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Mattéo Marobin nous raconte sa dernière croix: « Three degrees of separation », 9a+

© Coll. Marobin

Après Jules Marchaland en juin dernier, c’est au tour d’un autre jeune français de venir à bout de la voie « Three degrees of separation », 9a+ de Céuse assez rarement répétée, et pour cause, il s’agit de la 5ème ascension seulement.

Une voie peu répétée

Pour une falaise aussi convoitée que Céuse, le 9a+ de «  »Three degrees of separation » fait sans aucun doute partie des voies qui se méritent. Avec seulement 5 ascensions (Chris Sharma, Adam Ondra, Lucien Martinez, Jules Marchaland et désormais Mattéo Marobin), cette ligne se compose de 3 gros jetés, tout en mêlant une grande variété dans l’effort, ce qui en fait une voie très atypique difficile à dompter.

Équipée par Arnaud Petit, c’est finalement Chris Sharma qui validera la première ascension en 2007, avec d’ailleurs une vidéo qui restera dans les annales:

Un été à Céuse pour Mattéo Marobin

Après avoir enchaîné « Pornographie » début juin à Céuse, Mattéo s’est fixé comme objectif « Three degrees of separation ». Après avoir vu son collègue Jules Marchaland enchaîner la voie, le toulousain n’avait qu’une hâte: mettre à son tour les doigts dans cette voie mythique et inscrire son nom aux côtés de légendes qui ont marqué l’histoire de l’escalade.

Voici l’histoire de l’enchaînement de « Three degrees of separation » par Mattéo Marobin:

Après avoir sorti Pornographie début juin, je suis retourné à Céüse mi-juillet, super excité de commencer à travailler Three degrees of separation. J’étais impatient de découvrir si c’était aussi bien que je l’imaginais. Et je n’ai pas été déçu. Au contraire, j’ai été happé par la beauté de la voie et l’aura qu’elle dégageait.

Le 1er jeté (le plus loin des trois) est dément. La première fois j’ai eu l’impression qu’il fallait que je fasse un saut de deux mètres pour atteindre la prise d’arrivée. Ça paraissait tellement loin… Les prises de départ et les pieds sont corrects, il faut juste envoyer le plus fort possible et prier pour arriver assez haut et tenir le balan. Et comme la falaise est en altitude, et qu’il n’y a rien derrière sur des kilomètres, à chaque fois que je faisais ce jeté, j’avais une décharge d’adrénaline. J’avais vraiment l’impression de voler et de rester en l’air pendant plusieurs secondes.

J’ai débloqué tous les mouvements et réussi les trois jetés dès la première séance. Trop content. Á la cinquième séance, j’ai réussi à enchaîner les trois jetés à la suite. Alors, j’ai commencé à mettre des essais depuis le bas. Je tombais dans le premier crux (deux mouvements d’amplitude aléatoire dans des tri-doigts à viser), puis je repartais pour essayer d’enchaîner le premier jeté. Mais à chaque fois, il me manquait quelques centimètres pour atteindre la prise d’arrivée.

Lors d’un essai, dans le mouvement du jeté, la dernière dégaine en dessous (qui était un peu usée) s’est ouverte et est sortie du spit pendant ma chute. Résultat, j’ai pris un vol de bien quinze mètres, jusqu’au niveau de la première dégaine. J’ai pris une grosse béquille dans la cuisse droite. Avec cette douleur, ce n’était plus très pratique pour pousser de toutes mes forces dans les jetés…

Bref, c’était le bon moment pour partir et retourner s’entraîner un petit peu. Je suis allé à Voiron rejoindre la famille Etchar qui m’hébergeait dans leur Airbnb. On s’entraînait le matin jusqu’en début d’après-midi, puis on faisait la sieste devant les JO toute la fin de la journée. Un grand merci à toute la famille pour cette semaine, c’était génial ! A mon retour à Céüse début août, je me sentais mieux dans la voie. J’ai tout de suite réussi à faire le premier jeté en partant du crux. C’était la première fois que j’y arrivais, et ça représentait pour moi une grande étape dans le processus de travail de cette voie. Ensuite, j’ai recommencé à mettre des essais depuis le sol. J’arrivais enfin à passer le crux des tri-doigts éloignés, et j’étais à l’aise dans le second crux à arquées. Je montais au premier jeté mais il me manquait toujours quelques centimètres pour tenir la prise d’arrivée. Et puis il me fallait plus d’endurance pour enchainer les trois jetés. Les essais étaient encourageants, mais c’était dur de se projeter sur un potentiel enchainement cet été.

© Coll. Marobin

De toute façon, c’était déjà l’heure de repartir. Direction Innsbruck pour deux semaines d’entraînement. Durant ce séjour, je n’ai jamais cessé de penser à la voie. J’avais qu’une seule chose en tête : augmenter mon endurance, et ma capacité de récupération pour être capable de me régénérer à chaque repos (et surtout entre les jetés). Je sentais ma forme s’améliorer au fur et à mesure des séances. J’avais hâte de retourner dans la voie.

Fin août, dernière bataille de l’été à Céüse.  Dès mon premier essai, j’ai réussi à enchaîner toute la fin de la voie en partant du crux à doigt. Maintenant j’en avais la certitude, je pouvais vraiment la sortir cette saison. Je ne reprendrai pas la Fac tant que je n’y serai pas arrivé.

Vendredi 30 août, je passe enfin le premier crux aléatoire. A partir de ce moment-là, je suis passé en mode « je vais la péter ». J’allais enfin pouvoir libérer toute la rage accumulée à cause de ce mouvement. J’ai avalé le second crux à doigt jusqu’au repos. Je me sentais bien et j’étais dans le bon état d’esprit. Je savais que Janja Garnbret était au pied de la falaise, et qu’elle regardait. A partir de là, mon égo a pris les commandes, il fallait que je l’impressionne. J’ai réussi à positionner mes doigts à la perfection dans la main gauche de départ du premier jeté (une petite arquée à prendre avec trois doigts). J’ai pensé « là, c’est sûr que je l’ai ». J’ai tout envoyé et je l’ai eu ! J’étais déjà trop content, mais il fallait rester concentré car le plus dur démarrait maintenant. Heureusement, je sentais que les autres grimpeurs au pied de la falaise commençaient à y croire. J’entendais les encouragements. L’ambiance devenait folle. Ça allait me porter pour la fin. Je sentais que je récupérais bien, j’étais confiant pour le deuxième jeté, et je l’ai réussi comme prévu. Il ne me restait plus que le dernier jeté. Je commençais un peu à cogiter car j’y tombais souvent lors des essais de travail. Je suis reparti le couteau entre les dents. Les cinq mouvements de mise en place se sont bien passés. J’ai envoyé tout ce qui me restait pour décoller et atteindre le bac d’arrivée, et j’ai réussi à y mettre 3 doigts et à m’arrêter après plusieurs balans à un bras. C’était irréel, je ne sais vraiment pas comment j’ai réussi à le tenir. Quoi qu’il en soit, le plus dur était fait, il ne me restait plus qu’à aller clipper le relais trois dégaines plus haut. Même si c’est beaucoup moins dur, je ne faisais pas le fier, car je n’avais jamais vraiment pris le temps de caller les méthodes, et je n’avais pas trop envie de me la coller maintenant. Heureusement, tout s’est bien passé. J’ai pris quelques secondes après avoir clippé la chaîne pour réaliser, puis j’ai exulté de joie. Je n’avais jamais imaginé enchaîner la fin dès la première fois que je passais le premier jeté. Et pourtant c’est ce qui s’est passé. Du coup, on a tout de suite été fêter ça à la pizzeria.

© Coll. Marobin

Cette voie, c’était mon projet de l’été mais surtout une ligne de rêve que je voulais absolument enchaîner un jour et je suis fier de l’avoir faite si vite (17 séances), et si tôt (à 20 ans ce mois d’août).

Merci à toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce projet de près ou de loin.  Merci à toutes les personnes présentes à la falaise et qui ont encouragé si fort. Ça a changé la donne ! Mention spéciale à Lee Min Young, et à Lukas, Konrad et Thomas, trois Italiens venus voir du spectacle à Biographie sur leur jour de repos. Ils savaient que j’étais tout seul et ils m’ont proposé de m’assurer. Ce genre de rencontre imprévue est incroyable et rend l’histoire encore plus belle.