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Caroline Ciavaldini répète « Le Voyage », l’une des voies de trad les plus dures du pays

© Raphaël Fourau

Le mercredi 8 novembre 2023, Caroline Ciavaldini a répété « Le Voyage » (E10 7a/ 8b+) à Annot, en France. Cette voie, établie pour la première fois par son mari James Pearson, n’avait connu qu’une seule ascension féminine jusque là, celle de Barbara Zangerl.

C’est la première fois que Caroline Ciavaldini, ex compétitrice de haut niveau, enchaîne une voie de trad cotée E10 7a (une cotation britannique qui combine le danger d’une voie avec sa difficulté technique). Cette performance la place donc parmi une très petite poignée de femmes à avoir réussi une voie de ce niveau.

Cet exploit intervient seulement deux ans après que Caroline ait accouché de son deuxième enfant, ce qui rend cette ascension encore plus impressionnante.

Elle raconte :

Je me trouve à souffler au repos situé aux 2/3 de « Le Voyage ». Pour la première fois, j’ai passé le deuxième crux, un pas de bloc en 7A+ très long et technique, quelques mètres au-dessus de ma dernière protection, un RP n°6. Juste avant d’entamer le crux, j’ai entendu James, Arthur, 4 ans, et Zozo, 2 ans, m’encourager depuis le bas. James et les enfants ne s’étaient pas fait entendre jusque-là, peut-être parce que James espérait me donner plus d’espace pour me concentrer, comme Zozo me demande constamment en ce moment. Mais juste avant le crux, je voulais qu’ils soient là. Être mère, c’est perturbant pour l’escalade, mais en même temps, ce sont mes proches. Je regarde aussi Raph, qui est accroché à sa corde statique… Il est là aujourd’hui car il devait filmer James dans « Bon Voyage », sa dernière voie difficile, et il en a profité pour filmer mon essai. Carl et Antoine sont là aussi, ils assurent et prennent d’autres vidéos depuis le bas. Carl a fait quelques petites blagues pendant que je mettais mes chaussons, et j’étais tout à fait consciente qu’il essayait, et qu’il réussissait, à créer une bonne ambiance autour de moi. C’est vraiment important pour moi que ces personnes soient présentes aujourd’hui. Je les sens me pousser doucement vers le haut.

J’ai fait le plus dur, il m’a fallu deux ans pour en arriver là où je suis aujourd’hui. Deux ans pour me remettre du deuxième bébé, avec l’aide constante de Maddie Cope et de Lattice. Les gens disent que tomber enceinte n’est pas une blessure… Je dirais que c’est bien pire que n’importe quelle blessure de poulie (j’en ai eu deux) ou autres blessures liées à la grimpe.

« Le Voyage » se termine par une dernière section facile sur un rocher assez mauvais et une fissure finale qui vaut environ 7b+, et dans laquelle vous détesteriez tomber… pourtant la chute est bien réelle. Je me repose et j’essaie de me canaliser mentalement. Je peux y arriver, mais j’ai besoin de m’appliquer. Les émotions sont toujours là… La peur d’échouer, la peur de casser une prise et de tomber, la peur de trop serrer les prises, la peur de zipper… Mon cerveau ne s’arrête pas, comme il l’a fait pendant que je me reposais juste avant le crux.

« Le Voyage » est mon projet le plus long. Deux ans ! Mais en même temps, en tant que parent de grimpeur, il faut prendre les choses différemment. On ne met pas beaucoup d’essais lors d’une journée en falaise… Techniquement, je n’en ai qu’un à la minute où Zoellie s’endort. La vie de famille donne plus de rythme, ce qui a été bénéfique pour l’entraînement. J’ai dû m’entraîner énormément pour revenir à mon niveau d’avant… Parce que « Le Voyage » est si exigeant ! J’ai même fait un entraînement spécifique pour les jambes. Je n’ai jamais été aussi spécifique. Mais je ne pense pas avoir été obsessionnelle. Je ne peux pas. Parce que je suis encore une maman. Avant tout ? Je ne sais pas… il est certain que j’ai parfois volé du temps à mes enfants pour m’entraîner. Je suis un peu égoïste. Mais j’ai été très heureuse de me dégager du temps pour mon escalade. Cela m’a permis de redevenir Caroline.

J’ai pris la décision de travailler avec un préparateur mental. La dernière fois que j’en ai eu un, j’étais grimpeuse de compétition en Coupe du Monde. J’avais alors considéré pendant des années que j’étais autonome, mais pour cette voie, j’ai réalisé que demander l’aide de certaines personnes ne ferait que me rendre plus fort. Angus, de Strong Mind, m’a beaucoup aidé. J’avais très peur de tomber, et nous avons réglé cela très rapidement. J’ai toujours ces pensées, mais au lieu de paniquer quand mon cerveau se met en marche, j’écoute, je trie et je ne garde que ce qui est utile. La pleine conscience, voilà le mot.

Maddie, Angus, mais aussi Carl et James m’ont aidé à apprécier tout le processus de travail. Car cela n’en vaut la peine que si j’apprécie la totalité du processus, même les moments de doutes. Parfois, c’est un « plaisir de type 2 », comme disent les Britanniques… Quand j’étais terrifié à l’idée de tomber dans le premier crux, c’était un plaisir de type 3. Sur le moment, je ne l’ai pas apprécié, ni quand je l’ai visualisé. Je n’ai réussi à l’apprécier que lorsque j’ai supprimé l’émotion de ma visualisation. J’ai simplement laissé la sensation des mouvements, j’ai essayé d’être vide, ou mieux encore, d’apprécier ce sentiment de peur. Le déclic s’est produit et, soudain, j’ai pu être dans mon escalade et apprécier.

Au bout d’un moment, je me suis remise à grimper. Non pas que je me sentais prête, mais je ne pouvais pas tergiverser indéfiniment. J’ai exécuté les derniers mouvements juste comme il fallait, et je savais que pour les deux derniers mouvements, je devais simplement profiter et kiffer.

J’ai enchaîné « Le Voyage », ma voie de trad la plus difficile. Quand je l’ai essayée pour la première fois il y a cinq ans, je n’arrivais même pas à faire tous les mouvements, et j’étais consciente que ce style technique et intense n’était pas mon point fort. Je n’avais pas d’enfants à l’époque, James venait d’ouvrir la voie et elle me semblait inaccessible. Je n’ai commencé à y penser qu’après la naissance de Zozo. Il est temps d’être fière de moi.

Merci beaucoup à Maddie et Lattice pour l’entraînement, Angus pour la préparation mentale, Carl pour l’assurage notre amitié, James pour tout, mes enfants pour leur patience, Marie pour le babysitting, Emmanuelle pour la physio, The North Face et Respire performance pour le programme NSP, La Sportiva, Wild country , Sunn et Glorify, et toutes les personnes qui me poussent à me dépasser tous les jours !

Caroline Ciavaldini

© Raphaël Fourau

Publié le : 13 novembre 2023 par Nicolas Mattuzzi

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