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Interview-Portrait: Camille Pouget, étoile montante de l’escalade française

- Le 28 mars 2020 -

© Planetgrimpe

Si elle ne prend pas encore le temps de s’évader très souvent en falaise, c’est pour se consacrer pleinement à la compétition de haut niveau, et cette stratégie lui réussit plutôt bien actuellement avec déjà deux titres de de championne d’Europe (minime en 2017 et cadette en 2019) et 4 finales aux championnats du monde jeunes (8ème en minime 1, 4ème en minime 2, 5ème en cadette 1 et 6ème en cadette 2). Et ces belles performances chez les jeunes lui permettent de rêver encore plus grand, puisqu’elle fait également partie de l’équipe de France de difficulté seniors depuis 2018. Adepte de la difficulté donc, mais sans pour autant délaisser le bloc, Camille commence également à se projetter sur de plus gros objectifs, et notamment les JO de Paris 2024, où, pour rappel, il est envisagé de passer à deux épreuves en escalade: une épreuve de vitesse et une épreuve de combiné bloc-difficulté. Rencontre avec une jeune athlète pleine de promesses… 


  • Avant de démarrer, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je suis Camille Pouget, une grimpeuse de 17 ans. Je vis à Toulouse, chez moi et au CREPS, et je suis membre du pôle espoir Occitanie. Je suis passionnée de grimpe depuis que je suis petite et j’essaye aujourd’hui de pousser cette passion le plus loin possible pour qu’elle puisse me permettre de vivre des émotions fortes et uniques. Pour cela, je me suis principalement tournée vers le domaine de la compétition. Je suis en équipe de France jeune depuis 4 ans et sénior depuis 2 ans.

  • Où, quand et comment as-tu démarré l’escalade ? Pourquoi ce choix ?

C’était à Fonsorbes (31), la ville où j’ai grandi. Dès toute petite, mes parents m’inscrivaient dans différents sports mais aucun ne m’a vraiment plu parce qu’ils demandaient du calme et de la rigueur, et moi j’étais une enfant très dynamique. A l’âge de 5 ans j’étais inscrite au club de gym et après chaque cours, je passais devant le mur d’escalade du gymnase et j’ai été attirée par ces jeunes qui touchaient le plafond de la salle. J’avais l’impression qu’ils étaient « intouchables ». Le président du club des 3 mousquetons m’a alors fait essayer une voie par semaine pendant les trois derniers mois de l’année. Ça a été une vraie révélation. L’année suivante, j’ai quitté la gym et j’ai décidé de m’inscrire à l’escalade. C’est le premier sport que j’ai choisi seule. Au début, mes parents étaient un peu sceptiques à propos de ce sport, mais rapidement, ils se sont rendus compte que c’était celui qui me convenait le mieux et ils se sont vite mis à fond derrière moi !

  • Peux-tu nous résumer tes dernières années de grimpe en quelques lignes ?

Depuis 4 ans je suis membre de l’équipe de France jeune de difficulté encadrée avec « punch » par Corinne Theroux. Puis j’ai intégré le pôle espoir en 2017, qui m’a vraiment aidé à progresser en bloc : je termine vice-championne de France cadette la même année. Ensuite j’ai intégré l’équipe de France sénior de difficulté à partir de 2018. Depuis le début de mes années jeunes, j’ai décroché deux fois le titre de championne d’Europe (minime en 2017 et cadette en 2019) et 4 finales aux championnats du monde jeunes (8ème en minime 1, 4ème en minime 2, 5ème en cadette 1 et 6ème en cadette 2). Chez les séniors, mes plus beaux résultats ont été l’année dernière où je termine deux fois 13ème sur des étapes de coupe du Monde (Chamonix et Villars), et 9ème des championnats d’Europe à Edimburgh. Au niveau national, je réussis l’année dernière à décrocher le titre de vice-championne de France sénior au Pouzin, et je renouvelle mon titre de championne de France jeune pour la troisième fois. Toutes ces expériences et notamment celles en équipe de France ont été une vraie source de motivation pour moi.

Coupe du monde de Chamonix 2019 | © Planetgrimpe

  • Avant d’intégrer le pôle de Toulouse, comment t’entraînais-tu ?

Je m’entraînais avec mon club, Les 3 Mousquetons, encadré par Eric Demay qui m’as appris toutes ses bases techniques et qui s’est beaucoup investi pour moi. Puis dès mes premières années minimes, j’ai rapidement intégré l’équipe région encadrée par Laurent Laguarrigue, qui m’a permis de combler les lacunes (physiques particulièrement) qui me faisaient défaut en bloc et sur les voies nécessitant de la puissance. L’année précédant l’ouverture du pôle, le mur de Fonsorbes commençait à ne plus suffire pour me permettre d’accéder à mes plus gros objectifs. J’ai alors été accueillie par le groupe du TEC avec qui je grimpais 2 fois par semaines. Les entraîneurs (Mathieu Moulis et Antoine Gaston) et le groupe de jeunes m’ont apporté une émulation nouvelle, de la motivation et un entraînement de difficulté plus adapté aux exigences des compétitions. Et c’est tout ce mélange d’expériences qui m’a permis d’accéder à l’équipe de France et de décrocher mon premier titre de championne d’Europe.

  • Depuis que tu es au pôle, qu’est-ce qui a changé ?

Euh… beaucoup de choses ont changé. Déjà, le fait de rentrer dans un système de sport-étude m’a permis de consacrer beaucoup plus de temps aux entraînements, sans compromettre l’aspect scolaire qui a été aménagé. Ensuite, j’ai aussi quitté mon cadre familial pour vivre à l’internat du CREPS de Toulouse. Depuis que je suis au pôle, je vis entourée de sportifs qui ont tous de grandes ambitions, sans parler des copains du pôle qui rajoutent de l’émulation et de la joie à chaque entraînement et dans la vie quotidienne, ce qui donne encore plus envie de vivre à fond. Aussi, depuis cette entrée au pôle, j’ai pu m’entraîner sur le mur du TAG qui est une super structure d’entraînement de niveau internationale. Je bénéficie d’un entraînement très régulier, planifié et structuré par mes entraîneurs qui ne sont désormais plus que deux à me suivre (Rémi Duboz et Antoine Gaston). De plus, le CREPS fournit un véritable suivi médical qui permet de traiter rapidement et de manière compétente, les petites blessures que je laissais traîner avant.

  • Comment, à 17 ans, fait-on pour s’engager dans le sport de haut niveau, souvent au détriment de « vivre » pleinement sa jeunesse ? Comment le vis-tu toi ?

C’est vrai que s’engager à fond dans le sport a sa part de points négatifs. Aujourd’hui ma vie sociale ne tourne presque plus qu’autour de l’escalade. Ce sport me prend tellement de temps que j’ai quasiment perdu contact avec mes amis qui ne faisaient pas de grimpe, les week-ends lorsque certains organisent des soirées, des sorties ou des anniversaires, je suis très souvent absente, et quand mon copain veut organiser des vacances ensemble ou me demande d’aller voir sa famille, je dois souvent dire non aussi parce que je suis en stage, en compétition ou en entraînement… Tout ça, ce sont des sacrifices, et ça me fait de la peine de devoir suspendre une partie de ma vie sociale à 17ans. Cependant, avoir fait ces choix me permet aujourd’hui de vivre pleinement ma passion. En contrepartie je voyage énormément, je vis des émotions indescriptibles et je rencontre d’autres personnes qui sont aussi passionnées par l’escalade. Tout est une question de choix (et prendre des décisions c’est pas vraiment mon fort haha). Mais je ne considère pas que je passe à côté de ma jeunesse. Au contraire ! J’estime que je la vis à fonds ! Je la vis seulement d’une manière différente que d’autres adolescents de mon âge, je la vis de manière plus exclusive, plus passionnée, moins sociale mais un peu plus folle peut-être. On peut le voir aussi d’un autre angle, j’ai la chance de vivre à 100% tous les jours pour pouvoir réaliser mes rêves à 17 ans. C’est ça aussi le sport de haut-niveau, et je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que de passer sa jeunesse à vivre au cœur de sa passion.

  • Parle nous de ton entraîneur, Rémi Duboz !

Je connaissais Rémi depuis longtemps puisqu’il est de la région, mais j’ai réellement fait sa connaissance il y a 3 ans, lorsqu’il est devenu mon entraîneur. Pendant la première année, il m’a proposé une vision de l’entraînement complètement différente de ce que j’avais l’habitude de faire. Il m’a fait faire beaucoup de renforcement physique, il m’a fait suivre une planification précise, alors que mon entraînement était essentiellement à base de grimpe libre et de volume. Cette année là, j’ai eu des doutes car j’ai pris beaucoup de masse musculaire, au détriment d’une perte de sensation, j’ai eu peur de ne plus trop me retrouver dans ma grimpe. Mais, ce que j’avais du mal à comprendre c’est que sa planification était calculée sur 2 ans et que j’avais absolument besoin de passer par là si je voulais progresser sur le long terme. Et je le remercie aujourd’hui ! Car il a réussi à gommer mon gros point faible physique et m’a permis de vivre ma meilleure année sportive l’année dernière. Maintenant, nous sommes également suivis par Antoine Gaston, qui nous accompagne lui aussi toute l’année à l’entraînement et sur les compétitions. Tous les deux sont très complémentaires et ils savent vraiment trouver les mots pour nous motiver, tant sur les entraînements quotidiens que lors de nos objectifs. Ils nous font avancer dans une ambiance amicale, de confiance mais sans oublier de nous faire progresser 😉

  • Comment définirais-tu ta grimpe ? Quels sont tes points forts et points faibles selon toi ?

C’est compliqué pour moi de m’autoévaluer sur ma grimpe parce qu’elle a pas mal changé au cours de ces trois dernières années. Je pense que mon point fort c’est de pouvoir récupérer rapidement de l’énergie dans les voies, dans les points de repos grâce au relâchement. Aussi, je dirais que j’ai beaucoup appris sur le mental et que je peux désormais m’en servir comme d’un atout tout au long de l’année pour garder la motivation, mais aussi sur les compétitions pour pouvoir donner le meilleur de moi. Je pense que ce domaine n’aura jamais fini d’être exploré et que je peux encore en tirer d’avantage, mais il a déjà été un gros facteur de progression. Ensuite en ce qui concerne mes points faibles, je dirais que mon plus gros est incontestablement la prise de décision : la faculté à faire un choix rapidement au cœur d’une situation complexe ou d’un mouvement dur par exemple. Mais on peut aussi rajouter mon manque de rythme et de dynamisme dans les voies ; de manière générale, ma grimpe est encore trop statique par rapport à l’intensité demandée sur les voies et les blocs aujourd’hui.

  • En pleine période de crise sanitaire avec le coronavirus, comment s’organisent tes journées ? Ton entraînement ?

Cette période de confinement peut être à double tranchant. Ça peut casser la motivation, réduire les espaces et la qualité des structures d’entraînements, mais cette période peut aussi être une opportunité de progresser en se recentrant sur soi. A la maison, nous avons remonté le pan d’escalade dans le garage, j’ai construit des lattes en bois et je possédais déjà certains appareils de musculation (élastiques, poids, roulette). Du coup je peux m’entraîner de manière presque normale et toujours en suivant la planification donnée par Rémi avec qui j’échange régulièrement sur mon niveau de forme etc… Mais je dois admettre que c’est plus compliqué que de s’entraîner avec les copains du pôle parce que j’avais l’habitude de me servir de l’émulation du groupe pour aller chercher plus loin dans l’effort. J’essaye alors de me poser les bonnes questions et d’aller puiser de la détermination directement à la source de mes rêves et objectifs pour ne pas perdre l’intensité pendant les séances.

  • Tes projets et objectifs sont-ils remis en cause ?

Ces événements changent pas mal le cours de la saison en effet, et je ne sais pas du tout comment va s’organiser la suite de l’année, ni si je pourrais me préparer pour toutes les compétitions auxquelles je voulais participer (elles risquent de tomber un peu toutes en même temps). Ça a déjà remis en cause un de mes objectifs qui était de rentrer en finale des championnats d’Europe de difficulté sénior puisque cette compétition a été reprogrammée pendant mon BAC. Mais malgré ces changements, ma planification reste à peu près la même. C’est le moment de se remettre une grosse charge d’entraînement puisque je conserve mes objectifs et que les compétitions sont seulement reportées. Je me dis que quelque soit la date, elles arriveront bien, et il faudra être prête !

Championnat de France de bloc seniors 2020 | © Planetgrimpe

  • Les JO 2024, tu y penses ?

On peut dire que j’y pense de plus en plus. Cette année, j’ai encore cherché à m’améliorer en bloc pour pouvoir augmenter ma polyvalence en prenant le système des JO de 2024 comme argument. On peut dire, qu’aujourd’hui c’est un rêve, comme pour beaucoup de sportifs. Mais j’ai du mal encore à me l’approprier comme un vrai objectif. Pour l’instant j’avance avec des objectifs à courts termes (qui n’en sont pas moins élevés), mais qui me feront progresser de toute façon si je veux plus tard m’entraîner dans le but d’aller aux JO de Paris.

  • La falaise dans tout ça, tu en penses quoi ?

J’ai rarement l’habitude d’y aller, mais j’aime de plus en plus grimper en falaise. C’est vraiment le moyen de s’entraîner sur un style complètement différent, sur des voies nouvelles et de sortir en fait de sa structure d’entraînement qu’on commence à connaître par cœur. C’est un bon moyen aussi de relativiser : la falaise permet de faire ressortir tous nos petits défauts qu’on ne voit pas forcément quand on grimpe en salle et qui ressortent lorsqu’on est en  »territoire inconnu ». Mais en plus de nous apporter des pistes de progression, la falaise permet de décompresser, de se ressourcer à l’extérieur, et de retrouver les copains autour d’une activité qui nous plaît quelque soit le niveau.

  • Une grimpeuse qui te fait rêver et pourquoi ?

Si je devais parler d’une grimpeuse que j’admire beaucoup, je parlerais de Charlotte Durif. Elle a elle aussi été membre du TAG, tout comme moi aujourd’hui. Je m’identifie un peu à sa grimpe qui est plutôt lente, posée, et j’admire beaucoup sa technique, son relâchement, et sa faculté à rester toujours positive et garder le sourire même si la situation est compliquée. C’est une femme qui est vraiment passionnée par son sport. Elle a survolé le classement mondial pendant des années et aujourd’hui, elle pratique encore sa passion en falaise. Elle est une vraie source d’inspiration.

  • Le mot de la fin ?

Pour le mot de la fin, je tiens à remercier absolument toutes les personnes qui m’ont donner l’envie de vivre à fond, qui m’ont permis de grandir dans ce que j’aime et qui m’encouragent à aller encore plus loin ! Et puis je suis ravie de pouvoir continuer l’aventure avec la team PlanetGrimpe et j’ai hâte de vivre de nouvelles expériences avec cette équipe !