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Interview: Romain Desgranges au passé, au présent et au futur !

Une page s'est tournée, mais l'histoire continue pour Romain Desgranges © Patrick Domeyne

Visseuse dans une main, stylo dans l’autre… Depuis quelques semaines, Romain Desgranges n’a plus une minute à lui ! Suite à l’annonce de sa retraite sportive, le Chamoniard est débordé. Bien sûr, on le retrouve toujours au plus près d’un mur d’escalade, là où il a toujours passé le plus clair de son temps. Mais cette fois-ci, avec une visseuse à la main, pour tracer des voies pour le réseau de salles ClimbUp. Ou alors avec une feuille de papier et un stylo, lorsqu’il transmet ses 25 années d’expériences aux jeunes du club de Chamonix, ou aux membres de l’équipe de France.

Sa relation avec l’escalade a changé. Il ne grimpe plus pour devenir le meilleur compétiteur du monde. Mais sa passion pour la verticalité reste inébranlable. Il enfile encore ses chaussons quotidiennement, mais plus pour les mêmes raisons.

Une dernière fois pour nous, Romain Desgranges a accepté de revenir sur son palmarès impressionnant de compétiteur. Sur les hauts et les bas qu’il a connus en 25 ans au plus haut niveau. Puis nous avons parlé de sa nouvelle vie et de ses projets à venir.

Alors voici comment conjuguer Romain Desgranges au passé, au présent, et au futur.


Salut Romain, tout d’abord comment vas-tu ?

Ça va bien, j’ai beaucoup de travail et de déplacements ces derniers temps… Ce qui n’est pas toujours facile dans le contexte sanitaire actuel ! 

Durant près de 25 ans, tu te levais tous les matins pour aller t’entraîner. Tu es d’ailleurs connu et reconnu dans le milieu de l’escalade pour être un véritable forcené de l’entraînement. Comment as-tu vécu cette transition avec ta nouvelle vie de retraité ?

Très bien ! Pour moi, ce n’est pas la fin d’une histoire, je continue ma vie et ma passion pour l’escalade, différemment !

Après, pour la transition, le (premier) confinement a été sur ce point là plutôt positif. J’étais coincé chez moi et donc forcément ça a coupé avec les « routines et habitudes  » de se lever et d’aller au gymnase. 

Du coup, après plus de deux mois sans rien faire, tout est reparti de zéro, donc j’y suis allé doucement et ça revient tranquillement. Juste grimper pour le plaisir de grimper, faire des mouvements, sans forcément réfléchir à tous les détails à améliorer pour être « plus performant »… Même si, je te l’accorde, au fond de moi, j’aime viscéralement l’entraînement. Juste grimper se transforme rapidement en séance masochiste… Sans voir plus loin que d’avoir les bras complètement pétés à la fin de la journée ! 

Romain Desgranges tentait de garder la forme lors du premier confinement, aidé par sa petite fille Rose.

Si tu ne devais retenir qu’un seul moment en compétition, parmi tes 130 départs en Coupe du Monde, quel serait-il ?

Il y en a beaucoup, pour moi, c’est vraiment une aventure dans sa globalité. Même s’il y a quelques souvenirs forts qui ressortent, le podium se jouerait entre cette première victoire au championnat d’Europe en 2013: une première place quasi improbable à ce moment-là, à Chamonix, sur la place du Mont-Blanc, devant ma famille et mes amis !

Ou alors, toujours à Chamonix, lors de la Coupe du Monde en 2017, où le scénario était presque parfait en sortant cette finale qui m’a toujours fait rêver… Mais malheureusement sans la victoire au bout !

Ou alors à Édimbourg, peut-être anecdotiquement: ma 100ème Coupe du Monde, une victoire, mais surtout pour moi LE run parfait, le plus abouti de ces 20 ans de compétition… Et oui, 1 run sur 130 Coupes du Monde !

Romain Desgranges réalise l’un de ses rêves: enchaîner la voie de finale de la Coupe du Monde de Chamonix, devant son public © FFME – Rémi Fabregue

Au milieu de tes milliers d’heures passées à t’entraîner dans le gymnase de l’ENSA, à Chamonix, quel est ton plus beau souvenir ?

Ce n’est pas forcément un souvenir précis qui résonne à ce moment-là, c’est surtout le lieu qui symbolise tout ce que nous avons créé avec Fabrice. Pendant ces 25 ans, ça a été notre laboratoire. Les heures que nous avons passées là-bas tous les deux résument à elles seules notre passion pour l’entraînement et racontent la merveilleuse histoire que nous avons construite. Aucune victoire, aucune médaille ne vaut ce que nous avons vécu ensemble toutes ces années.


Sur 130 Coupes du Monde, il n’y a peut-être qu’un ou deux runs où j’ai été vraiment satisfait de ma performance au-delà du résultat. »


En 25 ans de carrière, quelle est la plus belle anecdote que tu puisses nous raconter ?

Oulala… Je crois que tout a été dit et redit…! Allez si ! Avec mes potes, on s’amusait à changer toutes les cotations au gymnase pour la semaine entre Chamonix et Briançon, comme ça, les nations qui restaient s’entraîner entre les deux compètes se faisaient maltraiter par des 6b/8c ou des 8a/7b… La base quoi ! 

As-tu des regrets dans ta vie de compétiteur ?

Oui et non, forcément il y a plein de runs où je m’en veux d’avoir fait des erreurs qui m’ont empêché de faire de meilleurs résultats, mais au final c’est ça aussi la compétition. Sur 130 Coupes du Monde, ça fait probablement autour de 400 voies, et il n’y a peut-être qu’un ou deux runs où j’ai été vraiment satisfait de ma performance au-delà du résultat. 

Après, si l’on regarde plus globalement, je n’ai et ne peux avoir aucun regret. Mes choix étaient toujours faits dans le sens de mon entraînement et de mes objectifs. Donc même si certains choix étaient difficiles, en aucun cas ça ne pourrait être assimilé à des regrets. Je faisais ce que j’aimais le plus : m’entraîner ! 

Des milliers d’heures passées à s’entraîner entre les quatre murs du gymnase de l’ENSA à Chamonix © Seb Tavares Gomes

Continues-tu toujours à t’entraîner ?

Je mets mes Pythons quasiment tous les jours ! Même si ça reste plus de la grimpe, mais comme je te disais, ça dérive vers un traquenard. Hé oui, grimper et s’entraîner, ce n’est pas pareil !

Est-ce que le fait de faire un come-back, peut-être sur une seule compétition, t’a déjà effleuré l’esprit ?

Non, aucune chance. La vie de compétiteur est derrière moi, je l’ai vécue en long, en large et en travers, j’ai fait le tour du jeu, maintenant mon esprit est tourné vers d’autres aventures ! 


La France est une nation forte de l’escalade qui n’est pas en manque de talents, ça c’est sûr. Malheureusement, dans l’escalade mondiale actuelle, être talentueux ne suffit pas ! Il en faut plus, il faut travailler d’arrache-pied. »


Y a-t-il des moments où tu regrettes d’avoir mis un terme à ta carrière de compétiteur ?

Le seul regret que je pourrais avoir, c’est que c’était une excuse simple et facile pour dire non aux diverses sollicitations « désolé, je ne peux pas, je dois m’entraîner ». Maintenant, je dois trouver d’autres subterfuges ! 😅

Le 26 février, Romain Desgranges rendait son brassard de capitaine.

On t’a vu sur la Coupe du Monde de Briançon, de l’autre côté de la barrière, dans la zone réservée aux coachs. Comment as-tu vécu cette première compétition internationale en tant qu’entraîneur ?

C’est le pied total, j’étais à fond et à aucun moment j’ai eu envie d’être autre part. Encore et toujours, c’est un honneur de pouvoir continuer à revêtir le maillot de l’équipe de France, que ce soit sur le mur ou maintenant au pied. 

Quelles sont tes nouvelles fonctions au sein de la fédération ?

Je n’ai aucune fonction officielle, je suis au service des entraîneurs en place et surtout des athlètes. J’essaie d’apporter toute mon expérience, et aussi de transmettre la rigueur nécessaire dans les moindres détails de l’entraînement pour le haut-niveau. 

Depuis le déconfinement, j’ai beaucoup travaillé avec Cécile Avezou et l’équipe seniors de difficulté. C’est une transition dans la continuité du rôle de « capitaine » qu’elle m’avait donnée.

Je suis à fond, j’adore et je me sens vraiment dans mon élément dans ce rôle-là. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à l’équipe de France et ce qui pourrait être bien de mettre en place pour eux. Encore une fois, tout ce que nous avons construit avec Fabrice entre les quatre murs de l’ENSA ne s’est pas éteint le jour où j’ai décidé d’arrêter la compétition. Endosser ce nouveau rôle n’est pour moi qu’une suite logique tellement excitante !

Romain Desgranges intervient désormais aux côtés des entraîneurs de l’équipe de France © Aurèle Bremond

Quelques semaines encore avant de passer entraîneur, les membres de l’équipe de France étaient tes partenaires de compétition. Comment s’est passé ton changement de statut ?

C’est d’un côté assez facile, car il n’y a pas forcément de liens particuliers à créer pour faire passer des messages et échanger avec eux, je les connais, ils me connaissent, tout se fait assez simplement. Mais d’un autre, il y a un côté plus périlleux car avec cette confiance presque automatique qu’ils me portent, je ne veux/peux pas les décevoir et dois être vraiment attentif à chacune de leurs demandes ou chaque signal qu’ils m’envoient.

C’est tout le travail qui m’attend: avoir des choses à dire et à transmettre c’est important; savoir le faire c’est autre chose. 


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Que penses-tu de la nouvelle génération de grimpeurs français comme Mejdi Schalck, Paul Jenft, Camille Pouget, Oriane Bertone et bien d’autres encore ?

La France est une nation forte de l’escalade qui n’est pas en manque de talents ça c’est sûr. Malheureusement, dans l’escalade mondiale actuelle, être talentueux ne suffit pas ! Il en faut plus, il faut travailler d’arrache-pied. Janja, Adam, Alex et les autres s’entraînent comme des malades et sont exclusifs dans leur projet il n’y a pas « d’un peu de tout mélangé ». Encore une fois, quand Adam se fixe des objectifs en compétition, on ne le voit plus dehors, il s’entraîne dans sa salle. Où inversement, quand Alex enchaîne un 9c, on peut se dire qu’il est sur-fort et qu’il va gagner Briançon sans sourciller… Et non.

Ce sont deux choses différentes, qui demandent un investissement global et viscéral.

Refuser un trip au bout du monde pour rester faire des circuits de rési dans un sombre gymnase, ce n’est pas une décision facile quand on ne sait pas très bien ce que l’on veut. Mais quand on sait ce que l’on veut, on reste sur nos prises en résine sans aucune hésitation !

Des années d’expériences que Romain Desgranges transmet maintenant aux plus jeunes © Aurèle Bremond

Quels conseils donnerais-tu à un grimpeur qui souhaiterait se lancer dans une carrière à haut-niveau ?

D’aimer l’entraînement plus que la gloriole. Être sportif de haut-niveau n’est pas un but, mais une conséquence de notre niveau et de nos résultats !

Après le succès de « So High », tu as sorti un nouveau livre, « Solide ». Un troisième ouvrage est-il prévu ?

Incroyable mais vrai: je suis écrivain ! Si mes anciens professeurs de français savaient ça ! « Solide » rencontre un énorme succès, encore plus que ce que nous avions pu imaginer. Guérin a dû lancer une réimpression au bout d’un mois. Je suis super content de l’accueil et des retours de ce livre (comme quoi, je ne suis pas le seul à croire que le nombre de tractions d’un bras est essentiel pour l’entraînement…).

Nous avons plusieurs projets sur le feu, d’autres livres avec Guérin et certainement une autre BD, puis un autre projet totalement loufoque et différent qui j’espère… Passionnera vos soirées ! 


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Quels sont tes projets maintenant ? Gravitent-ils tous autour de l’escalade ?

Oh oui ! 

Mon premier projet est de passer du temps avec ma famille… Ce qui, comme tu l’imagines au vu de mes dernières réponses, n’est pas toujours évident. Que ce soit avec l’équipe de France, avec Climb Up, le club d’escalade de Chamonix, ainsi que mes projets perso, je suis bien trop occupé…

Un dernier mot à ajouter ?

J’avais dit que je ne répondais plus aux interviews pour parler de « moi et de mes grimpouilles, moi, moi et moi mes zips & co » tout a été dit et rereredit ces dernières années. J’ai fait une petite exception pour toi car ces échanges ont été un peu un fil rouge de ces dernières années. On parlera d’escalade, d’entraînement, de livres ou d’autres projets mais plus du compétiteur que j’ai été un jour 😉.

Publié le : 04 novembre 2020 par Nicolas Mattuzzi

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