Un duo féminin enchaîne l’une des grandes voies les plus majeures de France !
La Suissesse Katherine Choong et la Française Solène Amoros ont fait équipe afin de s’attaquer à l’une des grandes voies les plus classiques de France : « Alibaba », 8 longueurs, 240 mètres, dont 60 en dévers, cotée 8a+. Toutes deux ont enchaîné chacune des longueurs en tête, en seulement trois jours et demi. Elles nous racontent en détail cette aventure.
« Étant toutes les deux passionnées d’escalade en falaise (et de grande voie dure) l’idée de se lancer dans un projet de grande voie ensemble nous est venue l’année passée. Nous avions bien sûr toutes les deux entendues parler d’Alibaba, cette grande voie est une classique en France par sa difficulté et la beauté de chacune de ses longueurs. Nous avions aussi envie de trouver une voie pas trop loin de la maison, atteignable sans prendre l’avion.
Plutôt que de tenter l’ascension à la journée, inspirée par des amis, Solène a proposé l’idée d’approcher cette voie d’une autre manière, inédite pour nous : enchaîner chacune tour à tour toutes les longueurs, en tête, dans l’ordre et sans redescendre de la paroi jusqu’à ce que ce soit fait.
Pour info, d’habitude nous travaillons les longueurs au préalable (sur plusieurs journées) avant de tenter un push depuis le sol. Cette fois, nous partions en mode “big wall”, avec un portaledge pour dormir en paroi au fur et à mesure de l’avancée. Nous nous étions donné un maximum de 3 jours et une matinée de nourriture et d’eau.
L’idée était également de documenter l’ascension et d’inviter dans notre aventure une photographe, Mélanie Cannac, pour un projet 100% féminin !
Jour 1 : Après quelques problèmes mécaniques avec le van de Kathy qui devait nous amener et loger à Aiglun, nous débarquons à bord de la Fiat 500 de Mélanie, remplie à bloc et accompagné de Will un ami grimpeur venu faire le chauffeur. Premier jour de portage, nous amenons, chargées comme des mules, une partie du matériel au pied de la voie avant de revenir dormir sur le parking d’Aiglun. L’approche n’est pas une mince affaire : 3h sur un chemin raide dans la garrigue, puis sur cordes statiques à monter et descendre, et enfin dans un pierrier interminable jusqu’au pied de la face. Cette première étape est déjà une mission en soi, l’aventure promet ! Nous rentrons manger et dormir à Aiglun.
Jour 2 : Deuxième jour de portage, toujours en mode “sherpa”, avec des sacs quasi aussi lourds que la veille. Cette fois, nous dormons au pied de la paroi pour être prêtes à décoller dans la voie le lendemain matin. Ce fut une nuit difficile, brassée par le vent.
Jour 3 : Pour ne pas cramer trop de cartouches, notre plan était de travailler une première fois chaque longueur puis de mettre un run d’enchaînement, en inversant à chaque longueur la grimpeuse qui allait défricher les méthodes. Notre stratégie était de réussir deux longueurs dans le 8ème degré par journée. Dans ce scénario, pas le droit à l’erreur, chaque montée nous coûte pas mal d’énergie, de peau et de temps, sachant qu’il reste en fin de journée à hisser nos 2 énormes sacs de hissage (en plus d’un petit sac qu’on hissait à chaque longueur) et le portaledge. Les trois premières longueurs sont magnifiques (8a, 8a, 7b+) et nous mettent l’eau à la bouche mais nous demandent déjà beaucoup d’énergie pour les enchaîner. L’échauffement est précaire et la L1 en 8a nous pique à froid en rési. Solène doit vraiment se battre pour enchainer L2 en 8a, son corps ne répond pas bien à l’effort, avec la fatigue, le vent qui nous brasse très fort et ses règles qui ont commencé ce même jour. C’est poussée par les encouragements de Kathy qu’elle parvient in extremis à clipper le relais de cette longueur, les coudes aux oreilles. Elle ne le dit pas mais le doute s’immisce quant à son enchaînement de la voie, sachant que les longueurs les plus dures se situent en dernier. Après avoir grimpé L3 en 7b+ nous arrivons à une vire plutôt confort, mais le hissage de nos sacs (encore au sol) nous prend beaucoup de temps. Après, quelques galères, nous finissons la journée, épuisées, à plus de 23h. On commence à se rendre compte de l’ampleur de notre projet, et remettre en question sa faisabilité en trois jours successifs…
Jour 4 : Après une courte nuit, le réveil est difficile. Les courbatures se font sentir et la peau de nos mains est déjà bien broutée. L4 (8a) et L5 (8a+) nous attendent. Encore deux longueurs 5 étoiles que nous parvenons à enchaîner, mais une fois encore au terme de grands combats de résistance, en y laissant pas mal de cartouches. Kathy se met un gros combat mental pour enchaîner L5, elle est à la limite de tomber à chaque crux mais ne lâche rien ! C’est à ce moment-là qu’on commence à voir la vraie guerrière qu’elle est et qu’on décide de la surnommer Pocahontas. Le hissage est plus efficace ce jour-ci et à 21h30 nous sommes installées toutes les 3 sur le portaledge. Un bon lyophilisé nous requinque, et nous passons une nuit moyenne mais légèrement récupératrice.
Jour 5 : L6 (8a+), la plus difficile. La première montée de travail est difficile pour Kathy, chaque prise dégomme un peu plus le peu de peau qu’il lui reste, la fatigue, la douleur et les mouvements blocs du début lui posent pas mal de problèmes. Mais Solène la motive à fond et lui rappelle que tout est possible ! Elle lance un run, et, guidée par Solène qui a mieux calé la voie, elle parvient sans tomber au relais dans un combat mémorable, délayant à chaque prise ! Solène va mieux ce jour-là. Bien calée dans ses méthodes, elle fera une belle démonstration de grimpe avant de clipper elle aussi le relais ! Cette fois la machine de combat est lancée, plus rien ne peut nous arrêter ! L7 (8a+) : Solène qui semble ne plus sentir la gravité, s’envole dans cette longueur avant d’atteindre le relais dans un grand moment de bonheur ! Si les bras ne répondent plus chez Kathy, la tête reprend le dessus et portée par l’enchaînement de Solène, parvient au sommet sans tomber ! La nuit tombe et la fatigue se faisant sentir, nous gardons la dernière longueur pour le lendemain et passons une dernière nuit plein gaz, serrées à trois sur le portaledge. Autant dire qu’on a pas trop dormi cette nuit là !
Jour 6 : Nous enchaînons au petit matin la dernière longueur (7b+) à vue, avant un long retour à pied vers le village. La marche de retour n’est pas cadeau non plus et nos genoux ont bien souffert. L’itinéraire est très dur à trouver et avec nos sacs ultra chargés nous nous accrochons à toutes les branches. 3h plus tard nous sommes enfin arrivées et prenons la route de St Auban pour trinquer avec nos amis !
Jour 7 : La mission n’est toujours pas finie ! Petit aller-retour au pied de la paroi pour récupérer le téléphone de Mélanie qui s’est pris 250 mètres de vol plané depuis le sommet lors du dernier hissage la veille. Soulagées, nous retrouvons le téléphone, qui marche encore bien, après 3 heures de recherche ! Fin de l’aventure.
Un court métrage de 15 minutes sortira en 2023. Le but est de montrer que les femmes sont capables de réaliser de telles ascensions de manière autonome. Un film riche en émotions qui montre de la belle escalade et des valeurs fortes : complicité dans la cordée, émulation, gestion des émotions, et dépassement de soi ! La grande voie est pour nous un moyen d’aller chercher nos plus profondes ressources, et c’est ce que nous souhaitons partager. Également, l’organisation et la stratégie seront mises en avant. »
© Photos : Mélanie Cannac