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Air pollué dans les salles d’escalade : quand nos chaussons deviennent toxiques !

Une étude scientifique vient de jeter un pavé dans la mare des salles d’escalade : l’air que nous respirons serait pollué à un niveau comparable à celui des bords d’autoroute ! En cause ? Nos chaussons. Plus précisément, la dégradation progressive de leurs gommes, qui libèrent dans l’air des substances chimiques potentiellement nocives.

C’est une bouffée d’air… pas si frais. Chaque jour, des milliers de grimpeurs enfilent leurs chaussons et poussent la porte de leur salle préférée, persuadés de prendre soin de leur corps et de leur esprit. L’air est tiède, saturé de magnésie en suspension, de sueur et de concentration. Les grimpeurs s’échauffent, grimpent, respirent à pleins poumons — sans imaginer une seule seconde que ce simple geste pourrait les exposer à un cocktail invisible de substances toxiques.

Et pourtant… Une étude scientifique vient de révéler une réalité inquiétante : l’air que nous respirons dans les salles d’escalade serait pollué à des niveaux comparables à ceux d’un périphérique urbain. En cause ? Non pas la magnésie, mais un coupable plus discret encore : nos chaussons. Leurs semelles, issues du même caoutchouc que celui des pneus, libèrent dans l’air des composés chimiques potentiellement dangereux, à chaque mouvement de pied, à chaque zipette sur les prises..

On vous explique tout !


Du caoutchouc de pneu aux semelles de chaussons

L’équipe de chercheurs de l’Université de Vienne et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne a étudié la qualité de l’air de cinq salles autrichiennes d’escalade à l’aide d’appareils sophistiqués, imitant le système respiratoire humain. Ces premiers relevés ont été complétés par l’analyse de poussières collectées sur le sol et sur les prises de quatre salles d’escalade supplémentaires, en France, en Suisse et en Espagne. Ils ont aussi étudié la composition de 30 modèles de chaussons largement utilisés.

Leur constat : les semelles, composées de caoutchouc synthétique similaire à celui utilisé dans l’industrie du pneu, relâchent avec le temps des composés chimiques appelés RDCs (Rubber-Derived Chemicals). Ces substances se retrouvent en suspension dans l’air ou sous forme de poussière sur les prises et les tapis.

Parmi ces RDCs figurent des composés bien connus des chimistes industriels, comme l’aniline, la diphénylguanidine, le benzothiazole, ou encore le 6PPD, un antioxydant stabilisateur du caoutchouc. Ce dernier est tristement célèbre pour sa transformation en 6PPD-quinone, une molécule associée à la mortalité massive de saumons en Amérique du Nord.

Des concentrations préoccupantes…

Les mesures réalisées dans les salles montrent que la concentration de ces substances peut atteindre des niveaux particulièrement élevés, surtout aux heures de forte affluence et dans les espaces mal ventilés. En termes de particules fines capables d’atteindre les alvéoles pulmonaires, les taux mesurés flirtent avec ceux enregistrés à proximité de grands axes routiers dans des mégapoles comme Hong Kong ou Pékin !

Nous avons été très surpris par ces résultats ! Quand on va grimper, on veut faire quelque chose de positif pour notre santé et on s’attend à le faire dans un environnement sain. Est-ce que j’irais grimper à côté d’une autoroute à six voies ? Probablement pas.

Thilo Hofmann, professeur de géosciences de l’environnement et auteur de cette étude

Les chercheurs rappellent toutefois que l’impact de ces expositions sur la santé humaine reste encore mal connu. Certaines études in vitro suggèrent un potentiel inflammatoire et des effets sur l’ADN cellulaire, mais il n’existe pas encore de résultats concluants sur les effets à long terme chez l’humain.

Ce que je peux dire pour l’instant, c’est que les produits chimiques utilisés dans les pneus ne sont pas inoffensifs. Ce sont des produits chimiques préoccupants.

Thilo Hofmann

Grimper en connaissance de cause

Faut-il pour autant boycotter les salles ? Non. Les auteurs de l’étude, grimpeurs eux-mêmes, ne préconisent pas d’arrêter la pratique, mais plutôt de mieux s’informer et d’adopter des gestes simples de prévention :

  • Privilégier les salles bien ventilées, notamment avec extraction mécanique.
  • Éviter les heures de pointe, quand la concentration de grimpeurs – et donc de particules – est au plus haut.
  • Limiter l’exposition des enfants, particulièrement sensibles aux polluants en suspension.
  • Favoriser l’escalade en extérieur, surtout en période estivale.
  • Encourager les gestionnaires de salles à renforcer le nettoyage des surfaces (prises, tapis, murs) et à investir dans des systèmes de renouvellement d’air performants.

Et les fabricants dans tout ça ?

L’étude met aussi en lumière un point intéressant : toutes les paires de chaussons testées ne se valent pas en termes de pollution. Certaines semelles libèrent jusqu’à 1000 fois moins de substances chimiques que d’autres. Il est donc techniquement possible de fabriquer des chaussons plus respectueux de la qualité de l’air.

Le hic ? Les marques d’escalade ne fabriquent pas leur propre caoutchouc. Elles dépendent d’un marché dominé par les géants de l’industrie du pneu, pour qui la priorité reste la performance et la durabilité, pas l’impact sanitaire.

Aucune réglementation n’impose actuellement aux fabricants de limiter les additifs chimiques dans les chaussons d’escalade. Pourtant, cette étude pourrait bien ouvrir la voie à des normes plus strictes… ou, au minimum, à une pression croissante de la communauté grimpeuse.

Un nouveau projet de recherche pour en savoir plus

Afin d’en savoir plus sur les risques de ces substances pour la santé, les chercheurs de cette étude ont soumis un nouveau projet de recherche, qu’ils mèneront en collaboration avec des experts en toxicologie.

En attendant, je continuerai à grimper, en privilégiant les salles bien aérées et aux heures les moins fréquentées. Et je suis convaincue que nos recherches contribueront à améliorer les conditions dans les salles d’escalade.

Anya Sherman, auteure de cette étude

Publié le : 05 mai 2025 par Nicolas Mattuzzi

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