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L’entraînement dans la peau, chapitre 8 : Le feu des France !

Thomas Ferry, préparateur physique en escalade, s’est lancé dans une web série où il nous raconte sa vie de coach, les hauts et les bas, le tout saupoudré d’une grande passion. Découvrez dans ce chapitre 8, les émotions vécu par un coach, assis sur le banc des spectateurs à regarder ses poulains grimper.

Raconter ce que vit « un coach », au quotidien, se présenter devant les « on n’en a rien à foutre » et les « ça ne sert à rien », coucher des lignes pour quelques lecteurs en quête de subjectivité, de sincérité, forcément que cela questionne…

J’ai rencontré Christopher pour la première à fois en 2007, en vrai, physiquement. Ma présence était assez anecdotique, peut-être insolente. C’était sur un parking, au milieu d’autres grimpeurs devenus depuis (pour certains) des légendes françaises. J’en connaissais vaguement quelques-uns. Bref, j’étais spectateur d’un championnat de France très ordinaire, et je venais d’être séduit par l’humour et le charisme de cet homme. Je me rappelle de quelques spectateurs naïfs, croyant véritablement à des histoires de transferts de grimpeurs à plusieurs millions d’euros, à des salaires incroyables. Mais on ne se souvient pas de moi. Je passe et traverse souvent les paysages sans me faire remarquer. En fait, pendant des années, on m’a présenté plusieurs fois à ce speaker incroyable. Et encore 9 ans plus tard, à Chamonix. Il m’a même vouvoyé. Et encore, et encore. Oui, cette année encore. Christopher, l’homme qui ne retient pas mon visage, ni ma voix, ni qui je suis. En 2007, Monsieur Fuselier raflait le titre de Champion de France. 10 ans plus tard, le voici aux commandes de ces voies magnifiques, tout en coachant les membres de l’équipe de France. Alors, je ne peux pas envisager d’écrire un article sur les France sans féliciter les organisateurs, les ouvreurs, et ce Christopher qui depuis tant d’années met le feu au public, capable de transformer l’espace d’un instant une demi-finale des France en finale de coupe du monde, soutenu par les projecteurs, la musique, et tout ce (ceux) que j’oublie.

J’aime ces moments. Où je suis invisible. Dans l’ombre la plus totale. C’est le signe que je suis à ma place. De passage. Accepté. Naïf. Toléré. Curieux. Même mon propre club ignore qui je suis, qui je prépare. Cela me rappelle à quel point je ne suis qu’un pion dans cet échiquier. A quel point ce sont les grimpeurs qui grimpent. A quel point je peux contempler, profiter, admirer.

Timidement, les gens me demandent parfois si je suis content de mes « poulains ». En même temps, on ne sait pas vraiment qui je prépare, qui je suis, qui je porte, entre la grimpe, le physique, le mental, et un mélange d’un peu tout ça. C’est à la fois voulu et non voulu. Les hommes représentent 80% des sportifs que je prépare, et j’ai l’étiquette d’un « coach à gonzesses ». Pourquoi ? Sont-elles celles qui réussissent le mieux ? Celles qui communiquent le plus ? Sont-elles plus fières, ont-elles besoin de le formaliser davantage ? Comment appréhendent-elles la relation entraîneur / entraînée ? Un jour peut-être je répondrai à ces questions. Cela a une conséquence directe sur les articles que j’écris, et par un biais inéluctable, mon cerveau tend à me faire croire que je suis en effet un… « entraîneur à gonzesses ». A moi aussi.

J’ai vécu ces France avec beaucoup d’émotions, d’intenses émotions. Tout d’abord, puisque c’est d’ordre public, j’étais encore tout ému de voir grimper Mathilde qui a rejoint le pôle depuis un mois. J’étais concentré parfois sur sa nuque, d’autres fois je fixais ses pieds, trop habitué à décoder les signes de sa grimpe, en cherchant à savoir d’où venait tel ou tel tremblement, en vivant avec elle ces moments que j’ai appris à savourer au fil des années. Et pourtant, un sentiment de détachement s’est emparé de moi ; j’ai fini par redevenir un simple observateur lors de sa finale.

Alors, passons. Place aux ressentis. Professionnellement, j’étais surtout présent pour trois personnes.

Un grimpeur que je découvre, en qui je crois beaucoup. Chacun de ses regards semble contenir une flamme minuscule, mais intense. Une flamme qui n’a pas pour but d’éclairer mais de réchauffer, une flamme animé par un petit courant d’air, très léger mais perceptible. Voilà ce que j’ai compris de lui, sur lui. Inutile d’ouvrir la trappe en grand pour faire jaillir l’orange illusion, le feu passionnant qui anime les regards contemplatifs. Inutile de souffler, ce n’est pas un feu de camp qui rassemble. J’ai l’impression, depuis le début, qu’il suffit de laisser entrer un peu plus d’air, petit à petit, doucement, pour que la chaleur se diffuse. Ce grimpeur m’inspire. Il lui faut pour l’instant un peu d’air. Aux France, j’étais un courant d’air.

Une grimpeuse qui a été un fantasme d’entraînement, et qui m’a demandé de la suivre récemment. Pour préparer la suite. Pour profiter encore un peu de tout cela, et plus si affinités ! Comment retrouver du plaisir ? Comment même l’apercevoir lorsque son socle n’est plus forcément la réussite ? On entend tellement les sportifs dire que le plaisir est leur objectif du jour. En réalité, il n’est souvent qu’une résultante de la performance. Comment se faire plaisir ? Comment le trouver ? Comment le provoquer, sans négliger le reste ? Comment changer son socle ? Le plaisir, un bijou précieux. Voilà ce que m’a confié cette femme, cette grimpeuse devenue femme. Je n’ai pas encore trouvé son socle idéal, pour l’instant ce sont mes mains. J’ai un peu chaud, quand même, pour être tout à fait sincère…

Et puis, une autre grimpeuse. Des mouvements crépitants en demi-finale, porté par un Christopher flamboyant. Elle a tout simplement mis le feu à la salle. Durant ce moment, j’ai eu  l’impression de vivre une finale de coupe du monde, complètement hypnotisé par le spectacle. Christopher, une autre voix de la grimpe, suffisamment chaleureuse en profondeur et claire en surface. Subtil mélange qui enflammerait n’importe quel public. Ce duo d’un instant pour mes premières vraies sueurs du week-end. Ce duo improbable au milieu d’un immense feu de joie.

Bien sûr que je suis content de mes poulains. Je suis tellement fier.

Un mot m’est venu après la compétition : humilité. Voilà ce que j’ai ressenti. Surtout chez les grimpeurs. Et c’est parce que je me déplace trop peu sur les compétitions que je me permets de les comparer. Celle-ci était différente. Un feu extraordinaire. Pour la première fois, j’ai ressenti cette humilité chez presque tous les compétiteurs, y compris chez les finalistes. Un petit quelque chose de contenu. Comme si les émotions étaient plus facilement acceptées. Acceptables. De la douceur. La déception était questionnante, inspirante. La victoire semblait douce et apaisante.

Me voilà revenu à mes planifications, à mes tableurs, à mes calculs, à mes anticipations, à mes chiffres, à mes pourcentages. N’oublions pas que seules les émotions peuvent prendre le dessus sur la raison. N’oublions surtout pas que seules les émotions nous font avancer humainement. C’est un enseignement de ces championnats de France. Bravo à tous. Un courant d’air un peu chaud est passé par Valence. Un coup de vent invisible. Mais on m’avait dit qu’il y avait du vent dans cette ville…

Qu’est-ce que j’ai eu chaud !

Publié le : 16 juin 2017 par Nicolas Mattuzzi

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