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Manu Cornu : De la résilience à l’argent, retour sur son exploit à la Coupe du Monde de Prague !

© Timothée Nitschke

Après plusieurs mois marqués par des blessures et des moments de doute, Manu Cornu a fait un retour fracassant sur la scène internationale en décrochant une médaille d’argent lors de la Coupe du Monde de bloc de Prague 2024.

Ce podium, obtenu dans une finale épique face à des grimpeurs d’élite tels que Sorato Anraku, Tomoa Narasaki et Adam Ondra, vient récompenser une persévérance hors du commun. À travers les épreuves qu’il a traversées, Manu a dû réapprendre à gérer son corps, surmonter la frustration liée à ses blessures et retrouver sa confiance. Son mental d’acier et son expérience de compétiteur ont joué un rôle clé dans ce succès, lui permettant de se hisser parmi les meilleurs après une année et demie de combats physiques et mentaux. `

Dans cette interview exclusive, Manu nous dévoile les coulisses de son retour, la gestion des moments difficiles, et ses ambitions pour la suite.


Hello Manu ! Tout d’abord, comment vas-tu ?

Hello, tout va bien ! Je suis rentré de Prague et tout juste de Séoul maintenant. J’ai pris un peu de temps pour répondre à tes questions afin de rester concentré sur la dernière étape.

Justement, en parlant de Prague, tu as décroché une belle médaille d’argent lors de l’avant-dernière Coupe du Monde de bloc. Elle représente quoi pour toi ?

Elle vient après deux années un peu compliquées. Je suis très heureux de cette médaille, elle récompense beaucoup de travail et renforce ma motivation pour la suite.

© Timothée Nitschke

Tu reviens de loin après plusieurs blessures. Peux-tu nous faire un rapide historique de cette dernière année et demie que tu as traversée ?

Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai été longuement blessé au coude gauche. J’ai dû faire plusieurs pauses pour le soigner. J’ai aussi dû réajuster le positionnement de mes épaules pour réduire la tension sur mes deux coudes et retrouver un équilibre. Cela a impliqué beaucoup d’exercices avec le kiné, pas mal de patience et de compréhension. En parallèle, je me suis fait une grosse entorse à la cheville droite, une petite déchirure au biceps droit et j’ai également eu d’autres blessures moins graves mais contraignantes à l’entraînement.

Comment as-tu géré ces moments de doute et trouvé la force de rebondir ?

Il y a eu des moments difficiles, où j’avais l’impression de ne pas avancer, voire de régresser. Ce sont des moments où j’ai dû faire des choix difficiles. Se dire « il faut que je m’arrête » n’est pas si compliqué, mais l’accepter et faire ce qu’il faut pour revenir, en mettant de côté la frustration et la tentation, c’est ce qu’il faut réussir à gérer, et ce n’est pas simple.

Je pense que mon expérience de compétiteur m’a beaucoup aidée. J’ai appris, avec le temps, à ne pas gaspiller d’énergie sur des choses que je ne peux pas changer, et à concentrer mes efforts sur ce qui est encore à ma portée. Quand tu es blessé, il ne faut pas être dans le déni, mais faire ce qu’il faut pour revenir, même si cela prend du temps.

Une fois que tu y arrives, tu entres dans un projet différent, mais la motivation d’atteindre un objectif est similaire à celle de gagner une compétition. Le combat est juste différent.

© IFSC

As-tu changé quelque chose dans ta manière de grimper ou dans ton approche des compétitions depuis ton retour de blessure ?

Je sais que j’effectue certains mouvements avec un placement qui a évolué sur le haut du corps, mais je ne m’en rends même plus compte. Cela dit, je n’ai rien changé fondamentalement : j’ai toujours la même envie et la même détermination.

Ce que j’ai ajouté, c’est beaucoup plus de calme. Quand je revois des images de la compétition à Prague par exemple, je vois que je suis heureux, détendu, et que je sais ce que je veux. À aucun moment je ne pense à mes blessures, elles ne me parasitent pas.

Tu te disais « déçu » de tes Championnats d’Europe (Villars, août 2024). Comment as-tu rebondi après cette compétition ?

Oui, j’étais très déçu après cette compétition. J’ai pour objectif de ramener une médaille des Championnats d’Europe depuis longtemps. J’avais manqué de réussite à Munich il y a deux ans. Cette fois-ci, c’était mon objectif principal de l’année. Avec du recul, j’ai fait une bonne performance, j’ai touché la médaille du bout des doigts. Mais lors de cette finale, il m’a manqué un peu d’analyse et de prise de risque. J’ai grimpé en voulant limiter au maximum les chutes, alors que parfois, il faut savoir prendre des risques.

Je suis arrivé à Prague avec cette expérience en tête et ma finale a été bien plus aboutie, même si je regrette de ne pas avoir réussi à bouger dans un de mes styles forts.

© Timothée Nitschke

Le chemin jusqu’au podium de Prague n’a pas été simple ! Tu prenais la 17ème place des qualifications (l’avant-dernière place qualificative pour la demi-finale). Qu’as-tu pensé de ce premier tour ?

Une compétition n’est jamais évidente, tout se joue sur des détails. Lors de mon tour de qualification, je tombe au dernier mouvement du bloc 1, puis du bloc 2. Si je réussis ces deux blocs, je termine troisième du tour, mais ce n’est pas très important pour moi. Mon analyse après la qualification est que j’ai été présent dans tous les blocs, tous les styles. J’avais encore de la peau, une bonne attitude, et une demi-finale qui m’attendait. Le reste, c’est du passé, on repart pour une nouvelle compétition.

Quel a été le moment le plus décisif de la compétition pour toi ?

Je pense à mon long combat dans le premier bloc de la demi-finale. Si je ne le réussis pas, l’histoire s’arrête là, et en plus, ça m’a bien lancé pour le reste du tour. Mais aussi, l’analyse de ma grimpe sur le tapis a été une de mes armes les plus fortes. Tous les ajustements que j’ai faits ont été décisifs : le « jam » dans le dernier bloc de la demi, les réajustements de pieds et de mains après chaque essai… J’ai abattu beaucoup de travail depuis le sol.

© IFSC

Cette finale, c’était un peu les anciens contre les jeunes. Qu’est-ce que ça fait d’affronter des grimpeurs comme Sorato Anraku, Toby Roberts, Tomoa Narasaki ou encore Adam Ondra dans une même finale ?

Une vraie finale d’Avengers, avec des gars pour qui j’ai énormément de respect et qui sont des grimpeurs incroyables. Mais quand je suis en isolement, tout ça n’existe pas. C’est moi et les blocs. Peu importe qui est en face, je ne suis pas en affrontement direct avec eux. Je me concentre sur les quatre blocs que je dois faire et je fais abstraction du reste. Mais j’avoue, le casting était sympa 😊.

Raconte-nous un peu comment tu as vécu cette finale (qui, disons-le, était particulière). Qu’est-ce qui a fait la différence selon toi ?

La compétition ne se fait pas en isolement, mais par rapport à presque toutes les finales que j’ai faites, cette fois-ci, je sentais que j’en avais encore sous le coude. Parfois, j’arrive à l’échauffement et je sais que je suis à court d’énergie et que ça va être difficile, mais ce n’était pas le cas ici. Je me sentais bien, les blocs m’inspiraient. J’ai bien commencé avec le premier bloc, et dans le deuxième, je me suis fait confiance pour aller chercher la zone au dernier essai, même si j’y ai perdu beaucoup de peau.

À la mi-temps, je savais que j’étais bien placé, et que la dalle arrivait. À ce moment-là, je me suis dit « ok, je vais le faire ». Mais dix minutes plus tard, je revenais de la dalle sans la zone, le moral dans les chaussettes. Je savais que ce bloc devait me mettre sur le podium, j’y avais misé plus que sur le dernier. Le premier essai dans le dernier bloc m’a pris beaucoup d’énergie. La moitié de l’équipe de France, voire toute l’équipe (et moi-même, en vérité), pensait que c’était fini. Puis j’ai fait un essai inexplicable.

La différence, c’est que j’ai su rester impliqué jusqu’au dernier bloc. J’ai eu un bon scénario : certains étaient proches de sortir le bloc 2 et le bloc 3. La prochaine fois, je devrai être capable de tuer la compétition au bloc 3, et là, on pourra dire que j’ai vraiment fait la différence. Cette finale était très serrée, je suis content d’avoir ramené l’argent.

© Timothée Nitschke

Comment expliques-tu cette performance ?

Nous avons beaucoup travaillé pour que je retrouve mon niveau. Petit à petit, au cours de l’année, j’ai passé des paliers. Cette performance s’inscrit dans une suite logique. J’ai fait une bonne compétition et j’espère renouveler cela à l’avenir.

L’année dernière, tes premiers mots à ton coach étaient « C’est fini, je ne veux plus continuer » suite à ta 51ème place sur cette même compétition. Qu’as-tu envie de te dire aujourd’hui ?

C’est vrai, c’était la réalité de l’instant. Je n’étais plus heureux et je n’avais plus ma place sur les tapis. Je l’ai exprimé au coach, et nous avons d’abord essayé de faire une pause d’un mois et demi pour tenter de retrouver l’envie pour les Championnats du Monde, et surtout de soigner mon coude.

Je lui dirais que j’ai fait un choix courageux et que j’ai su suivre mes valeurs. Je crois que le niveau que j’affiche actuellement prouve que j’avais raison. L’an dernier, cela ne servait à rien de continuer, je n’y arrivais plus.

© IFSC

Tu es connu pour avoir un mental d’acier et pour te transcender lors des grands événements. Tu l’as prouvé une fois de plus à Prague. Comment expliques-tu cela ? Quel est ton secret ? 

Quand tu es en forme et que l’occasion se présente, il faut savoir la saisir. Je m’entraîne pour ça. Quand je me fixe un objectif, je sais que je vais y arriver en pleine forme. Je fais beaucoup de visualisation, et on cale mes pics de forme en fonction de cela. Le secret, c’est que j’ai un bon coach.

Après cette médaille d’argent, quel est ton état d’esprit pour la suite de la saison ? As-tu déjà de nouveaux objectifs en tête ?

Mon état d’esprit reste le même : continuer de progresser et stabiliser mon niveau actuel. Je suis allé à Séoul pour essayer de faire une performance similaire, mais malheureusement, en demi-finale, j’ai pris un coup de fatigue et je n’ai pas été à mon meilleur niveau.

Cependant, l’un de mes objectifs était de rester dans le top 10 de la Coupe du Monde 2024, et je l’ai atteint en finissant 10ème, mon meilleur classement jusqu’à présent. Je n’avais jamais fait mieux que 13ème en 2017 et 2019.

Maintenant, il me reste encore trois grosses compétitions avant la fin de l’année, et ensuite, je pourrai enfin faire une vraie préparation pour la saison prochaine.

© Vladek Zumr

Quels conseils donnerais-tu aux grimpeurs qui traversent des périodes de doute ou de blessures comme toi ?

Il faut s’accrocher. Être bien entouré est important, tout comme se donner du temps sans se mettre de pression. Il faut savoir faire des choix qui sont parfois difficiles à respecter, comme accepter de faire une pause.

Personnellement, je fonctionne beaucoup en m’écoutant. J’essaie d’être le plus honnête possible avec moi-même et de faire mes choix en fonction de cela.


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Publié le : 11 octobre 2024 par Nicolas Mattuzzi

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