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Grimpeuses : l’association qui redéfinit la place des femmes dans l’escalade

© Julia Cassou 

« Pousser les femmes à s’investir dans leur escalade pour que ça rejaillisse sur leur vie« .

Voici le crédo de l’association Grimpeuses qui monte en puissance et nous pousse à remettre en question certains comportements et façons de penser.

Entre conférences et rencontres, le Salon de l’Escalade 2025, qui a eu lieu les 10 et 11 janvier derniers, aura été le vivier de nombreuses prises de conscience sur notre pratique. Et notamment l’apport bénéfique du féminisme dans l’évolution de notre sport. L’association chapeautée par la grimpeuse professionnelle Caroline Ciavaldini était naturellement présente au Salon alors nous en avons profité pour rencontrer ses membres et réfléchir ensemble à la place du féminisme dans l’escalade.


Pourquoi des associations féministes apparaissent dans l’escalade ?

Certes, aujourd’hui notre activité est en plein changement, mais il y a encore parfois du chemin à parcourir. La majorité des grands récits qui font la culture de notre pratique sont portés par des hommes. Longtemps, l’escalade a été stéréotypé à cette image d’un homme torse nu, le corps fin et les muscles saillants. Que personne ne se sente visé dans sa déconstruction, mais notre sport est fortement marqué par certaines pensées limitantes. « Les dévers c’est pour les mecs, les dalles pour les filles« ,  « Une voie ou un bloc enchaîné par une femme doit forcément être plus facile« , « L’ouverture c’est trop physique pour les femmes …

Alors quand on est une femme quelle place prendre ? Quel avenir, quelle progression peut-on avoir dans le milieu de l’escalade si les codes sont d’entrée de jeu parfois limitants ?

Une pratique qui se féminise

Pourtant, notre pratique se féminise sensiblement d’après l’édude de l’Observatoire de l’escalade parut en octobre 2024. « L’étude, lancée auprès de pratiquants engagés, démontre tout d’abord une féminisation de la pratique : ces dernières représentent 42 % des pratiquants, et 53 % des néo-pratiquants (moins de 2 ans), faisant ainsi de l’escalade une activité quasiment paritaire. »

Une pratique bientôt paritaire, voir même majoritairement féminine. Forcément cela pousse à redéfinir notre pratique. L’étude montre également que 82% des grimpeurs ont le sentiment de faire partie d’une communauté, il n’est donc pas étonnant de voir apparaitre des regroupements féminins comme Grimpeuses ou Climbing Bitchies.

Si 46% des grimpeurs en salle privées et 45% en club sont des femmes, elles ne représentent que 30% des pratiquants allant en extérieur. Grimpeuses joue alors un rôle très important de médiation et de formation auprès des pratiquantes pour que leur escalade se diversifie.

©Julia Cassou

Créer une communauté solidaire et inspirante

Sessions en non-mixité choisie, ateliers pour toutes et tous, stages en extérieur et même un Podcast avec « Altitudes« , l’association Grimpeuses diversifie ses activités pour répondre aux problématiques de genre dans l’escalade.

Depuis 2018, l’association Grimpeuses encourage la pratique de l’escalade chez les femmes en créant une communauté solidaire et inspirante. Elle contribue à augmenter le nombre de femmes dans ce sport tout en favorisant un environnement de confiance et d’entraide pour le développement des compétences.

En brisant les barrières traditionnelles et en encourageant l’inclusivité, Grimpeuses veille à ce que l’escalade soit accessible et accueillante pour tous, en favorisant une culture de soutien et d’autonomisation au sein du monde de l’escalade pour que les femmes se sentent à leur place et puissent créer une escalade à leur image.

Rencontre au Salon de l’escalade 2025

A la suite de la conférence « Escalade et féminisme : casser les plafonds de verre », animée par Caroline Ciavaldini, Sophie Berthe et Aurélia Pardon, nous sommes allés à la rencontre des membres de Grimpeuses présentes au Salon.

De gauche à droite : Pierre-Gaël Pasquiou, Caroline Ciavaldini, Sophie Berthe et Aurélia Pardon

C’est Caroline Ciavaldini, grimpeuse professionnelle et fondatrice de l’association, qui nous explique le fonctionnement de Grimpeuses : « Pendant des années il n’y avait qu’un évènement par an, et l’année dernière on a beaucoup grandi. On a recruté. Le 1er évènement était à la Capelle (NDLR : site de bloc en extérieur). Un évènement était aussi organisé à Ailefroide et un évènement mixte outdoor et indoor à Paris. Et on a toujours un backup en salle si il pleut. »

Une des facettes de Grimpeuses c’est de proposer aux femmes de faire leurs premiers pas sur le caillou | Caroline Ciavaldini

La porte d’entrée de l’escalade reste la salle pour de nombreuses pratiquantes, alors l’association s’adapte: « Il y a un intérêt à faire ça en salle aussi car il y a des exercices beaucoup plus faciles à faire en indoor. Mais une des facettes de Grimpeuses c’est de proposer aux femmes de faire leurs premiers pas sur le caillou », explique Caroline.

Coralie Havas, coach chez Grimpeuses et en charge du Podcast « Altitudes » poursuit : « Quand on a fait l’évènement à Paris, on a d’abord commencé en salle à Arkose Nanterre. Quand les filles sont venues à la 2ème session à Fontainebleau, 70% n’avaient jamais grimpé dehors. L’intérêt de faire d’abord une journée en indoor et ensuite d’aller en extérieur c’est de dire, on crée un environnement safe au début, vous connaissez la salle, etc. et ensuite on va grimper ensemble en extérieur. Moi j’ai toujours grimpé en extérieur donc ça ne me fait pas peur. Mais faire le 1er pas pour sortir de la salle en étant adulte c’est plus dur. »

Caroline ajoute : « Quand on avait démarré à La Capelle, les blocs étaient hauts donc il y a la notion de prise de risque, d’engagement, de contrôle de sa peur. Il y a plein de choses très intéressantes dehors. »

Rassemblement Grimpeuses à Ailefroide – © Julia Cassou

En 2024, l’association est montée en puissance

Caroline nous explique : « Il y a 2 événements et des sessions que l’on a démarré l’année dernière et ça c’est 1 fois par mois dans plusieurs villes. Il y a Arkose Issy et Arkose Montmartre et l’idée c’est qu’on descende à Arkose Marseille, à priori très très vite. On fait aussi un podcast qui s’appelle « Altitudes » qui est un petit peu plus global, on ne parle pas que d’escalade et pas que de filles. Et on fait aussi des stages. »  

Le propre de Grimpeuses est de toujours s’adapter au profil de ses adhérentes, c’est pour répondre toujours mieux à leurs besoins que l’association se développe nous raconte Caroline :

« On s’était rendu compte qu’en faisant 2 évènements par an ça fait quand même beaucoup de mois de silence et on avait envie de pouvoir proposer aux femmes un accès au concept de Grimpeuses quelque soit leur timing ou leur caractère. Parce qu’il y a des gens qui sont trop timides pour aller sur des évènements, des gens qui n’ont pas les finances, pas le temps. Un gros rassemblement ça n’allait pas à tout le monde en fait. Et le Podcast est fait pour les timides parce que tu restes chez toi (rires). L’idée c’était de décliner l’offre pour pousser les femmes à s’investir dans leur escalade pour que ça rejaillisse sur leur vie. »

Le soutien des sponsors

Derrière Grimpeuses il y a aussi l’accompagnement de partenaires qui souhaitent promouvoir cet élan féministe :

« Nous avons un partenariat avec Arkose qui nous fournit des conditions assez chouettes pour les sessions. On a un partenariat avec The North Face. Les grosses marques ont bien compris qu’on ne peut plus faire du marketing débile sans logique. Donc elles essaient de pousser des projets qui ont du sens. Le Women’s bouldering festival par exemple, leur partenaire c’est Patagonia et Climbing Bitchies c’est Beal.  » nous explique Caroline.

Les structures et initiatives féministes dans l’escalade se développent et se complètent car chacune se positionne un peu différemment. Le soutien de marques permet également de rendre les sessions plus accessibles :

« Nous avons cherché à avoir des sponsors pour l’accessibilité. 50% du prix est payé par les marques. Ça fait des billets à 70€ pour 2 jours avec des coachs, des ateliers et des grimpeuses pro/confirmées. »

L’objectif est de développer 5 sessions en 2025. Le partenariat avec les salles Arkose n’étant pas exclusif, l’association est ouverte à toute opportunité pour essaimer les sessions.

La non-mixité choisie

L’un des arguments majeurs de Grimpeuses est de proposer des sessions en non mixité choisie. C’est à dire que pour un temps donné, seules les femmes sont acceptées. N’ayez peur pour vos êtres messieurs, cette volonté n’est pas un rejet de votre masculinité, mais plutôt un temps défini pour redonner de la confiance et de l’énergie aux femmes. D’ailleurs, les hommes ne sont pas totalement exclus puisqu’ils sont invités à participer aux conférences et autres ateliers de discussions. Les événements en extérieur sont aussi ouverts à tout le monde.

Mais cet aspect militant n’est pas toujours bien accepté nous raconte Caroline :

« On tombe parfois sur des hommes, majoritairement, mais parfois aussi des femmes qui sont contre. Le mot féminisme est parfois rejeté par certaines personnes. Il y a des féminismes auxquels on n’adhère pas nous non plus à Grimpeuses. Tout dépend ce que l’on met derrière ce mot. On n’a jamais personne qui est venu et qui a craché sur le concept. Sur les réseaux un peu plus. »

Louise Dallons, bénévole et community manageuse de Grimpeuses, rajoute : « Il y a parfois des longs débats sur Instagram et on a même eu des gens qui allaient jusqu’à justifier des féminicides. On ne censure rien mais si on a répondu à la question et que la personne continue on supprime. Quand il y a des commentaires agressifs et si un manque de curiosité ressort on ne continue pas la discussion. Du moment qu’on a donné l’avis de Grimpeuses ça suffit. On a un contenu que l’on veut bienveillant et on ne veut pas de place pour ça. Parfois les commentaires des gens vont plus loin que leur vraie pensée. C’est le travers des réseaux sociaux. »

Retour d’expérience de Sarah, qui participe aux rassemblements Grimpeuses depuis plusieures années : « J’ai fait 2 rassemblements à Ailefroide, d’abord par intérêt pour le lieu. J’étais rassurée d’y aller avec un groupe. Et le fait que ça soit entre femmes je trouve qu’il y a une émulation différente. La confiance se fait plus rapidement et plus facilement. On est inspirées aussi par les intervenantes et leurs parcours qui nous montre le chemin. J’ai beaucoup apprécié le fait que ça soit adapté à tout le monde. D’ailleurs ma maman m’a accompagné la deuxième fois. On a appris les manip de corde en grande voie et même à faire du trad. » Conquise par ces expériences auprès de Grimpeuses, Sarah nous assure qu’elle retournera à des rassemblements et qu’elle en parle aussi à ses amies.

Toutes les infos pour vous inscrire et connaître l’actualité de l’association sont sur le site web de Grimpeuses.

Alors, on espère que vous avez compris que ces sessions Grimpeuses en non mixité choisie ne doivent pas vous froisser. Qu’il n’est pas question de couper le contact entre hommes et femmes et que les bénévoles de Grimpeuses ne font pas des rituels sataniques pour détruire toute trace de masculinité dans l’escalade. Par contre, oui, Grimpeuses œuvre à déconstruire les comportements toxiques, à créer des moments où les femmes peuvent gagner en confiance et trouver une escalade à leur image. Et quiconque ne souhaitant pas encourager cela doit faire un travail de prise de conscience des rouages parfois insidieux qui limitent les femmes dans l’escalade.