Interview exclusive: Nico Januel revient sur les dernières polémiques qui ont agité les sélections en équipe de France
Su nous t’avons sollicité c’est avant tout pour lever le voile sur les différentes « polémiques » qui ont surgi suite au championnat de France et au sélectif de bloc de Fontainebleau, à savoir peut-on être ouvreur et entraineur sur une compétition / un sélectif.
Avant de commencer, peux-tu te présenter et nous rappeler tes fonctions au sein de la FFME ?
Je m’appelle Nicolas JANUEL, j’ai 32 ans, et je suis conseiller technique national à la FFME depuis 2010. Depuis 2012, je suis entraîneur national des équipes de France de bloc et entraîneur au pôle France de Fontainebleau.
La première question que l’on aimerait aborder avec toi concerne l’ouverture d’une compétition… On a souvent tendance à penser qu’une ouverture peut favoriser ou défavoriser un grimpeur. Par exemple, il y a quelques années on entendait dire à Briançon que pour faire gagner Ramon il suffisait de créer un passage mutant sur réglettes. Qu’en penses-tu ?
Il est certain que si l’on connaît très bien des grimpeurs, leur façon de grimper, leurs points forts, leurs points faibles, on peut facilement proposer des passages dans lesquels ils seront à l’aise ou pas. Cela dit, je pense qu’il est plus compliqué de réellement avantager quelqu’un en bloc car le panel de savoir-faire technique/physique à maîtriser est très large, voir infini.
Cette année encore, tu exerces donc la fonction d’entraîneur de l’équipe de France avec Rémi Samyn et Jacky Godoffe, et on vous retrouve toi et Rémi sur l’ouverture des championnats de France de bloc. Comprends-tu qu’il puisse y avoir polémique à ce sujet ? N’y-a-t-il pas un conflit d’intérêt même si vous vous efforcez d’être les plus neutres possibles ?
Nous étions accompagnés par Laurent Laporte et Marc Daviet. Ils ont ouvert avec nous car ce sont des ouvreurs internationaux qui seront présents sur le circuit international cette année. Leur expérience nous aide à coller à la réalité de l’ouverture proposée en Coupe du Monde. Concernant le conflit d’intérêt, je pense qu’il faut regarder la situation très en surface pour polémiquer. Si nous voulions emmener les personnes de notre choix en Coupe du Monde, il y’aurait beaucoup plus simple que d’avantager des grimpeurs via l’ouverture. Nous pourrions tout simplement revenir à notre ancien système de sélection, une liste et les entraîneurs qui choisissent en leur âme et conscience. Est-ce que ce serait plus juste et motivant pour les grimpeurs ? Je suis sûr que non. Quoi qu’on en dise, avec ce système de sélection, en s’entraînant avec rigueur et assiduité, au regard des exigences du très haut-niveau, tout le monde à sa chance. Cette année, la plupart des filles sélectionnées ne s’entrainent d’ailleurs jamais au pôle France. Il y a deux ans Thomas Caleyron avait également été champion de France dans des conditions similaires.
Les grimpeurs du pôle (qui ont accès à la salle Karma où vous ouvrez des blocs toute l’année) ne sont-ils pas favorisés par rapport aux autres grimpeurs lorsque c’est vous qui ouvrez une compétition ?
Pour commencer, je voulais juste revenir sur des propos faux et injustifiés qui ont été dits concernant l’accès « très restreint » selon certains au pôle France. En effet pour information, les 30 premiers du classement national senior bloc, ont accès au pôle France. Pour venir grimper sur la structure, il y a deux obligations : prévenir 48h à l’avance et se greffer à un créneau d’une séance du pôle. Grosso modo, un grimpeur figurant dans ce classement peut grimper tous les jours au pôle s’il le souhaite. Et les intéressés ont tous été prévenus par mail en début d’année. Je pense qu’il serait intéressant de regarder ce qui se passe dans d’autres sports, pour voir si les pôles France de l’INSEP sont autant ouverts que le nôtre.
Après pour revenir à ta question, si les grimpeurs du pôle sont favorisés, ce n’est en aucun cas parce que nous sommes ouvreurs. Nous essayons d’être très vigilants là-dessus quand nous intervenons dans le cadre de compétitions sélectives comme je te l’expliquais précédemment. Le seul avantage qu’ils ont c’est de pouvoir grimper presque quotidiennement dans des blocs de compétition et de profiter d’une émulation sans égale. Mais c’est l’esprit de ce pôle : proposer un dispositif de pointe, qui met les grimpeurs dans les meilleures conditions possibles. Et ce afin de faire avancer leurs projets de grimpeurs de haut-niveau. Nous sommes très exigeants avec eux, une exigence à la hauteur de l’adversité en escalade aujourd’hui et également à la hauteur de cet outil de pointe que la fédération a mis à notre disposition.
Doit-on forcément faire parti du pôle France pour performer en compétition ?
Je ne pense pas non. Marine Thevenet a fait une superbe saison l’année dernière en s’entraînant à Lyon.
Par contre ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui l’Ile de France présente de réels atouts pour un grimpeur de bloc. La forêt de Fontainebleau, qui est d’une richesse incroyable, plus ou moins 10 salles de blocs, avec chacune des spécificités qui les rendent uniques et intéressantes, et le pôle évidemment.
Par exemple, un grimpeur de haut niveau qui vient s’entraîner en indoor à Paris, dispose tous les mois de plus ou moins 300 blocs durs dans les salles privées, et d’une cinquantaine de blocs « compétition » au pôle. Et je ne parle pas de la forêt… D’ailleurs en aparté, si on regarde les résultats des championnats de France jeunes de bloc depuis 5 ans, on se rend compte de la place prise par les clubs franciliens. Cela est le fruit de leur excellent travail et d’une dynamique territoriale très forte.
Donc pour moi, aucune « obligation » de faire partie du pôle pour être très performant. Marine est un bon exemple. Par contre, il y a actuellement des avantages très nets à résider en Ile de France pour s’entraîner pour la compétition de bloc.
Enfin, une vidéo a circulé sur Facebook avec des entraînements sur les blocs de la salle Karma, et il semblerait que le 1er bloc des finales hommes des championnats de France soit très similaire avec l’un des blocs de la salle Karma, ton avis la dessus ?
Encore une fois, il faut regarder la vidéo très en surface pour trouver des similitudes. Si certains veulent la voir, je l’ai d’ailleurs posté sur mon profil instagram il y a plusieurs mois.
Et pour rebondir sur ta question, un des reproches qui nous a également été fait, était d’utiliser les prises du pôle France pour ouvrir certains blocs aux championnats de France. Mais ne confondons pas tout, ce n’est pas parce que ce sont les prises du pôle que nous ouvrons avec mais avant tout parce que les prises du pôle sont celles que l’on retrouve sur le circuit international.
Le lien de la vidéo du bloc en question au pôle (premier bloc)
Pourquoi ne pas choisir des ouvreurs « neutres » sur une telle compétition, on regorge de bons ouvreurs nationaux en France non ? Alors oui un ouvreur a toujours des copains parmi les compétiteurs, mais le conflit d’intérêt semble tout de même beaucoup moins important que entraîneur/ouvreur ?
En tant qu’entraîneurs nationaux nous sommes évalués sur les résultats des Français au niveau international. Une médaille d’un grimpeur du pôle ou non a la même valeur dans notre bilan. C’est pour cela que nous tenons à emmener les meilleurs, les mieux armés pour le circuit international.
Depuis quelques années nous sélectionnons les grimpeurs sur des compétitions. Pourquoi ? Par souci d’équité, pour motiver tout le monde à se dire : si je suis plus performant que mon adversaire, c’est moi qui aurait ma place en équipe. Cela dit, ce système peut fonctionner si les grimpeurs sélectionnés sont effectivement les mieux préparés pour affronter le circuit international.
Nous tenons donc à nous porter garant du bon déroulement des compétitions sélectives en participant à l’ouverture. Alors effectivement, d’autres ouvreurs seraient capables de le faire à notre place mais il y a un risque pour notre fonctionnement.
Par exemple, prenons le cas de la Coupe du Monde de Grindelwald l’année dernière. Laurent Laporte, qui est un excellent ouvreur, nous a dit qu’il voulait délibérément faire une compétition très orientée « jump ». Pourquoi pas. Mais dans ce cas, s’il y a beaucoup de jetés en finale, il faut qu’il y ait beaucoup de jetés en demi et beaucoup en qualification. Afin de sélectionner les meilleurs dans le style. Encore une fois, je trouve le concept intéressant et la compétition était plutôt sympa. Cela dit, ce n’est pas la réalité de tout le circuit international, où une bonne polyvalence est souvent demandée.
Donc imaginons que demain, Grindelwald soit La Baconnière, certes les champions de France de jeté seront en équipe de France, mais ce ne sera pas forcément les champions tout-terrains que demande le circuit de Coupe du Monde. Et cela malgré la grande qualité de l’ouvreur indépendant, qui n’a juste pas l’obligation d’être intéressé au système de sélection en équipe de France.
Afin que les choses soient limpides notre logique est donc la suivante : un bloc dans chaque style, dans chaque tour. Des niveaux assez homogènes afin que chacun puisse exprimer ses qualités tout en ayant une obligation de polyvalence. Les ouvreurs indépendants qui ont ouvert avec nous depuis plusieurs années peuvent en témoigner. Nous les avons assez embêtés pour qu’on évite de retrouver 3 blocs identiques dans un même circuit.
Et j’ai l’impression que ce fonctionnement est plutôt pertinent, car depuis le départ du projet, les plus performants lors des sélections, ont ensuite été les plus performants en Coupe du Monde.
Quels sont les objectifs pour l’équipe de France cette année ? Vous avez déjà en vue Bercy 2016 ?
L’objectif principal de cette année est de gagner des médailles aux championnats d’Europe et en Coupe du Monde. Nous voulons que le niveau des Français augmente et qu’ils soient de plus en plus nombreux à pouvoir accrocher les podiums. Même si nous avons Bercy en ligne de mire, nous allons pour l’instant déployer notre énergie sur cette très motivante saison à venir, et nous aurons le temps de penser plus précisément à la suite quand la saison sera terminée.
Pour terminer, le mot de la fin ?
Juste que cette « polémique » nous a fait prendre conscience de la nécessité de communiquer sur notre façon de travailler. Nous préparons pour la rentrée un temps d’échange avec tous les entraîneurs qui pourraient être intéressés pour partager sur l’entraînement et l’ouverture.
J’invite également les grimpeurs et les entraîneurs qui veulent des informations, des explications, des détails quant à la façon de fonctionner du pôle France et des équipes de France de prendre leur téléphone ou de venir nous voir quand nous avons l’occasion de nous rencontrer. Nous serons toujours très contents d’échanger. Et cette démarche est très enrichissante pour tout le monde. Contrairement à la communication « réseaux sociaux », tranquillement caché derrière son écran, mais qui ne fait pas avancer grand-chose.
Pour finir, le pôle France est un laboratoire exceptionnel, et j’invite les compétiteurs Français à venir nous voir dès qu’ils le peuvent. Nous les accueillerons avec beaucoup de motivation et l’émulation tirera tout le monde vers le haut.