Représenter l’excellence sportive, faire rêver les prochaines générations de grimpeurs, monter sur des podiums et être adulé par son public, ses amis et sa famille, voilà comment pourrait se résumer la partie visible de la vie d’un sportif de haut niveau…….. quand tout se passe bien !
Car oui, soyons honnêtes, être sportif de haut niveau ce n’est pas toujours la gloire et les paillettes… et il n’est pas toujours aisé de se relever après une saison compliquée.
Analyse d’un milieu où les moments difficiles peuvent parfois prendre le dessus :
Alors oui, me direz-vous, lorsque les résultats sont à la hauteur de l’investissement, cette vie de sportif de haut niveau pourrait presque laisser rêveur. En surface tout du moins, car lorsqu’on est dans l’euphorie de la victoire, on a parfois tendance à oublier, en tant que spectateur, la face cachée de l’iceberg, à savoir tout ce qu’on ne voit pas pour qu’un sportif en arrive là : les milliers d’heures d’entraînement, les pressions régulières, les concessions dans la vie personnelle, etc.
À l’inverse, quand les objectifs ne sont pas atteints malgré un investissement de chaque instant, l’euphorie de la victoire laisse rapidement place aux doutes, avec de nombreuses remises en question qui peuvent parfois mener à la décision fatidique d’arrêter le sport de haut niveau.
C’est dans ces moments de doutes que l’entourage du sportif est très important, et notamment l’entraîneur. Il suffit de peu pour qu’un athlète de haut niveau coupe court du jour au lendemain et prenne la décision irréfutable d’arrêter sa carrière alors qu’il peut avoir le potentiel de percer dans le futur.
On peut prendre pour exemple de réussite en escalade, Romain Desgranges, qui a dû attendre 15 ans après sa première participation en coupe du monde pour enfin réaliser sa saison rêvée en 2017. 15 ans à persévérer, 15 ans à relever la tête après chaque échec, avec pour objectif de devenir un jour champion du monde. Un exemple de combativité à montrer dans toutes les écoles d’escalade ! Nous lui avons d’ailleurs consacré un gros dossier récemment…
À contrario, nous pouvons évoquer Paloma Simon, jeune grimpeuse de talent qui avait pourtant de grandes ambitions, mais qui a décidé d’arrêter les compétitions d’escalade suite à pas mal de désillusions. Pourtant, je me souviens encore avoir discuté avec elle un soir de juillet après la coupe de France de Briançon où elle me disait clairement son objectif de devenir championne du monde. Comme elle, nombre de sportifs de haut niveau décrochent très (trop ?) tôt. On peut alors s’interroger sur ce choix de stopper une carrière prématurément, mais les réponses sont souvent plus complexes qu’il n’y paraît. Nous irons d’ailleurs prochainement à la rencontre de Paloma à ce sujet…
Ici, afin de tenter d’expliquer un peu mieux le cheminement d’un grimpeur de haut niveau qui fait face à une frustration suite à une saison difficile, nous sommes allés à la rencontre de Salomé Romain, membre de l’équipe de France seniors de difficulté. Entraînée par Mike Fuselier cette année après avoir été suivie par Corentin Legoff les années précédentes, elle revient pour nous sur sa saison difficile, nous fait part des doutes qu’elle a pu avoir, et nous explique comment elle a finalement relevé la tête avec l’aide de son nouvel entraîneur.
PG – Peux-tu nous rappeler quels étaient tes objectifs de la saison ?
SR – Cette année j’avais visé de beaux et grands objectifs comme une victoire au championnat de France seniors de diff, dans les 6 premières places du Championnat d’Europe, une finale à chaque étape de Coupe du Monde et un Top 10 au classement mondial.
PG – Si tu devais en faire le bilan ?
SR – J’avais 4 objectifs principaux. J’en ai atteint seulement un seul … Ce n’est pas un très bon bilan, mes objectifs étaient peut-être plus grands que moi ! Mais il y a énormément de choses positives à tirer de cette saison et ce n’est que partie remise pour la prochaine qui se dessine déjà dans ma tête !
PG – Qu’as tu mis en place cette saison pour atteindre tes objectifs ?
J’ai envie de dire « qu’est ce que NOUS avons mis en place ensemble avec Mike pour atteindre ces objectifs ». Nous avons continué le travail de Coco (Ndlr. Corentin Legoff) et travaillé aussi sur de nouvelles pistes. Nous avons beaucoup cherché à grimper dans le « nouveau style » qu’on retrouve en compétition internationale. Préparer ma tête et mon corps à grimper dans ce type de voie. On a également beaucoup appuyé mes efforts d’entraînement sur tout ce qui peut se passer pour moi avec mon petit gabarit. Ça c’est la continuité du travail réalisé avec Corentin Legoff depuis mon arrivée au pôle que l’on a encore plus approfondi. C’est ma principale barrière, presque un « handicap » … et nous avons cherché à transformer cet obstacle en une force ! Une qualité ! Une arme secrète !
PG – Tu parles d’un nouveau style en compétition , tu pourrais nous le décrire ?
SR – Avec le nouveau format de l’IFSC (6 min de grimpe au lieu de 8 min) le style se modifie peu à peu. On est aujourd’hui dans des voies de plus en plus intenses, plus aléatoires, avec des prises de risque et de l’engagement. Les prises évoluent également avec ce concept de plastique/résine, et les ouvreurs sont de plus en plus à la recherche d’ouvertures esthétiques tout en utilisant d’avantage de volumes en difficulté.
La taille de Cocotte (j’avoue que je ne l’appelle jamais par son prénom) est un paramètre omniprésent dans son entrainement et j’en tiens compte constamment. C’est un paramètre et pas un problème. De toute façon, on n’y changera rien et on est obligé de jouer avec.
Nous connaissons tous les innombrables victoires d’un certain Espagnol de petite taille… Pour beaucoup de monde, Ramon gagnait ses compétitions en prenant tout le temps des risques. A mon sens, il avait surtout compris quel type de grimpe il devait mettre en place.
À partir de là, ce qui aux yeux de tout le monde semblait être des prises de risque était en réalité une exécution parfaite des mouvements. Et cette succession de mouvements parfaits lui permettait d’aller au bac final.
C’est exactement la même chose pour Cocotte. Je lui répète sans cesse que j’ai bien conscience qu’elle doit fournir deux fois plus d’efforts que les autres pour exécuter certains mouvements. Je lui dis aussi qu’elle a deux fois plus de mérite que les autres.
La saison dernière, nous avons énormément bossé ce point. Je lui ai ouvert des circuits et des blocs qui l’ont mis en difficulté par rapport à sa taille. Elle a eu beaucoup d’entrainements contraignants, mais elle a joué le jeu à fond et elle a beaucoup progressé. Elle n’était pas loin de faire totalement abstraction de sa taille en partant dans les voies | Mike Fuselier, entraîneur de Salomé Romain
PG – Quelles situations t’ont particulièrement frustrée cette année ?
SR – J’ai énormément travaillé sur les difficultés liées à ma taille. Il faut le dire, j’ai vraiment beaucoup bossé dessus et pourtant, depuis que je fais des coupes du monde, je n’ai jamais vécu une saison aussi frustrante sur les ouvertures. Je me suis retrouvée dans beaucoup de situations très injustes. J’ai mis longtemps à digérer. Aujourd’hui tout cela me donne envie de m’entraîner encore plus … pour un jour, bientôt, pouvoir dire : « regardez, moi aussi je peux le faire et pourtant je ne fais qu’1m49 » !
Il y a également eu une situation très difficile à vivre, lors de la deuxième étape chinoise. Nous avons eu des conditions météos catastrophiques et certaines règles IFSC sont apparues … Je ne souhaite pas entrer dans une polémique à ce sujet, mais cet événement m’a beaucoup touchée.
PG – Que se passe t-il dans ta tête les jours qui suivent une contre performance ? Comment trouves-tu la motivation pour enchaîner la suite de la saison ? Quels sont les mots de ton entraîneur dans ces moments de frustration ?
SR – Les contre-performances sont difficiles, c’est vrai, mais elles sont aussi très riches. Je crois qu’il faut s’en servir pour rebondir, pour la suite, pour apprendre, pour enrichir son expérience. C’est à ça que servent les échecs. Rassurez-vous je n’ai compris ça que cette année … haha.
Les contre-performances sont de vilaines petites bêtes qui viennent ronger toute la confiance que tu as construite durant tes mois de préparation. L’antidote, ce sont toutes les pensées positives qui se cachent dans ta tête quelque part mais aussi également toutes celles que Mike me transmet. Comme il le dit si bien « ma Cocotte, j’ai mis plein de confiance à l’intérieur de toi ». Mike est l’une des personnes les plus positives autour de moi, il fait parti du schéma de confiance que je construis tout au long de l’année. Et j’ai confiance en Mike parce que Mike croit en moi.
Que ce soit pour Salomé ou les autres athlètes que j’entraîne, nous prenons systématiquement un long moment pour débriefer sur l’ensemble de la compétition et nous mettons en place des outils.
A mon sens, le dialogue c’est la base ! Il est fondamental qu’un athlète se sente écouté et que nous soyons sur la même longueur d’onde.
Cocotte est à la même enseigne que les autres. Elle me dit tout ce qu’elle a sur le cœur, et bien souvent elle exprime toute sa frustration. Nous avons une bonne relation de confiance, et je n’hésite pas à lui dire les choses, aussi désagréables soient-elles parfois.
Je m’efforce d’être le plus objectif possible afin d’avoir un discours utile et pertinent. Nous dressons le bilan de la compétition et nous mettons en place une stratégie pour l’échéance suivante. Néanmoins, Je ne manque pas d’évoquer tout ce qu’elle a bien réussi à faire et les domaines dans lesquels elle a progressé | Mike Fuselier, entraîneur de Salomé Romain
PG – En fin de saison on t’a senti proche du burn-out et tu n’as pas souhaité participer à la dernière étape de coupe du monde à Kranj. Qu’est ce qui t’a poussé à faire ce choix ? Comment a réagi ton entraîneur ?
SR – En effet, soyons réalistes, c’était très clairement un burn-out. Et j’ai mis au moins 5 semaines à m’en remettre. C’est long 5 semaines à être dégoûtée de l’escalade, de la compétition …
L’étape en Chine est la goutte d’eau qui a fait débordé le vase comme on dit si bien. Après cette étape, j’ai pris la décision de ne pas participer à la dernière échéance de la saison qui se déroulait à Kranj en Slovénie, tout en restant ouverte à un changement d’avis jusqu’au dernier moment. Dans la période la plus difficile, je suis partie m’aérer l’esprit à Chamonix, chez mon frère Manu (ndlr. Manu Romain). J’ai découvert encore bien d’autres façons de kiffer la vie et ça m’a permis de relativiser et de prendre du recul sur tout ça.
On a également énormément discuté du sujet avec Mike, sous toutes ses coutures. Mon choix était très justifié, Mike savait ce que je ressentais et il a respecté ma décision. Et puis ce n’est qu’une coupe du monde, il m’en reste encore un sacré paquet ! Je pensais (et je pense toujours) que participer à Kranj avec toute cette déception sur les épaules c’est comme tirer une enclume accrochée au baudrier. Je ne regrette pas ma décision.
Salomé est une athlète qui a les défauts de ses qualités. Elle est capable d’avoir une détermination que rien ni personne ne peut ébranler lorsqu’elle a un objectif en tête.
Cocotte s’est énormément investie dans sa préparation pour la saison internationale, et elle a fait beaucoup de sacrifices. Je peux donc comprendre qu’elle ait été frustrée que les résultats ne soient pas au rendez-vous.
Nous avons bien discuté de son choix concernant l’étape de Kranj.Elle a commencé à avoir des doutes avant de partir en Chine. Elle sentait qu’elle avait déjà beaucoup trop donné sur toute la saison et que la motivation commençait à en prendre un coup.
A son retour de Chine, la motivation n’y était plus du tout et pire encore, la dernière étape aurait pu être celle de trop.
Elle m’a exprimé tout ce qu’elle avait sur le cœur, et pourquoi elle ne souhaitait pas aller à Kranj.
Je lui ai donné mon point de vue, et je l’ai soutenue dans son choix | Mike Fuselier, entraîneur de Salomé Romain
PG – Malgré ces frustrations, tu évoquais tout de même des points positifs à retenir, tu peux nous en dire plus?
SR – Même si cette saison a été très frustrante pour moi, il y a énormément de choses positives à en tirer pour rebondir et être encore plus forte la saison à venir. Dans chaque compétition je me force à trouver un point positif et un point négatif et j’essaye de travailler dessus pour la coupe du monde d’après. En faisant un peu le bilan de ces points positifs, je peux dire que j’ai fait preuve de beaucoup de combativité dans les voies, j’ai mis en place plein de stratégies pour m’en sortir dans les passages un peu loin pour moi, j’ai acquis beaucoup d’expérience en une saison, et j’ai quelques fois assez bien réussi à mettre en place ce que j’ai appris à l’entraînement cette année.
PG – Comment as-tu remonté la pente pour te tourner vers la prochaine saison ?
SR – J’ai pris du temps pour moi, pour faire des choses sans les chaussons d’escalade aux pieds, profiter des amis, de mon entourage ! J’ai appris ce que c’était de relativiser. J’ai poursuivi ma petite vie d’étudiante avec beaucoup d’intérêt . Le temps a aussi fait son effet. Aujourd’hui ma motivation est au plus haut ! J’avais besoin d’un break et de couper avec ce monde qu’est le haut-niveau. Ce monde si dur, parfois injuste, et pourtant que j’aime tant …