan d’attaque ! J’essayerai de faire descendre le chrono un peu plus bas vendredi 😉

 

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Focus sur la suite de la saison !

Mais Manu reste réaliste: sa victoire, il la savourera pleinement à son retour en France. Car pour le moment, le médaillé d’or de Chongqing est toujours en Chine, avec le reste de l’équipe de France et tous les autres compétiteurs de toutes les nations. En effet, dès vendredi débute une nouvelle étape de Coupe du Monde, en Chine toujours: la traditionnelle manche de Wujiang, qui mêlera une nouvelle fois vitesse et bloc.

Est-ce que je réalise que j’ai gagné ? Je ne pense que non, mais ça va venir ! Je me sens fier et heureux, mais je crois que j’ai une Coupe du Monde dans trois jours sur laquelle je dois rester entièrement focalisé si je ne veux pas finir 45ème. Je prendrai plus le temps de réaliser et de fêter ça avec mes proches à Paris la semaine prochaine !

Maintenant, tout est à refaire, et je vais me comporter exactement de la même façon ce week-end en améliorant certains petits points négatifs observés. Ça va être une compétition très difficile à gérer ! Déjà parce que je n’ai jamais connu ce genre de situation et ensuite parce qu’aujourd’hui les Coupes du Monde sont incroyablement relevées en terme de niveau, il faut se battre dès les qualifications, il n’y a plus de blocs cadeaux, il va falloir se battre comme si cela n’était jamais arrivé, mais en gardant en tête que je peux le refaire !

Merci à toutes les personnes qui m’ont envoyé un message de félicitations, franchement il y en a bien trop pour que je puisse répondre à tout le monde mais j’ai tout lu, merci du fond du cœur, ça me donne envie de récidiver 👊 Merci à mes sponsors et en route pour une nouvelle Coupe du Monde ce week-end ! 🏴‍☠️

Les résultats complets des finales:

Le palmarès de Manu Cornu