Ces dernières années ont été marquées par la prise de conscience des dangers que représentent les aliments ultra-transformés pour la santé. La part des aliments ultra-transformés représente désormais 18,4% du poids de nourriture consommée et 35,9% de l’énergie consommée quotidiennement par la population Française, sportive, sédentaire, toutes catégories confondues[1] (avec toutefois des variations importantes en fonction du sexe, du niveau d’études et de l’âge).
À ce jour, il n’existe malheureusement pas d’études d’impact de ces produits sur la santé des sportifs. Il est donc actuellement difficile d’évaluer si le stress oxydatif, en particulier chez les sportifs de haut niveau, accentue leurs effets délétères. En effet, lors de l’exercice physique intense, les organes digestifs sont moins perfusés car le sang est dirigé en priorité vers les muscles. En conséquence, la chaîne de réactions du dioxygène dans les mitochondries des cellules digestives génère des espèces oxygénées activées (aussi appelées radicaux libres), c’est ce que l’on appelle le stress oxydatif. Ces composés, quand ils ne sont pas neutralisés par des antioxydants, réagissent avec tous les nutriments énergétiques (protéines, lipides et glucides), ce qui peut modifier leur absorption et leur utilisation. Or les aliments ultra-transformés sont aussi ceux qui contiennent le moins d’antioxydants.
La question de l’impact de ces aliments se pose donc d’autant plus que les préparations pour sportifs, en particulier les barres et les boissons, font précisément partie de cette catégorie.
Grâce à la publication et la médiatisation des travaux de Mathilde Touvier[2], de Maira Bes-Rastrollo[3] et d’Anthony Fardet[4], le lien est désormais établi entre la consommation d’aliments ultra-transformés ou UPF en anglais (Ultra-Processed Food) et un risque accru d’obésité et d’hypertension artérielle[5], une augmentation de 10% du risque de cancer lorsque la quantité d’aliments ultra-transformés augmente de 10% dans le régime alimentaire, et une mortalité globalement augmentée chez les personnes qui consomment le plus d’UPF dans la population générale.
A l’éclairage de ces données, on peut se dire qu’il serait sage d’appliquer le principe de précaution vis à vis de la population sportive et par ailleurs, il s’agit aussi d’une question de bon sens lorsqu’on réalise ce qu’est exactement un aliment ultra-transformé.
Pour reconnaitre ce type de produit, la liste des ingrédients est un bon indicateur, à commencer par sa taille. Plus la liste est longue, plus il y a de chances que l’aliment en question intègre des marqueurs de l’ultra transformation. Ces marqueurs sont les colorants, les conservateurs, les stabilisants, les émulsifiants, les arômes, les exhausteurs de goût (c’est à dire tous les additifs dits cosmétiques, qui servent à améliorer les qualités sensorielles de la préparation), le sucre ajouté ainsi que les nutriments isolés de leur matrice.
Les additifs se repèrent en général facilement car ils sont indiqués à l’aide d’un code alphanumérique commençant par E, comme le dioxyde de titane, E171, interdit en France depuis le 1er janvier à cause de son effet néfaste sur le système immunitaire et son rôle cancérigène probable[6].
Le sucre ajouté quant à lui, l’est souvent sous une forme cachée grâce au grand nombre de dénominations possibles[7], il permet de flatter le palais et d’améliorer la texture et la conservation de la préparation.
Enfin les nutriments isolés sont représentés notamment par les protéines (de pois, de soja), par les graisses, le plus souvent hydrogénées, et les amidons.
Le problème causé par l’adjonction de ces ingrédients pourtant issus de « vrais » aliments est qu’ils sont coupés de l’effet matrice. L’effet matrice, selon le nutritionniste Jean-Michel Lecerf, correspond à la différence entre les effets de l’ingestion d’une somme de nutriments et celle d’un aliment. En d’autres termes, un agglomérat d’eau, de flocons de pommes de terre, de farine de blé tendre, de fécule de pommes de terre, de sérum de lait en poudre, d’amidon de mais, de farine de riz, de sel, et de curcuma (des gnocchis à poêler, si vous n’aviez pas reconnu) n’a pas le même effet sur l’organisme qu’une poignée de pommes de terres sautées accompagnées d’une salade de riz avec du maïs en grains et d’un morceau de fromage avec du pain (car il faut tous ces aliments en proportions différentes pour correspondre à la liste des ingrédients de ces gnocchis).
L’effet matrice traduit le fait qu’au-delà des nutriments, « il existe des composés non nutritifs, des structures physico-chimiques, des interactions, une biodisponibilité variable qui rendent compte des effets spécifiques des aliments, surtout lorsqu’ils sont complets, entiers ou non raffinés[8] ».
Dans le cas cité précédemment, la fécule de pomme de terre (amidon) est extraite de la chair de la pomme de terre et éloignée de tous les autres composants de cette chair (eau, sels minéraux, etc) qui interagissent avec elle et qui interviennent dans l’effet matrice. Comme expliqué dans l’émission Grand bien vous fasse sur France Inter, additionner les ingrédients issus du cracking[9] pour faire un aliment ultra-transformé « c’est comme si on séparait un collier de perles : il n’a plus la même valeur si on met le fil d’un côté et les perles de l’autre. Idem pour la santé, ces produits n’ont plus les mêmes vertus que l’aliment en entier »[10]. Ces produits, Fardet les nomme les « faux aliments ».
Au-delà de cet aspect, on retrouve aussi dans les UPF des constituants qui ne sont normalement pas présents dans la préparation. C’est ainsi que les charcuteries industrielles contiennent du lactose (sucre du lait) et que le gazpacho en brique ainsi que la soupe chinoise en sachet intègrent de la caséine (protéine du lait), des ingrédients normalement absents de la recette originelle et qui peuvent, en plus, générer de l’inconfort en cas d’intolérance digestive.
Ces éclairages sur les conséquences de la dénaturation des plats issus de l’industrie alimentaire sur la santé permettent donc de mieux comprendre les recommandations de diminuer drastiquement leur part dans notre alimentation.
Pour aider à l’identification des UPF sans passer par le décryptage des étiquettes nutritionnelles, des chercheurs brésiliens ont inventé en 2009 une forme de classification des aliments en fonction de leur degré de transformation. Il s’agit de la classification NOVA[11], qui sert de base aux études nutritionnelles et qu’on retrouve notamment sur le site openfoodfacts.org mais bien peu sur les emballages. Cette classification évite les contresens du Nutriscore qui va ne tenir compte que des valeurs nutritionnelles, ici par exemple de la quantité de matières grasses, pour classer B des frites au four bourrées d’additifs et E du beurre doux fait uniquement à partir de la crème du lait et des ferments lactiques.
La classification NOVA comporte quatre groupes : le groupe 1 comprend les aliments non transformés ou transformés minimalement (par exemple une tomate crue). Le groupe 2 est celui des ingrédients culinaires transformés (tomates concassées cuites ou en boîte). Dans le groupe 3 sont recensés les aliments transformés (sauce tomate) et dans le groupe 4, les produits alimentaires et les boissons ultra-transformés (ketchup, certains gazpachos en brique).
En suivant cette classification, on se rend ainsi compte que de nombreux aliments présentés comme adaptés à la pratique sportive, et dont on attendrait qu’ils correspondent à la représentation sport/santé, font partie du groupe NOVA 4. C’est le cas de toutes les barres de l’effort ainsi que des gâteaux « sport ». Et du côté des boissons, pas mieux. Sous couvert d’un label bio et de la présence de « superaliments » à la mode, des marques proposent des boissons à reconstituer à partir de poudres d’aliments totalement destructurés à base de poudre de protéine de chanvre, de protéine de pois et d’inuline (fibre alimentaire présente dans les artichauts et les topinambours), c’est à dire des ingrédients de cracking. Autrement dit, les aliments développés pour optimiser les performances sportives et la récupération sont à ranger avec les nouilles instantanées, les chips goût barbecue, les nuggets de poulet et les céréales pour petit déjeuner et le label bio n’est en aucun cas une garantie contre la malbouffe telle que définie par les chercheurs de l’équipe brésilienne de Monteiro.
En conclusion, la consommation de ces aliments devrait rester anecdotique comme le conseille le Dr Richard dans un article paru en 2014[12] et le sportif tout comme le sédentaire à la recherche d’une alimentation saine et adaptée à sa pratique doit s’appliquer à diversifier ses sources alimentaires pour tendre vers une alimentation variée et surtout, « vraie ».
Texte: Amandine Verchère
Pour aller plus loin :
A lire
- Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai. Anthony Fardet, Thierry Souccar Editions
- Vous êtes fou d’avaler ça ! Christophe Brusset, Editions Flammarion
- Et maintenant, on mange quoi ? Christophe Brusset, Editions Flammarion
A voir
- Enquête de santé (sur France 5) : Les aliments industriels nous rendent-ils malades https://www.youtube.com/watch?v=5HTbTWoNbCs&t=17s
- 36°9 (sur RTS) : SOS maladies inflammatoires de l’intestin https://www.youtube.com/watch?v=IPZgK3c9svw
Bibliographie:
[1] Julia, C., Martinez, L., Allès, B., Touvier, M., Hercberg, S., Méjean, C., & Kesse-Guyot, E. (2018). Contribution of ultra-processed foods in the diet of adults from the French NutriNet-Santé study. Public Health Nutrition, 21(1), 27-37. doi:10.1017/S1368980017001367
[2] https://presse.inserm.fr/consommation-daliments-ultra-transformes-et-risque-de-cancer/30645/
[3] Rico-Campà, Anaïs and Martínez-González, Miguel A. and Alvarez-Alvarez, Ismael and de Deus Mendonça, Raquel and de la Fuente-Arrillaga, Carmen and Gómez-Donoso, Clara and Bes-Rastrollo, Maira, Ultra-Processed Food Consumption and All-Cause Mortality: The University of Navarra Follow-Up (SUN) Cohort (September 14, 2018). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3250931
[4] A. Fardet, E. Rock, J. Bassama, P. Bohuon, P. Prabhasankar, C. Monteiro, J.-C. Moubarac, N. Achir (2015). Current food classification in epidemiological studies does not enable reaching solid nutritional recommendations for preventing diet-related chronic diseases: the impact of food processing. Advances in Nutrition. DOI:10.3945/an.115.008789
[5] étude prospective espagnole SUN, Mendonca et al., https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27733404 et https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27927627
[6] https://www.anses.fr/fr/content/dioxyde-de-titane
[7] Appellations du sucre caché :Amidon, Cassonade, Concentré de jus de fruit, Dextrine, Dextrose, Mélasse, Miel, Saccharose, Sirop, Sirop d’agave, Sirop d’amidon, Sirop de canne à sucre évaporé, Sirop de fructose, Sirop de maïs, Sirop de malt, Sirop de riz, Sirop de sorgho, Sirop d’érable, Sucre inverti, Xylose
[8] J-M Lecerf, P. Legrand, Cahiers de Nutrition et de Diététique Volume 50, Issue 3, June 2015, Pages 158-164 https://doi.org/10.1016/j.cnd.2014.12.003
[9] voir Envoyé spécial du 27 juin 2019 https://www.youtube.com/watch?v=uCVly_8M5f8
[10] voir aussi la vidéo explicative de J.M. Lecerf https://youtu.be/I37uy5A6TMc
[11] Monteiro, Carlos Augusto, Levy, Renata Bertazzi, Claro, Rafael Moreira, Castro, Inês Rugani Ribeiro de, & Cannon, Geoffrey. (2010). A new classification of foods based on the extent and purpose of their processing. Cadernos de Saúde Pública, 26(11), 2039-2049. https://dx.doi.org/10.1590/S0102-311X2010001100005
[12] https://doi.org/10.1016/j.nupar.2014.10.010