Le contenu

Interview : Guillaume Moro, le nouveau grimpeur le plus rapide de France !

© François Le Rolland

Guillaume Moro, pilier de l’escalade de vitesse en France, a récemment frappé fort en établissant un nouveau record national en 5’’11. Au travers de cette interview exclusive, il nous dévoile les coulisses de cette performance, l’impact de ses entraînements aux États-Unis sur sa progression, et ses ambitions pour la suite de la saison.

Quand on parle d’escalade de vitesse, difficile de ne pas mentionner Guillaume Moro. À 30 ans, il est le pilier de la sélection tricolore et l’un des grimpeurs les plus expérimentés du circuit international, avec plus de 80 compétitions international à son actif. Depuis plus d’une décennie, il évolue au plus haut niveau dans une discipline où chaque détail compte et où la moindre fraction de seconde peut faire basculer un résultat.

Cette année, il a frappé fort : le dimanche 16 février, à Valence, il a battu le record de France sur la voie officielle en signant un chrono fulgurant de 5’’11. Un exploit qu’il attendait depuis longtemps et qui vient récompenser des années d’investissement, entre travail acharné et remises en question.

Pour aller chercher ce record et devenir le grimpeur le plus rapide du territoire, Guillaume a du sortir de sa zone de confort. Récemment, il a mis les voiles direction les États-Unis, afin d’apporter de la nouveauté à son entraînement. Plongé dans une culture de l’escalade bien différente de celle qu’il connaît en France, il a pu découvrir une autre approche de la vitesse. Entre sessions d’entraînement sur place et échanges avec les pointures locales, il en est revenu avec une vision encore plus affûtée de son sport et de précieux enseignements pour la suite de sa carrière.

Alors, comment a-t-il vécu ce record de France tant attendu ? Qu’a-t-il découvert lors de son périple aux États-Unis ? Et surtout, quels sont ses objectifs pour la suite de la saison, entre compétitions majeures et nouveaux défis personnels ? Guillaume Moro nous livre ses impressions, avec la passion qui le caractérise.


Guillaume, tu es un des piliers de l’équipe de France de vitesse depuis plusieurs années. Peux-tu nous raconter comment tu as découvert la discipline et ce qui t’a amené jusqu’au plus haut niveau ?

Mon premier contact avec l’escalade de vitesse remonte à 2009, lorsque j’ai assisté à un Championnat du Monde à Valence en tant que bénévole. Séduit par cette discipline, j’ai eu la chance, cette année-là, de voir mon club s’équiper d’un mur de vitesse. J’ai alors commencé à m’entraîner de temps en temps en essayant d’améliorer mon chrono.

J’ai participé au circuit national de compétitions en vitesse tout en privilégiant la difficulté et le bloc. En 2010, j’ai intégré l’équipe de France d’escalade de vitesse et participé à ma première Coupe du Monde, à Chamonix.
En 2013, j’ai arrêté le bloc et la difficulté en compétition et basculé à 100% en vitesse, en intégrant le pôle France de Voiron.

© IFSC

Avec ton expérience sur le circuit international, comment as-tu vu évoluer la vitesse ces dernières années ?

J’ai effectivement vu de près ce sport grandir et évoluer, surtout au niveau des méthodes dans la voie ; lorsqu’une nouvelle méthode était réalisée en compétition, tout le monde se questionnait et l’adoptait dans la foulée. J’ai aussi vu les records mondiaux tomber année après année. J’ai le souvenir d’un record du monde établi en 6’’26… Aujourd’hui un 6’’26 vous place parmi les derniers en Coupe du Monde !

Penses-tu être aujourd’hui l’un des grimpeurs les plus expérimentés du circuit international ?

J’ai participé à environ 80 compétitions internationales, donc oui ça doit me placer parmi les cinq grimpeurs les plus expérimentés. Mais au bout de trois ou quatre saisons, je dirais que l’expérience ne change plus grand-chose. Ce sont davantage les chronos et la régularité qui parlent.

© IFSC

Quand tu regardes le Guillaume Moro d’il y a quelques années et celui d’aujourd’hui, quelles sont les plus grandes évolutions que tu remarques ?

J’ai plus d’assurance dans mes choix, dans ma façon de m’entraîner et dans le cadre que je pose dans mon quotidien. Mais sinon, j’aime toujours autant m’entraîner, avec la même envie de performer en compétition et d’améliorer mes chronos.

Il y a quelques jours, tu as battu deux fois le record de France lors de la Coupe de France de Valence, avec un nouveau temps record de 5’’112. Comment as-tu vécu cette journée ?

J’ai pris très au sérieux cette compétition ! Je savais que j’étais en forme, il me fallait juste mettre tout en place pour sortir de gros chronos. Je suis resté très concentré jusqu’au bout. J’ai battu une première fois mon record en 5’’244, puis en demi-finale j’ai pris le record de France en 5’’146, mais je savais que j’en avais encore sous le pied. Donc j’ai encore plus « envoyé » sur la finale pour faire un 5’’112 et donc signer un deuxième record de France.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Guillaume Moro (@guillaume_moro)

Qu’as-tu ressenti au moment où tu as vu ton temps s’afficher ?

Je savais que j’avais fait un gros chrono et qu’il était proche du précédent. Sur le coup j’étais vraiment content et fier de finir en beauté cette compétition.

Est-ce que tu as changé quelque chose dans ton approche mentale ou physique avant cette compétition ?

Sur l’aspect mental je n’ai rien changé, je travaille avec le même préparateur depuis trois ans. On avait fait une séance deux jours avant pour me mettre en confiance mais rien d’inhabituel. Physiquement, je me sens un peu plus solide et j’aborde ma grimpe avec plus de confiance, grâce à plusieurs petits ajustements sur la technique qui, une fois mis bout à bout, donnent des runs assez propres.

Selon toi, quels sont les éléments qui t’ont permis d’atteindre cette performance ?

Une bonne confiance en moi suite à des runs très rapide les semaines précédentes, un bon mur (car oui, ça joue), une bonne émulation et un véritable engagement !

© Juliet Leonova-Khaydukova

Le record de France était jusque-là détenu par Bassa Mawem. Que représente pour toi le fait de l’avoir battu et de devenir le grimpeur français le plus rapide de l’Histoire ?

C’était dans mes objectifs depuis un moment de prendre le record de France. Ces derniers temps, je savais que j’en étais capable car je l’avais déjà battu à l’entraînement. J’ai un immense respect pour mon pote Bassa, on s’est fait un câlin après la compétition. Mais oui, c’est une grande fierté d’être aujourd’hui le grimpeur français le plus rapide.

Qu’est-ce que ce record change pour toi, aussi bien en termes de reconnaissance qu’en termes de motivation ?

Ça ne va clairement pas changer ma vie, mais ça envoie un message aux étrangers : je suis toujours présent et il va falloir compter sur moi cette année pour aller les challenger ! Et sur la motivation, ça me montre que je ne suis vraiment pas loin d’un run en dessous des 5 secondes.

© outThere Collective

Cette année, tu as décidé de modifier ta préparation en t’entraînant aux États-Unis. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Cela fait deux ans que j’ai quitté le pôle France de Voiron et que je m’entraîne seul sur le mur d’Anse. J’avais fait ce choix l’année des Jeux Olympiques.

J’étais un peu moins motivé après cet été et il me manquait un peu d’émulation, j’ai donc décidé de partir un mois à Salt Lake City en novembre. On a fait un camp d’entraînement avec d’autres compétiteurs européens qui sont aussi de très bons potes, avec en plus une bonne partie de l’équipe américaine qui s’entraîne là-bas. Puis, j’y suis retourné trois semaines en janvier pour progresser encore.

Tu as été coaché par Albert Ok, un entraîneur réputé aux États-Unis. Qu’est-ce qui t’a convaincu de travailler avec lui ?

La première fois qu’on s’est rencontré avec Albert Ok, c’était il y a deux ans après la Coupe du Monde de Chamonix. On reparlait de la compète qui s’était mal passée pour moi il m’a dit une phrase qui m’a marqué : « Bien sûr que tu vas le faire, tu es Guillaume Moro ». J’ai tout de suite senti qu’il croyait en moi. Il a été à l’origine de l’idée de ce camp d’entraînement.

Après un mois à travailler avec lui, je me suis rendu compte à quel point il était doué pour améliorer la technique des athlètes. Je lui ai demandé qu’il devienne mon coach et il a accepté. Il entraîne également trois athlètes olympiques américains, dont Samuel Watson, détenteur du record du monde. Pourtant, il était toujours là, derrière moi, à me motiver à chaque séance. C’est une personne incroyablement bienveillante et inspirante.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Guillaume Moro (@guillaume_moro)

En quoi ta préparation américaine a-t-elle été différente de celle que tu avais en France ?

J’ai beaucoup axé mes séances sur la grimpe et moins sur la préparation physique. On pouvait s’entraîner tard le soir, ou même le dimanche, ce qui n’est pas courant en France. On a fait quelques séances interminables de plus de trois heures et d’une trentaine de runs avec pour objectif de battre notre record ! Le groupe tirait tout le monde vers le haut, on s’encourageait sincèrement, même si ce sont mes concurrents que je vais retrouver en compétition internationale.

Quels ont été les aspects les plus marquants ou les plus difficiles de cette nouvelle approche d’entraînement ?

Le plus dur est de changer mes habitudes de grimpe et d’appliquer des nouveaux placements de pieds, de mains, de bassin, de genoux pour optimiser ma trajectoire. Ce désapprentissage prend de l’énergie et du temps.

Avec du recul, est-ce que tu sens que cette expérience t’a réellement fait progresser ? Si oui, sur quels points ?

Oui vraiment, sur l’aspect technique surtout, mais aussi sur la confiance en moi et en mon coach. S’entrainer avec Sam Watson et Zach Hammer, qui faisaient beaucoup de runs rapides, m’a aussi bien motivé !

© Gaël Bouquet des Chaux

La vitesse est dominée par l’Indonésie et la Chine ces dernières années. Est-ce aussi une des raisons qui t’a poussé à aller chercher une autre approche aux États-Unis ?

Oui, ce sont deux nations avec une forte densité de grimpeurs dans le top niveau. Pour avoir déjà connu l’entraînement dans ces deux pays, je sais qu’il diffère beaucoup de notre conception de l’entraînement ; pour eux c’est presque une question de vie ou de mort ! Aux USA, je savais que j’allais pouvoir concilier un entraînement sérieux et des moments de vie en dehors de l’escalade.

En dehors des aspects purement techniques, qu’as-tu appris sur toi-même durant cette expérience d’entraînement à l’étranger ?

J’ai beaucoup réfléchi sur le sens que les entraînements et les compétitions représentaient pour moi. Là-bas, je me suis questionné sur pourquoi j’avais commencé et pourquoi je continuais après tant d’années.

En fait ma motivation me vient depuis tout petit, je voulais tout le temps aller plus vite que ce soit en courant, en skiant, à vélo… J’aime la compétition, je cherche à m’améliorer, c’est en moi. Donc je veux me prouver que je suis encore capable d’aller plus vite.

© IFSC

Tu l’as mentionné sur Instagram : ton objectif est désormais de descendre sous la barre des cinq secondes. Peux-tu nous en dire plus sur ce que cela représente pour toi et sur les étapes à franchir pour y parvenir ?

Cette année je veux axer mes objectifs sur mes chronos et non sur un résultat en compétition. Je trouve ça plus sain et c’est quelque chose que je peux maitriser. Passer sous la barre des 5 secondes me tient vraiment à cœur, et être le premier Français à le réaliser serait une immense satisfaction. Ça se joue à pas grand-chose maintenant, un peu de fraicheur, un bon temps de réaction, une compète avec de l’émulation…

Avec ces nouvelles performances, comment envisages-tu la suite de ta saison ?

Je vais l’aborder une compète après l’autre. On a un sélectif le 1er mars, puis le Championnat de France le 15 mars durant lesquels il faudra faire sous les 5’’10 pour aller sur les premières Coupes du Monde. J’ai ensuite les Jeux Mondiaux Militaires en Suisse. Après, on verra, mais si j’approche les 4 secondes, ça ouvrira des portes pour de belles performances sur le circuit international.

© Heike Feiner

Plus largement, quels sont tes objectifs à long terme en vitesse ?

Sur ma carrière en tant que grimpeur je pense que j’arrive justement à ce « long terme » ; du coup je ne me projette pas encore au-delà de l’année prochaine et je reste sur cet objectif de 4 secondes cette saison.

Mais pour mon après carrière, j’aimerais coacher plus d’athlètes, transmettre mon expérience, développer l’escalade de vitesse en France et dans le monde.

Avec ton niveau actuel, à quoi ressemble une semaine type d’entraînement pour toi ?

C’est environ six séances de vitesse et trois ou quatre de musculation, soit entre 25 et 30 heures par semaine, tout en essayant d’optimiser la nutrition, la récupération et le sommeil.

Comment arrives-tu à gérer la pression et la recherche de performance à chaque compétition ?

Mon préparateur mental m’aide beaucoup à ajuster les curseurs (si je suis trop stressé ou pas assez) afin d’être impliqué comme il faut. J’essaye de prendre du recul parfois et d’apprécier chaque instant en compète.

Quels sont les plus grands défis auxquels tu fais face aujourd’hui en tant que grimpeur de vitesse ?

Eviter d’avoir les doigts en sang à chaque séance ou ne pas se cogner les genoux (rires). Plus sérieusement, c’est trouver ce juste équilibre entre relâchement, engagement et prise de risque, pour aller chercher de meilleurs chronos.

Un dernier mot à ajouter ?

Pour avoir vécu l’histoire de l’escalade de vitesse en France je peux vous dire qu’on a beaucoup été critiqués pendant toutes ces années, au même titre que l’évolution du style de bloc en compétition. Je trouve ça dommage car je vois comment ça se passe à l’étranger et comment un pays peut pousser une discipline à briller. Alors oui, l’escalade n’est plus la même qu’il y a 30 ans, et nos grimpeuses et grimpeurs français de vitesse qui consacrent une partie de leur vie dans ce sport magnifique méritent un grand respect.

Je tiens à remercier l’Armée de Champions qui me soutient depuis plusieurs années, le 511ème régiment de l’Armée Française que je parraine, ainsi que mon sponsor Sofidev, le Club Vertige, l’AL Escalade, Albert, Saïd et mes parents.


Lire aussi

JO 2024 : le record du monde d’escalade de vitesse explosé ; Bassa Mawem en finale !

 

Publié le : 10 mars 2025 par Nicolas Mattuzzi

# Actualités PGInterviewsInterviews et portraits

guillaume moro