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Daniel Woods: « J’ai senti que je commençais à devenir fou »

Obsédé par son projet, Daniel Woods reconnaît avoir sombré dans un état mental proche de la démence © JP Melville

Il y a quelques jours, Daniel Woods réalisait la première ascension de « Return of the Sleepwalker » 9A, un départ assis du célèbre 8C+ « Sleepwalker », libéré en 2018 par Jimmy Webb à Red Rocks, dans le Nevada.

L’américain de 31 ans a commencé à travailler cette ligne à la fin du mois de janvier 2019, juste après avoir enchaîné la version originale en 8C+. Il travaille d’abord une version assise qui rajoute trois mouvements en 8A+ au départ initial, déclarant déjà à l’époque : « C’est de loin la chose la plus difficile que je n’ai jamais essayée et maintenant, je me sens possédé par elle. » Puis, en déplaçant un gros rocher qui jonchait le sol, Daniel Woods imagine un départ encore plus bas, qui ajoute cette fois sept mouvements en 8B avant d’atteindre le départ debout de « Sleepwalker ». À partir de ce moment, une histoire complètement folle allait commencer entre ce bloc et lui.

Conscient de l’ampleur de la difficulté du projet, l’américain devient complètement obsédé par ce bloc. Il bouleverse complètement ses habitudes en supprimant l’alcool, le tabac, la marijuana et le café de sa vie. Alors que Daniel avait commencé à travailler ce départ assis avec une toute une équipe (Jimmy Webb faisait quelques séances avec lui et il y avait plusieurs cameramen), à partir de mars, il était seul. Il a même cessé de séjourner à l’hôtel et a commencé à camper, au plus près du bloc.

Daniel Woods, au travail dans « Return of the Sleepwalker » 9A © JP Melville

Près de quatre mois après avoir commencé à travailler son projet, Daniel a commencé à s’interroger sur sa santé mentale. Il nous parle de cette obsession et de la façon dont, petit à petit, la folie prenait le dessus:

« Afin de mettre toutes les chances de mon côté pour faire cette ligne, je n’ai grimpé que sur ce bloc pendant plus de 3 mois d’affilée. Il n’y a eu littéralement qu’un seul jour où je suis allé essayer quelque chose d’autre. Je me suis dit qu’il fallait une obsession totale pour comprendre comment réaliser parfaitement chaque mouvement de ce bloc. Le bon côté, c’est que je suis devenu sacrément fort. Le mauvais, c’est que je me suis torturé l’esprit comme jamais auparavant.


J’ai commencé à me parler à moi-même, comme si quelqu’un était là avec moi. »


Je manquais de sommeil et j’étais souvent seul pendant mes deux dernières semaines de travail. Être seul était à la fois déprimant et stimulant. J’ai dû créer ma propre énergie positive à des moments où l’énergie des autres m’aurait beaucoup aidé. J’ai eu du mal à comprendre pourquoi j’ai continué à essayer. À plusieurs reprises, je me suis dit : « Mec, passe à autre chose, grimpe d’autres trucs, va t’entraîner à la maison, et reviens frais la saison prochaine ». Mais en fin de compte, c’était juste une échappatoire. Quelque chose en moi voulait que cet objectif soit atteint cette année.

Les 16 derniers jours de mon voyage, je me suis mis en isolement complet dans le désert et j’ai campé. J’ai commencé à me parler à moi-même, comme si quelqu’un était là avec moi. Chaque soir, je regardais des vidéos de mes essais pour rester motivé. La dernière semaine, cette aventure commençait à être plus stressante qu’amusante. Je me réveillais chaque matin avec une boule au ventre, anxieux de savoir si j’allais réussir à faire un mouv de plus ou pas. Je redoutais le moment où j’allais connaître une régression et où ma motivation s’arrêterait. Mais chaque jour, je me poussais à aller plus loin, à dépasser mes limites… Chaque jour était un jour d’entraînement pour devenir meilleur.


Ma tête était clairement mon muscle le plus important pour réussir »


Deux jours avant d’enchaîner, j’ai réussi à tenir le dernier mouvement, mais je suis tombé en envoyant ma contrepointe dans le bac de fin. Je savais alors que j’aurais dû enchaîner… mais je ne l’ai pas fait. Je savais aussi qu’il ne me restait plus qu’une journée avant que les conditions ne soient trop chaudes pour le faire. J’ai senti que je commençais à devenir fou. Je devais accepter ce sentiment d’incertitude et le dépasser. Ma tête était clairement mon muscle le plus important pour réussir. Bloquer la négativité et créer constamment de la confiance en soi.

J’ai tout mis en œuvre ce dernier jour et j’ai réussi. J’étais seul au moment de l’enchaînement (j’ai filmé mon run d’enchaînement avec mon téléphone). C’était un sentiment si intense de réaliser ce bloc en étant tout seul. Mon ami Jon Glassberg est arrivé alors que je me préparais pour la dernière dalle et m’a filmé en train de rétablir tout au sommet.

C’était une putain d’expérience, dont je vais tirer beaucoup d’enseignements pour mes prochains projets. »

Publié le : 11 avril 2021 par Nicolas Mattuzzi

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