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Rencontre avec Jonathan Bel Legroux, préparateur mental en escalade

Jonathan Bel LeGroux, ce nom ne vous évoque pas grand chose? Pas de panique, il n’y a pas si longtemps que nous avons fait connaissance de ce préparateur mental, spécialisé dans l’hypnose (entre autre), et qui suit quelques grimpeurs de haut niveau français dont notre athlète PG Camille Pouget. Bien que cela évolue dans le bon sens, la préparation mentale reste encore parfois une science obscure dans le domaine du sport en général, et c’est donc tout naturellement que nous avons voulu partir à la rencontre de Jonathan Bel Legroux qui nous raconte un peu son histoire tout en parlant prépa mentale. 


Peux-tu te présenter en quelques mots? 

Je m’appelle Jonathan Bel Legroux. Je suis coach mental de sportif, ou préparateur mental comme on dit depuis 2011. J’ai en spécialité, l’hypnose moderne que j’enseigne dans différentes formations et écoles. Je forme aussi en préparation mentale. Je suis auteur de livres sur l’hypnose et le sportif depuis 2018. Et j’ai créé des stages, les Mental Camp qui permettent aux sportifs d’entraîner leur mental dans l’action. On y aborde aussi d’autres thématiques comme la pression, le regard des autres, la communication. J’interviens en tant que consultant pour différents pôles de haut niveau, et fédération.

Quel a été ton cursus pour devenir préparateur mental? 

A la base, je viens des STAPS. D’abord à Paris 5, pour une licence EM, puis à Grenoble. Éducateur sportif, je me suis toujours intéressé au mental. Mais à l’origine, je devais plutôt être prof d’EPS, que j’ai fais en remplacement, avant de bifurquer vers la montagne.

J’avais envie de faire guide. Mais quelques accidents m’ont invité à reconsidérer mes choix pour revenir à un sujet qui m’a toujours animé, le mental, et notamment l’hypnose.

Comme nous n’avions pas la TV à la maison, on était mon frère et moi libres de tout préjugés sur le domaine. Comme une tante anésthésiste pratiquait l’hypnose à l’hopital, c’était un sujet sérieux avec des résultats qui nous semblaient toujours incroyables. (L’hypnose en anesthésie est pratiquée depuis 200 ans). Du coup, je m’y suis toujours un peu intéressé en autodidacte jusqu’au jour où je suis allé me former dans une école française. J’ai poursuivi ma formation chez nos amis anglo-saxons, qui eux, avaient de l’avance notamment dans le lien entre hypnose et sport. En 2011, j’étais le seul à mêler les deux en France, alors qu’aux USA, c’était courant dans le haut niveau depuis les années 70. Après, j’ai passé des diplômes de préparation mentale dans différents cursus pour continuer d’apprendre et avoir un avis plus complet sur les enseignements à notre disposition en France.

On te connaît car tu suis quelques grimpeurs de près, mais interviens-tu dans d’autres sports également? 

En effet, l’escalade et moi, en tant que coach mental, ça fait un moment. Jamais rattaché à un pôle ou un club, ca a commencé dès 2012, d’abord avec l’équipe de France jeunes d’escalade sur Glace pendant 3 ans. Après j’interviens dans de nombreux sports toujours individuels : la natation, le squash, le tennis, le ski de fond, la gymnastique, le triathlon, l’athlétisme, le judo, et récemment à Tokyo, l’escalade… Toujours en haut niveau sur les trois dernières olympiades d’été ou sur les compétitions de niveau international. Après, avec des amateurs, le spectre est encore plus large, et les objectifs toujours passionnants. Chacun sa perf, du moment qu’il y a un rêve et de l’ambition. Après, en grimpe, c’est vrai que depuis des années j’interviens auprès de jeunes, et des seniors, toujours avec les d’entraîneurs présents autour du projet des grimpeurs. L’escalade c’est mon univers de cœur.

© Aurele Bremond

Où en est-on aujourd’hui sur la prépa mentale en France? Penses-tu que ce domaine soit suffisamment développé chez les sportifs de haut niveau? Et chez les grimpeurs en particulier? 

Je pense que nous avons beaucoup avancé. Après 3 olympiades par exemple, je remarque clairement que le travail mental se fait de plus en plus tôt. Comme je le dis avec un rire jaune : « je suis le gars qu’on appelle à la denrière minute quand tout ne va plus ». C’est parfois encore un peu vrai. Mais les choses ont évolué. Certains athlètes ont revendiqué cette partie de leur entrainement, je pense à Teddy Riner, Emilie Andéol, Camille Serme. L’escalade avait même un peu d’avance sur d’autres sports plus « classiques », parce qu’elle a cette dimension de lecture, d’imagerie, de duel entre soi-même et soi-même contre un élément immobile, le rocher. Les grimpeurs arrivent plus facilement à reconnaître les freins qu’ils peuvent avoir mentalement. Par contre, peu savent que des techniques existent pour les dépasser et les transcender aisément. On est encore en train de voir des écoles de chutes, ou des « n’ai pas peur, regarde pas en bas », plein de bonnes volonté mais infructueuses. Au niveau neuro, on peut faire plus simple.

Après, mon constat global en France reste que nous sommes en retard. Déjà, je déteste le terme de préparation mentale utilisé à tout va. Le mental ne se prépare pas comme un sac, il s’entraîne tous les jours tout autant que le corps. En plus, on va souvent voir un préparateur mental souvent dans une démarche de dépassement d’une difficulté : on ne fait pas de la préparation mentale, on tente de la réparation mentale. Mais ça avance. Après, pas simple aujourd’hui de se situer en tant que sportif lorsqu’on veut faire appel à quelqu’un, puisqu’en regardant les professionnels du mental, on va du fast food à la grande gastronomie. On voit des formations en ligne en 30 h pour devenir préparateur mental, alors que pour d’autres nous sommes à 300 h en 2 années. Donc, ça bouge, mais c’est encore en chantier.

Selon toi, à quel point le mental intervient-il dans la performance? 

J’ai entendu en staps en 2005,  » à niveau égal, le mental est responsable à 80 % de la performance »… dixit qui? On ne sait pas. Je recherche encore l’auteur.

Je pense que limiter le mental et la performance à la compétition serait réducteur. Il faut un mental de dingue pour mettre des essais dans un projet comme le fond des grimpeurs comme Hugo Parmentier. Il faut un mental incroyable pour revenir d’une blessure au haut niveau comme un entraîneur français bien connu. Est ce que c’est de la performance? Oui. La part du mental est essentielle tout autant que le physique. Imaginez, une formule 1, qui serait le corps, avec un pilote, remplit de doutes et de peurs, qui représenterait le mental, ça donnerait quoi? La motivation, la volonté, la concentration, sont parfois des apprentissages invisibles des entraînements. Mais si on ne les conscientise pas, si on n’apprend pas à les optimiser, ils peuvent nous faire défaut.

Peut-on gagner en niveau de perf avec de la prépa mentale sans augmenter ses capacités physiques ou techniques? 

On peut faire en sorte de laisser les capacités physiques et techniques s’exprimer au mieux. Prenons un exemple classique en escalade que les lecteurs ont déjà vécu . La session grimpe touche à sa fin, la peau commence à manquer sur le bout des doigts, et les biceps sont déjà sur le sentier du retour. Et là, arrive l’idée du dernier run. Celui où physiquement, on s’est déjà pardonné de ne pas être à fond. Celui où on a déjà accepté d’être imparfait. D’être juste avec le niveau qu’on a. On ne grimpe pas en imaginant le niveau qu’on aimerait avoir. On ne se juge pas. On va voir. Et là… Que se passe-t-il? On s’épate. Combien ont sorti leur projet dans ces conditions? Combien diront « j’ai jamais aussi bien grimpé de ma vie ». (cet exemple fonctionne aussi avec la météo et le run de dernière minute 😉

Est ce que le mental a rendu plus fort? Non, il a permis d’être aussi fort que ce qu’on peut être. Mais souvent, on passe trop de temps à ne pas connaître ses atouts et à trop regarder ses manques.

Tu as aussi écrit un livre sur le sujet de la prépa mentale, tu peux nous en parler? 

J’ai écrit « Autohypnose et performance sportive en 2018″ aux éditions Amphora. Il a reçu un super accueil. Il aborde les techniques d’autohypnose pour un travail de fond sur l’estime, les émotions. Pour moi, c’est un bouquin qui a comblé un manque. C’était le premier en langue française sur l’hypnose et le sport.

Puis, avec le recul, et presque 5 ans de plus, j’ai commencé à croire que je pouvais faire mieux, plus simple et plus complet. Sur le premier, mon éditeur a eu le courage de me suivre dans ce projet, mais il voulait limiter les risques en faisant un livre assez court. Avec les 15.000 exemplaires vendus et la traduction dans d’autres langues, il m’a demandé si j’avais des choses à rajouter. Et j’en avais plein. Il y avait pas mal de domaines que je n’avais pas pu traiter. Et puis, j’avais la volonté de rendre à porter de main une méthodologie que j’utilise avec le haut niveau, directement sur le terrain d’entraînement. Alors, on a décidé de sortir l »Incontournable de l’autohypnose pour la performance ».

Où et quand peut-on se le procurer? 

Il va sortir en juin dans toutes les librairies grand public. Je suis d’ailleurs en discussion avec quelques directeurs de salles d’escalade pour faire des sessions de dédicaces, démos et conférences dans toute la France. Ce sera l’occasion de croiser quelques lecteurs de PG avec plaisir.

Comment imagines-tu l’avenir pour toi?

Assez ouvert ;). Depuis presque 12 ans, je tente de faire bouger les choses dans le domaine mental, progressivement et avec mes moyens principaux que sont ma motivation et mes convictions. Trop de sportifs talentueux arrêtent pour des raisons de blocages dans la tête parce qu’on ne sait pas les accompagner. Ça me bouleverse. Un sportif est un rêveur qui agit. Que ce soit pour gravir son premier 6A, ou gagner l’or aux Jeux, ces rêves sont précieux.

Alors pour moi, je me vois comme celui qui défriche et qui tente de faire un chemin que d’autres pourront arpenter par la suite. Avec quelques athlètes, nous sommes sur 2024, et sur 2028. Donc, il y a ça d’un côté, et de l’autre, former les coach mentaux de demain.

Un dernier mot à ajouter? 

Quel que soit votre niveau, ou si vous faites du bloc, de la salle, de la falaise, de la grande voie… Ne laissez pas vos peurs vous limiter, sans elle, le courage n’existerait pas. Celui de prendre la prise d’après par exemple.
Nous pratiquons l’escalade parce qu’il existe cette dominante émotionnelle à gravir en même temps que notre ascension. Mais attention à ne pas se faire avoir, si nous ne pilotons pas, si nous ne jouons pas avec notre mental, c’est lui qui se jouera de nous et nous pilotera. Alors, à vous de jouer 😉

Publié le : 18 février 2022 par Charles Loury

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