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Les interdictions en falaise sont-elles seulement dues aux problématiques d’assurance et d’entretien ?

- Le 01 février 2023 -

© Matthias Paré

Une falaise interdite est tout un symbole, alors quand plusieurs ferment coup sur coup l’angoisse monte aussi bien chez les grimpeurs que les propriétaires. Surtout quand personne ne comprend encore bien les tenants et aboutissants de la fameuse « Loi Falaise ».

Bien que les médias (et réseaux sociaux) aient pu dans un premier temps propager sans le vouloir cette peur d’un effet boule de neige, le travail journalistique et juridique s’affine et il est désormais plus raisonnable d’envisager une sortie sereine de cette « crise ». Sur les 1075 conventions qui avaient été passées (plus les milliers d’autres falaises jamais conventionnées), on ne compte finalement que 24 falaises interdites. Si le transfert des responsabilités est si horrible, pourquoi toutes les falaises ne sont-elles pas interdites ?

Pour rassurer et enrayer cet effet boule de neige il est peut-être intéressant de regarder au-delà des problématiques d’assurances et d’entretiens. Car il semble y avoir un point commun chez la plupart des propriétaires qui interdisent en ce moment l’escalade sur leur terrain, et c’est sûrement ce qui fait la différence avec les centaines d’autres qui acceptent plus sereinement la voie du déconventionnement fédéral.

En effet, parmi les interviews que l’on peut lire on comprend que les propriétaires qui interdisent se sentent profondément heurtés par l’arrêt des conventions avec la FFME. On entend souvent les termes de déconventionnement brutal, de manque de considération, de défaut d’information et d’accompagnement. Ainsi que des négociations qui ne leur laissent pas le choix.

Les interdictions soulèvent donc aussi des problèmes de rapports humains, de consommation de la Nature, de cohabitation et de respect. L’interdiction récente d’une grande partie de Presles rassemble toutes ces problématiques.

Nous avons plutôt l’habitude que nos sites d’escalades soient la propriété d’institutions publiques comme les communes. Mais cette fois à Presles, les falaises se situent sur le terrain d’une entreprise privée qui exploite notamment la Grotte de Choranche.

Bastien de lattre et son Projet « Badaboom » la grande voie la plus dure de Presles

Depuis fin 2022, nous voyons des interdictions tomber sous motif que les propriétaires ne peuvent assumer la responsabilité assurantielle (et le coût d’entretien) sans convention avec la FFME. Mais dans le cas de Presles, seul un secteur sur plusieurs kilomètres de falaise était conventionné avec la fédération. L’échéance du déconventionnement devait en théorie n’avoir que peu d’impact. Au-delà des questions de responsabilités, c’est autre chose qui a motivé Laurent Garnier, le propriétaire, à déposer une interdiction pour l’escalade. L’échange que nous avons eu avec lui par téléphone permet de mettre en lumière le contexte et ses motivations.

Un contexte pourtant favorable à l’escalade

Depuis une cinquantaine d’années, la SARL des Rochers de Choranche est implantée sur le territoire.

« A l’origine nous sommes 3 familles de spéléologues (membres fondateurs de la fédération) qui ont à cœur de favoriser la pratique de l’escalade, spéléologie et sports de nature en général. La SARL des Rochers de Choranche est propriétaire foncière de plusieurs parties de la falaise de Presles. Théoriquement, les gens qui veulent grimper doivent me demander l’autorisation. »

L’escalade a toujours été autorisée sur ses terrains tant que Laurent Garnier était tenu informé et qu’un dialogue existait.
« Quand les gens équipent, comme c’est souvent le club VTNO, nous sommes tenu au courant de ce qu’il font et où il veulent équiper. Il n’y a en général pas de problème tant que l’équipement ne se fait pas trop proche de la grotte. Le parking et les chemins étant entretenus pour les visiteurs de la grotte de Choranche, ils bénéficient également aux grimpeurs. »

De nombreux secteurs sont donc laissés en libre accès quand d’autres sont interdits à l’équipement pour que l’activité touristique de la Grotte de Choranche puisse se faire tranquillement.

Laurent Garnier reconnait lui-même qu’il n’est pas un grand spécialiste de l’escalade et que depuis quelques années il a du mal à s’y retrouver dans les différents statuts des falaises (terrain d’aventure, site sportif). La majorité des parois équipées sur le site de Choranche sont des grandes voies classées en terrain d’aventure, elles ne disposent donc pas de conventions avec la FFME.

« Des idées de conventions sont arrivées sur des secteurs avec des voies plus courtes. Ces secteurs avaient été mis en avant dans les années 93-95 via des championnats organisés sur notre terrain. Une convention avait donc été signée avec la FFME pour le secteur Balme étrange. »

Au final donc, seul un secteur impacté par le déconventionnement. Pourquoi alors interdire toute la falaise ?

Le dévers raide du secteur Festival | © Matthias Paré

Dialogue et sentiment d’abandon

C’est en 2020 que Laurent Garnier apprend par la Presse que la FFME va peu à peu mettre fin à ses conventions. « J’interpelle à l’époque le club VTNO et d’autres acteurs de l’escalade pour comprendre ce qu’il va se passer d’ici la fin 2022. Il a fallut attendre plus d’un an pour qu’on me propose une réunion ».

Monsieur Garnier rappelle que le Département de l’Isère est très volontaire sur les sports de nature et cette rencontre avec différents acteurs locaux en 2021 lui laisse présager de bons accords. « Le département épluche les conventions pour décider lesquelles reprendre. Mais entre temps plus de nouvelles sur le dossier». Dans notre article sur l’interdiction de la falaise de Saffres en novembre 2022, la Mairie de Saffres nous faisait également part de longues périodes sans nouvelles du dossier déconventionnement.

A l’automne 2022, Laurent Garnier s’inquiète de ne toujours pas avoir de nouvelles du dossier. Un rendez-vous est fixé avec le département pour début décembre. Soit le tout dernier mois de conventionnement. Mais mauvaise nouvelle, le Département ne reprend pas la convention car le site « soit disant pas assez sportif » ne correspond pas à sa politique. De plus, on ne lui laisse pas le choix et le déconventionnement prendra effet dans quelques semaines.

Dans cette situation où il se sent froissé et acculé, Laurent Garnier explique qu’il ne peut pas simplement accepter que les grimpeurs puissent « venir chez moi tranquillement, utiliser ma route, mon parking et grimper comme si de rien n’était. Et en plus de ça je vais assumer l’assurance d’un risque d’accident. 18 mois sans accompagnement et seulement 3 mois pour se décider et trouver une solution ».

L’interdiction de Monsieur Garnier est donc plus une réaction à la façon dont la FFME a géré le dossier car pour lui « il n’est pas politiquement correct de traiter comme ça un partenaire ». Étant donné la place de Presles dans l’escalade en France, Laurent Garnier, aurait apprécié que les instances nationales de la FFME se déplacent par exemple.

Le comportement des grimpeurs également mis en cause

Si dans cette décision, il veut faire réagir la FFME, c’est aussi pour lui l’occasion d’exprimer un ras-le-bol de certains comportement de grimpeurs.

« Depuis la fin du covid, les sites naturels se sont fait atomiser par les urbains qui viennent consommer et n’ont aucun code de la campagne. Comment on fait pour répartir les flux ? Quand on va dans une rivière on ne fait pas un barrage. On ne vient pas faire du drone parce que ça dérange le faucon pèlerin. C’est la mode des feux aussi. Il faut tout remettre à plat. »

Laurent Garnier souhaite par son coup de gueule faire changer la mentalité des grimpeurs et qu’ils ne soient plus seulement consommateurs.

Il s’est également fait l’écho d’habitants de Choranche proches des parois qui lui racontent devoir supporter l’été à 23h des « LIIIIBRES », des râles d’échecs et autres matériels qui s’entrechoquent. Il nous parle également de ceux qui bivouac plusieurs jours sur le parking de la Grotte, qui prennent parfois plusieurs emplacements, et qui râlent quand on leur demande de laisser un peu plus de place aux clients. Ces évènements qui en temps normal sont acceptés par les locaux et qui font l’ambiance du lieu, prennent désormais des proportions fatigantes.

Aurions-nous tendance à considérer que tout nous est dû dans la Nature car elle représente la liberté ? Influencés par des décennies de récits d’aventures, abreuvés de films et émerveillés par des photos toujours plus spectaculaires nous voulons tous goûter à l’aventure. Il est important de ne pas perdre notre connexion à la Nature, mais attention à ce que notre réensauvagement se fasse en conscience.

Vue sur une partie des secteurs concernés par l’interdiction | © CTFFME38

La voie de l’apaisement et de la réconciliation

Si le dialogue est quelque peu fermé pour l’instant avec la FFME, Laurent Garnier tient à remercier le Département de l’Isère, « on a la chance d’avoir un Département qui prend les choses en mains. Mon élu référent, Bernard Perazio, vice président du Département, va faire un audit auprès de son service pour trouver une solution avec les clubs locaux et le parc. Mais la FFME a été plus que maladroite en arrivant comme sur un terrain conquit. Et ça je ne l’admets pas. ».

La Grotte de Choranche fait plus de 100 000 visiteurs par an. Monsieur Garnier est également vice-président des offices de tourisme de Saint-Marcellin Vercors Isère et Vercors-Drôme. Sa position emblématique dans la région fait que sa décision a une portée redoutable et peut pousser d’autres propriétaires à faire de même. Mais cela serait dommage car comme nous l’avons vu cette interdiction n’est pas foncièrement basée sur des problèmes liés à la possible dangerosité de la pratique de l’escalade. Quant au risque de chute de pierres évoqué dans sa lettre, pourquoi ne pas interdire également l’accès aux randonneurs ? Le raisonnement ne tient pas.

Les interdictions actuelles sont un biais pour certains propriétaires et une aubaine pour les grimpeurs fâchés de rendre fautif une fédération qui aura éprouvé des difficultés à expliquer et rassurer sur son transfert de responsabilité.

L’idée n’est pas mauvaise de responsabiliser les collectivités comme les Départements, mais la lourdeur administrative de ces institutions semble avoir impacté l’avancement de certains dossiers au point que les propriétaires se soient sentis acculés et pris de court. Le fait est que la dimension émotionnelle ressort dans pas mal d’interdictions. Heureusement pour tout le monde, les émotions se raisonnent avec de la considération, du dialogue et aussi un peu de temps.

D’ailleurs, un bel exemple pour la suite avec Etrechy de nouveau autorisé ! L’agence des espaces verts (propriétaire du site) a conclu un accord avec la Mairie pour reprendre la responsabilité pour une dizaine d’année. L’entretien quant à lui sera pris en charge par des associations de grimpeurs.

Nous vous conseillons pour finir, la lecture du texte de Gilles Rotillon chez nos confrères de Montagnes Magazine qui explore de belles réflexions pour l’avenir.