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Entretien exclusif avec Oriane Bertone: « Je ne suis plus la même depuis les JO »

© Planetgrimpe

On ne la présente plus, Oriane Bertone est devenue en quelques années la nouvelle pépite française de l’escalade. Du haut de ses 19 ans, la grimpeuse réunionnaise s’est déjà illustrée sur la scène internationale en accumulant des performances impressionnantes. Avec déjà six podiums en Coupe du Monde de bloc, dont une victoire mémorable à Prague en 2023, un titre de vice-championne du monde à Berne la même année, et une place en finale des Jeux Olympiques de Paris 2024, son palmarès impressionne.

Mais au-delà des chiffres, Oriane incarne une passion pure et une sincérité désarmante. Son engagement total dans les défis qu’elle se lance force l’admiration et inspire les générations futures.

Lors du Salon de l’Escalade, nous avons eu le privilège de l’interviewer pendant une vingtaine de minutes, montre en main. Dans cette interview, elle revient pour la première fois sur les JO de Paris 2024, nous raconte son parcours depuis cet événement marquant et nous parle de ses ambitions pour l’avenir. Plongez dans l’univers de cette athlète hors pair, entre efforts, doutes et réussites.


Salut Oriane, tout d’abord, comment vas-tu cinq mois après les JO ?

Cinq mois ???!! Bah voilà, je pense que ça répond à votre question (rires). Honnêtement, je n’ai pas l’impression que ça fait cinq mois ! Je vais quand même reprendre un peu la chronologie… Après les Jeux, je me suis arrêtée totalement pendant un mois et demi. Je n’ai pas touché une prise, je n’avais pas envie, c’était impossible ! J’étais vraiment incapable de penser à l’escalade, je ne pouvais même pas regarder les compètes… J’ai fait un vrai burn-out. Et puis après, les choses se sont faites naturellement : j’ai repris un peu tranquillement et maintenant, ça fait quelques mois que je grimpe… Mais uniquement pour le kiff ! Je me remets un peu en forme forcément, parce que j’ai aussi ça dans le sang, je grimpe aussi pour la performance, mais voilà, je dois avouer que j’ai quand même pas mal mis le pied sur le frein depuis ces Jeux.

Est-ce que tu peux nous dire comment tu as vécu ces Jeux, sportivement et émotionnellement ?

Honnêtement, après avoir quand même pas mal réfléchi, je crois que je les ai vraiment mal vécus…  Je suis extrêmement déçue de ma performance, parce que j’aurais pu faire mieux, et j’avais mis énormément d’énergie pour mieux faire. D’un autre côté, j’ai quand même la petite satisfaction d’avoir été en finale et c’était déjà pas donné, il y en a beaucoup qui se sont fait sortir avant !
Mais voilà, le sentiment principal reste la déception… J’ai fait beaucoup d’erreurs que je n’aurais pas dû faire. Émotionnellement, physiquement, mentalement, j’ai vraiment galéré, et c’est ce qui explique aussi que j’ai eu autant de mal à à m’en remettre après les Jeux.

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Pour revenir sur l’aspect mental, on était présents aux JO en tant que média, et on a trouvé l’ambiance électrique, on ressentait toute la pression, c’était vraiment une autre dimension par rapport aux compétitions auxquelles on a l’habitude d’assister ! En tant qu’athlète, était ce compliqué à gérer ?

Oui, forcément, parce que tu t’attends à tout sauf à ça finalement. Il y a eu beaucoup de moments où je me suis dit, « Oh là là, mais il y a du monde quand même, c’est ouf », et au-delà de la foule, quand tu arrives sur scène et que tu es Français, c’est complètement dingue. Je n’avais jamais vécu ça avant, jamais !

Heureusement, je pense que j’étais suffisamment préparée pour ne pas que ça m’impacte négativement. Le plus gros point noir dans cette compétition, ça reste principalement ma grimpe. Je n’ai pas bien grimpé ! Je n’ai pas montré ce dont j’étais capable, ni en bloc ni en diff. Voilà, ça arrive, c’est une compétition, c’est comme ça. C’est juste dommage que ça arrive sur celle-ci.

Peut-on dire que cette expérience olympique t’a changé ?

Quand pendant onze ans, tu fais la même chose, tout le temps et que pendant un mois et demi après les Jeux, tu ne touches plus une prise (alors que la plus grosse pause que tu avais faite jusqu’à présent c’était quatre jours), c’est qu’il s’est passé quelque chose d’assez violent ! D’assez violent et d’assez choquant ! J’ai quand même beaucoup évolué depuis et je ne suis plus du tout celle que j’étais…

Alors qui est cette nouvelle Oriane ?

Pour le moment, je pense que je suis encore dans la sauce (rires).  Je commence tout juste à respirer à nouveau mais je ne suis pas encore complètement sortie de cette épreuve… Je ne me suis pas encore totalement retrouvée ! Donc pour le moment, je vous avoue que c’est encore un peu compliqué.

Actuellement, je pense qu’il y a surtout un gros changement vis-à-vis de l’écoute de soi. Je ne suis plus pareil là-dessus, je m’écoute beaucoup plus et je fais quand même l’effort de respecter ce que je ressens. J’écoute davantage mon intuition, ce que mon corps et ma tête me disent de faire. Dans ce moment où j’ai envie de guérir,  je pense qu’il est important que je fasse la part des choses et que je m’écoute vraiment beaucoup. Donc, je fais pas mal de choses que j’ai envie de faire en ce moment et ça fait du bien !

On va quand même te recroiser sur le circuit international cette saison ? 

Oui, probablement, mais pas forcément en début d’année. La seule compétition que je vais faire pour le moment, c’est les championnats du monde militaires. J’ai intégré l’Armée des champions l’an dernier juste avant les Jeux, et donc je vais représenter l’Armée sur cette compétition. Je vais peut-être également faire le sélectif équipe de France, histoire de me remettre un peu dedans avant les championnats du monde militaire.

Ensuite, en fin d’année, espérons que j’aurai retrouvé l’envie pour reprendre un peu les compétitions internationales, ce serait sympa !

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C’est encore tôt pour en parler, mais j’imagine que dans un coin de ta tête il y a les JO de Los Angeles 2028 ? 

Bien sûr que c’est dans un coin de ma tête ! Parce qu’une fois que tu as vécu une compétition de cette ampleur et de cette envergure, tu as envie de recommencer ! Il n’y a rien au-dessus des Jeux. C’est le high level du high level !  Il n’y a plus aucune compétition que je ressentirai de la même façon.

Tu nous disais que tu avais besoin de te ressourcer, est-ce que tu en profites pour t’évader dehors ? 

Oui, je vais beaucoup en extérieur, et je sens que ça me fait vraiment du bien. J’avais mis ça de côté pendant toute la période des Jeux, et je pense que ça peut me faire du bien de sortir grimper dehors. C’est bien plus cool que de m’enfermer dans une salle et de grimper huit heures !

Tu penses que c’est quelque chose que tu vas réintégrer dans ton entraînement ?

Oui, énormément je pense. Après c’est toujours un pari mais de toutes façons, il n’y a pas qu’une façon de faire. Il y a plein de gens qui ne font que de l’intérieur, d’autres que de l’extérieur.  Il y en a certains qui arrivent bien à faire les deux, il y en a d’autres qui font plus d’extérieur que d’intérieur. Il y a des modèles d’entraînement qui sont extrêmement différents et il n’existe pas de recette magique qui fait gagner. Chacun va faire sa sauce.

C’est une discussion que tu as avec ton coach Nico Januel ?

Oui bien sûr ! De toute façon, après les Jeux, on s’est quand même dit qu’on se laisserait tranquille mutuellement. Parce que lui, ça l’a quand même sacrément secoué aussi, il a été extrêmement déçu et je peux tout à fait comprendre. Il s’est beaucoup investi ; pendant ces trois dernières années, il nous a plus vus que ses propres enfants ! Quand je dis nous, je parle des athlètes qu’il suit, comme Manu Cornu par exemple.

Donc forcément, à un moment, tu t’attaches aussi au projet et à son ampleur. Quand le projet c’est les JO, il faut avoir conscience de ce que ça signifie : c’est un projet de vie ! Quand tu auras 90 ans, tu te rappelleras que tu as fait les Jeux de Paris 2024. Donc, on s’est dit qu’on se laissait tranquille mutuellement quelque temps, alors je me suis un peu entraînée dans mon coin. Mais on va reprendre ensemble quand on aura fait tous les deux la part des choses.

Sur tes posts sur Instagram, tu remercies souvent l’équipe qui t’entoures. C’est qui cette équipe ?

Pour commencer, e pense qu’il ne faut pas oublier qu’un athlète de haut niveau n’a pas de revenu fixe. On n’a pas de source mensuelle d’argent. Il faut qu’on trouve des sponsors, des gens pour nous soutenir et des gens pour nous aider à vivre si on veut s’y mettre à 100%, comme moi je le fais. Finalement, tous les sponsors qui me soutiennent c’est une partie très importante de ma team, sans eux je ne pourrai pas en être là où j’en suis aujourd’hui.

Et sinon, il y a Nico (ndlr. Nico Januel), qui est mon coach personnel, et qui crée tous mes plannings d’entraînement, muscu et grimpe. Ensuite, j’ai Alicia, qui est ma kiné, et qui me suit un peu partout sur les compétitions. Dans cette team, je suis obligée de remercier tous mes partenaires d’entraînement, Manu, Mejdi, Selma, tous les gens avec qui je grimpe fréquemment.

J’ai Makis aussi, c’est mon psy et il m’a beaucoup aidé à sortir la tête de l’eau. Je le vois toujours très fréquemment car clairement, je n’ai pas encore complètement tourné la page. Puis il y a plein d’autres personnes qui gravitent autours de moi, mon père par exemple qui me suit partout, toutes les personnes qui m’encouragent au quotidien, c’est une véritable force ! Et puis bien sûr il y a aussi vous, Planetgrimpe et les médias en général qui m’aident à gagner en visibilité.

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Du coup, c’est à la fois une force et en même temps une pression supplémentaire car on imagine que tu veux aussi rendre fières toutes ces personnes ?

A Paris, la première chose que je me suis dite quand je suis descendue de ma voie et que j’ai su que je m’étais « ratée »,  c’est que je n’allais jamais plus pouvoir regarder toutes ces personnes dans les yeux, alors que, quand tu y réfléchis, c’est ma perf, c’est ma compétition, même si beaucoup de monde m’aide autour.

Et pourtant tu étais quand même en finale des JO, ce n’est pas rien ! 

Je n’ai pas encore le recul nécéssaire pour avoir cette vision. Pour moi je n’étais QU’EN finale des JO.

On a vu après les JO, que pas mal d’athlètes, quelque soit le sport, tombent dans une forme de dépression, qu’ils soient médaillés ou non, ça montre quand même à quel point c’est une compétition hors norme. 

Oui, que tu aies réussi ou non, de toute façon, c’est une compétition qui va te marquer. Alors les athlètes sont plus ou moins marqués, et moi, malheureusement, je fais partie de ceux qui ont vraiment beaucoup souffert. Pas au point d’arrêter mon sport parce que c’est l’amour de ma vie, il n’y a rien que j’aime plus que ça, mais certains arrêtent après les jeux oui.

La dimension santé mentale semble donc de plus en plus importante ?

Complètement ! On a quand même tendance à mettre beaucoup de côté cet aspect de santé mentale. On fait beaucoup de choses qu’on n’a pas toujours envie de faire dans l’optique de devenir plus forte, que ce soit physiquement, mentalement, dans la vie de tous les jours ou juste à l’entraînement finalement. Et  je pense que cette santé mentale on l’a trop mis de côté, en tout cas, il y a quelques années. Et je pense que je suis dans la génération où  on se pose quand même plus la question. Par exemple, si je pleure à la fin d’un entraînement, je me dis que ce n’est quand même pas bien normal, et je vais quand même aller voir quelqu’un pour travailler là dessus, pour tenter d’aller mieux. Du coup, je pense que c’est quand même un point positif dans l’évolution de la pratique aussi, et de la société finalement.

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Il ne s’agit donc plus juste de s’épanouir physiquement finalement …

Exactement. Après, c’est un peu lié finalement, surtout quand tu cherches vraiment la performance. Quand tu es affûté, tu es fort. Et quand tu es fort, tu es bien, tu es mieux dans ta tête. Généralement, moi, quand je suis mal dans ma tête, c’est que physiquement parlant et dans mes performances, dans ma grimpe, dans mes entraînements, je ne suis pas au niveau où je voudrais.

Mais ça ne m’est  jamais arrivée d’être mal dans ma tête et mal dans ma peau alors que physiquement, j’étais bien forte. Il y a un lien, c’est sûr. Après, il ne faut pas se laisser emporter parce que malheureusement, l’escalade, c’est un sport où le poids est important. On se pose souvent la question. On monte sur la balance, on se rend compte qu’on pèse un kilo trop, et c’est vite un cerce vicieux. La pression est horrible finalement, et c’est là qu’il faut être bien suivi et surtout rester dans le sein en prenant le recul nécessaire.

Je ne sais pas si tu en as conscience, mais aujourd’hui tu es un véritable modèle pour les jeunes grimpeuses et grimpeurs ! Quand on pose la question à des jeunes en clubs sur leurs idoles, on nous répond souvent Oriane et Mejdi !

C’est vrai que les noms qui ressortent souvent, c’est Mejdi (ndlr. Mejdi Schalck) et moi. On est jeune, j’ai 19 ans, il en a 20, on a commencé l’escalade très tôt et on s’est fait remarquer tôt également. On a un style particulier, on fait parti de cette nouvelle génération, un peu comme si on était les pionniers de ce style de grimpe très dynamique.

Moi j’ai commencé à grimper à l’âge de 8 ans, et quand je regardais les grands en coupe du monde, je me disais que je voulais moi aussi être à leur place un jour. Et je me rends compte que les jeunes qui commencent l’escalade aujourd’hui ils font la même chose avec Mejdi et moi, et ça me touche vraiment, car je me reconnais en eux quand j’étais plus petite.

Et puis avec Thomas (ndlr. son manager), on a aussi essayé de travailler sur la représentation et l’image que je véhicule auprès des jeunes. J’ai fait pas mal d’interventions dans des écoles, j’adore ça, et je trouverai dommage de garder pour moi une expérience qui a été aussi marquante, c’est important de partager ça, même si bien évidemment ça n’ intéressera pas tout le monde. En tout cas j’essaye toujours de transmette ce que je fais, ce que j’aime, et les valeurs que je défends. Et puis c’est important de montrer aux petits jeunes qu’on peut faire de belles choses en partant de « rien » finalement, car quand tu commences l’escalade, tu n’as jamais rien fait de tel auparavant.

Publié le : 28 janvier 2025 par Charles Loury

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