Escalade dans le Haut Atlas marocain du 30 janvier au 9 février 2020 par la team Ricard’Ô Mazet.
Vous pouvez lire cet article en écoutant la sélection “Rap marocain” sponsorisée par Sofyane, le coiffeur trop stylé de Aït Attab, merci à lui pour les découvertes :
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- Chebani par MR CRAZY
- Fiction par 8ird
- Rozalinda par 7-Toun
- OK BB par Lbenj
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Voilà quelques temps que deux de mes amis grimpeurs, Maxime Darbot et Romain Thiery, lorgnent sur les voies équipées au Maroc par Théo Denier, un très fort grimpeur franc-comtois que l’on a rencontré plusieurs fois sur nos falaises côte-d’oriennes. Maxime avait notamment suivi le projet depuis le début.
Ils sont en fait quatre équipeurs de l’association d’escalade franc-comtoise « Le Tuyé » (Laure, Raphaël, Théo & Xavier) à s’être rendu dans l’Atlas marocain dans les gorges de l’Oued El Abid fin décembre 2018 – début janvier 2019 pour équiper des voies sportives dans tous les niveaux de difficulté. Ce projet de développement fut initié par l’association Myrock.
- Plus d’infos sur la page du financement : https://fr.ulule.com/moroccobolting/
Après avoir mené leur enquête auprès de Théo et d’autres amis bourguignons qui sont allés grimper là-bas, Maxime et Romain sont décidés, ils iront découvrir ces fameuses lignes perdues au fin fond du Maroc. Je, Matthias Paré, les rejoins sans trop réfléchir et Elsa Millo, une amie DE escalade complètera l’équipe.
Nous décidons donc de partir 9 jours début février pour que les températures ne soient pas trop élevées. Nous nous en tirons pour 250€ aller-retour avec un Paris-Casablanca.
Maxime organise le voyage avec l’aide de Théo qui le met en contact avec Fatiha qui nous logera dans sa maison près d’Aït Attab et Abd Elkhalaq le référent escalade du coin. Romain lui se charge de nous louer une voiture car l’aéroport de Casablanca se trouve à 3h de route du village. Le site de grimpe lui est à 20min de voiture du village. Avec le confort que nous procure la location d’une voiture nous envisageons de couper le séjour en deux et d’aller découvrir en plus les blocs situés à Oukaimeden.
On fait tous un point matériel :
Exit les cordes de moins de 80m. En effet, la plupart des voies là-bas tournent autour de 40m. On change également nos bras habitués à des efforts courts et bloc pour des bras pouvant affronter des voies de continuité.
Ensuite, on prend tous 20 dégaines, je n’en ai que 16, je me réjouis d’avance à l’idée d’emprunter les superbes dégaines de Romain. Je récupère une corde de 100m auprès d’Alice, une amie dijonnaise qui est allée grimper l’année dernière dans l’Oued el Abid. Mauvaise idée. C’est moi qui vais me coltiner la corde dans mes bagages. Je laisse tomber l’objectif de remplir mes bagages de pâtisseries marocaines. Je me contenterai de remplir mon estomac (spoiler : objectif amplement rempli…).
Question vêtements, les températures oscillent là-bas entre 15 et 25 degrés, c’est un peu le printemps en février mais on prend tous de quoi avoir chaud au cas-où.
30 janvier, notre avion décolle de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Mes amis m’annoncent quelques minutes avant le décollage que l’alcool est très difficile à trouver dans la région où nous allons. Je tente par tous les moyens de quitter en urgence ce qui me semble être un traquenard mais les procédures de décollage sont déjà mises en route.
Dans l’aéroport les panneaux sont écrits en arabe et en français. Tant mieux car finalement je n’aurai pas eu le temps d’apprendre la langue comme je l’espérais dans l’avion à cause d’un mal de tête. L’altitude certainement ou les verres de vin rouge du désespoir…
Quelques mots et expressions :
- Salam = Bonjour
- Choukrane = merci
- Non merci = La Choukrane
- Machi Mouchkils = pas de problème
- Ça va ? = Labass ? Réponse = Labass
- Ana fransi/ana fransiyya = Je suis français(e)
Maxime s’arrête à un stand téléphonique pour récupérer une carte marocaine avec du forfait internet et me conseille de faire de même. Je n’avais pas trop réfléchi à ça, mon forfait étant valable aux USA je ne me posais pas de question pour un pays aussi proche que le Maroc. Après vérification il s’avère que je doive payer 13,31€ / Mo… Il vient de me sauver d’une très probable note à plus de 1 000€ de hors forfait. Nous prenons donc tous un forfait 10Go internet pour 10€.
Romain retire assez de dirhams pour nous tous pour le séjour grâce à sa carte sans frais. On se retrouve avec des billets de 200 dirhams, autant dire que l’on va passer pour des gros riches de touristes et que ça ne va pas arranger les petits commerçants. Je me dis que l’on aurait pu prévoir ça un peu avant…
Direction le loueur de voiture maintenant pour récupérer notre véhicule. La conduite de nuit n’est pas chose évidente au Maroc. Entre les routes défoncées, les animaux et les autres conducteurs on se fait quelques frayeurs. Google Maps refuse de nous géolocaliser pour une raison obscure, on lui préférera Waze qui fonctionne parfaitement.
Chez Fatiha:
Notre hôte Fatiha habite dans un tout petit village nommé Tiski. Le chemin d’accès n’est pas vraiment fait pour les voitures, certaines maisons paysannes semblent venues d’un autre temps. Les gens ici se déplacent sur le dos des ânes quand ils ne sont pas à pied. C’est le Far Oued.
Nous logeons au sous-sol de la maison de Fatiha. Ici pas de douche, on se lave avec un seau d’eau. On prend vite nos marques.
Nous avons choisi la demi-pension avec le petit-déjeuner et le dîner.
Le matin Fatiha nous prépare des crêpes marocaines bien huilées avec de la confiture et du miel. Un vrai délice. Un thé bien sucré accompagne tout ça ainsi qu’un café épicé.
Le midi comme nous grimpons nous ne mangeons pas beaucoup. Mélange de fruits sec, cacahuètes et sandwich thon/”vache qui rit” seront nos carburants.
Le soir nous nous jetons sur une petite soupe, tantôt aux lentilles tantôt aux pois chiches. Vient ensuite le plat de résistance servi dans une énorme tajine. La plupart des plats seront composés de pommes de terres, de légumes et d’un poulet. Nous goûterons également du poisson épicé mais nous n’aurons pas de fameux couscous car ce n’était pas la saison. A chaque repas nous nous régalons de cette nouvelle cuisine. Mais malheureusement Maxime ne la supportera pas longtemps. Trop riche et trop grasse, il sera malade plusieurs jours et bien affaibli.
Nous n’aurons eu aucun problème à boire l’eau du robinet même dans cette région éloignée.
Le village d’Aït Attab:
Le village n’est pas grand mais on y trouve tout ce dont on a besoin pour se nourrir. Les prix ici sont dérisoires pour des européens comme nous. Nos plus grosses courses ont dû nous coûter 5 dirhams, soit 0,50€… On nous a souvent répété qu’il fallait marchander car c’est la coutume et qu’il ne fallait pas que l’on paye plus cher sous couvert que l’on était des étrangers. Mais c’est différent dans les petits magasins d’alimentation où les prix sont souvent fixes.
Seuls étrangers dans le coin nous attirons les regards. Elsa ne porte pas de foulard mais couvre bras et jambes par respect. Elle partira à l’aventure toute seule une journée pour rejoindre son oncle vivant à 100 km. Après 3 changements de taxi elle arrivera à bon port. Cette excursion lui permettra de bien discuter avec les locaux.
La falaise de l’Oued El Abid:
La falaise se trouve à 20min de voiture du village d’Aït Attab. Mais avant d’y aller nous devons nous signaler aux autorités. Nous y allons en compagnie d’Abd Elkhalaq. Il est le président de l’association qui promeut l’escalade dans la région. Il nous racontera que son attirance pour l’escalade a commencé alors qu’il partait à la recherche de cavités pour assouvir sa passion de la spéléologie. Ses pratiques sportives sont parfois mal vues par les villageois car le sport n’est pas du tout pratiqué dans le quotidien des gens. Pour la petite histoire, quand Théo est venu la première fois pour découvrir les lieux il a fallu expliquer que non il n’allait pas chercher des trésors dans l’Oued. Enfin si, des trésors aux yeux des grimpeurs !
Abd Elkhalaq sera notre référent pour toutes questions ou besoins tout le long du séjour. Vous pouvez suivre ses aventures sur son compte Instagram @abdelkhalaqmajjati.
4 secteurs sont équipés avec des voies allant de 4c à potentiel 9a. La majorité se trouve dans le 7ème et 8ème degré mais certaines perles sont moins dures, comme Yalah, secteur Naïma & Fatiha, le 6c le plus beau du monde.
L’accès à la falaise se fait par la route en haut. Certains rochers sont peints pour marquer le chemin. Ça ne nous aura pas évité le premier jour de tourner en rond pendant 1h…
Le chemin jusqu’à la falaise est magnifique. Nous découvrons la flore locale composée notamment de cactus. Quand nous arrivons enfin à destination, nous restons bouche-bée devant la beauté et l’ampleur du lieu.
Perdus au milieu de nulle part certes, mais pas tout seuls pour autant ! Des chèvres et même des singes habitent dans ces gorges. Nous avons été surpris en fin de journée par les cris glaçants d’une chèvre. Nous pensions qu’elle était tombée et cela nous mettait terriblement mal à l’aise de l’entendre gémir. Mais il s’avère en fait qu’elle était simplement éloignée du troupeau. Apparement cela arrive souvent en fin de journée, les chèvres bêlent alors pour ne pas se retrouver seules la nuit.
Et la grimpe alors ?
Le rocher se trouve être du grès rouge. Un peu comme en Alsace sauf qu’ici vous trouverez de grosses colo et des espèces de boursouflures (ou champignons) en plus de trous plus ou moins gros.
Attendez-vous à une grimpe qui déroule de 30 à 45m entrecoupée de pas de blocs. Toute la difficulté réside dans la gestion de la conti. Car mine de rien, passer 20min à grimper ça fatigue et l’acide lactique a du mal à partir si vous ne savez pas délayer à chaque repos.
Les conditions de grimpe sont parfaites. Nous arrivons à chaque fois vers 10h-11h. La falaise est à l’ombre et ne passe au soleil qu’en milieu d’après-midi pour le premier secteur. Nous décidons de migrer alors vers un autre secteur où l’ombre est permanente. Il n’y fait pas trop froid. Aucune humidité dans l’air sauf le dernier jour où quelques nuages (sans pluie) dans le ciel auront suffi à faire disparaître nos traces de magnésie des jours précédents. Le grès deviendra par endroit quelque peu collant.
L’équipement est bon, parfois un peu espacé mais jamais exposé. Je me ferai tout de même peur dans un 7b tout juste équipé (il y avait encore la poussière du perfo). Je dois être le premier à passer car je casse pas mal de prises. Mise à part cette mésaventure toutes les voies sont très propres.
Résultat des courses j’enchainerai avec Elsa plusieurs 7a/7a+ à vue ou flash. Romain (qui s’était fait une poulie quelques jours avant le départ) clippera tout de même la chaîne du 7c La merveille de l’Oued L1 et Max bien qu’affaibli par ses maux de ventre fera deux 8a+ au premier essai. Il ira également mettre des beaux runs dans un 8c. Qu’aurait-il fait sans être tombé malade ? On se le demande…
On vous recommande :
- Le combiné berbère, 7a (40m)
- Magic Majatti, 7a (35m)
- Yalah, 6c (22m)
- La merveille de l’Oued L1, 7c (30m)
- Appel à l’oued, 8a (20m)
Changement de décor
Après plusieurs jours à grimper dans le coin nous décidons qu’il est temps d’aller faire 2 jours de blocs. On contacte le refuge du CAF d’Oukaimeden pour réserver une chambre. C’est parti pour 4h de route ! Le voyage ne sera pas de tout repos pour les conducteurs. La route s’avère vraiment en mauvais état au début et nous sommes obligés de faire des écarts pour éviter les voitures arrivant en face. On se retrouvera également à traverser un immense marché chaotique mais incroyable à voir pour nos yeux de touristes. Pour finir on se fera arrêter pour excès de vitesse… 96km/h au lieu de 60… L’agent de police sera compréhensif et nous laissera repartir avec un rappel à la Loi. On se sent tout de même un peu honteux par rapport aux locaux de s’en sortir aussi bien.
Peu à peu nous voyons les montagnes enneigées du Haut Atlas se rapprocher.
Il faut savoir que Oukaimeden est une station de ski située à 2600m d’altitude. Proche de Marrakech elle est très touristique. Les derniers kilomètres sont bourrés d’échoppes vendant des plats en terre cuite. Notre imagination ne peut s’empêcher de visualiser une voiture faisant un carton dedans. Nous croiserons même des chameaux installés sur les parkings pour que les touristes se prennent en photos dessus.
Les blocs d’Oukaimeden
Dans son jus depuis les années 70, le refuge du CAF ne manque pas de charme. Son existence ici nous paraît déjà improbable mais il est en plus de ça sorti d’un autre temps. Il fera pour nous office de musée de l’escalade et de l’alpinisme grâce à sa vieille bibliothèque rempli d’anciens magazines de Montagne.
Nous avons récupéré le topo édité par une jeune équipe de grimpeurs du CAF venue peu de temps avant. Mais nous découvrons sur place qu’il existe un autre topo fait par l’association Imiksimik et qu’il est immensément plus complet. On se le procure moyennant 16€ via l’application Rakkup. Nous louons 3 crash pad auprès du refuge que nous paierons 10€ chacun par jours.
Le rocher est toujours un grès rouge. Parfois sableux il rajoute un peu de difficulté sur les plats. Nous décidons de partir à la recherche des blocs du CAF, mais c’est un échec. Après 1h30 à les chercher nous nous rabattons sur des blocs vierges de tout passage. Nous ouvrons alors nos 1ers blocs et c’est un vrai plaisir !
Même dans les secteurs plus fréquentés nous avons toujours trouvé des passages à ouvrir ce qui a enrichi considérablement notre séjour.
Le cadre est incroyable à cette altitude car nous surplombons une bonne partie du paysage. Nous ressentons néanmoins un léger essoufflement à chaque rétablissement à cause du manque d’oxygène.
Seuls sur ce plateau dégarni, les montagnes derrière nous et une vue dégagée sur une immense plaine devant, notre sensation de liberté est exaltante.
J’ai vécu dans ce contexte une expérience d’une grande beauté. A l’écart des autres, je me rétablis en haut d’un bloc que je grimpe avec une grande concentration. Ce genre d’ascension trop rare où on a l’impression que tout est facile, fluide, dans le flow. Alors que je m’assoie en haut du rocher pour m’imprégner du silence et de la vue, un appel à la prière monte d’un village en contrebas. Le chant grave du muezzin, amplifié par l’écho des montagnes fait vibrer tout mon corps. La scène prend une ambiance mystique qui m’émeut profondément. Je me retourne et vois mes amis immobiles, eux aussi ont capté la beauté de ce moment.
Quant à Romain il se fait une belle frayeur dans le high ball en 7A de “L.H”. Alors qu’il randonne la partie basse, le réta à plusieurs mètres du sol semble dépourvu de prises. La réception est en pente, Maxime est concentré sur la parade. Sentant la tension qui monte, je lâche mon appareil photo en vitesse pour venir l’aider. Romain décide finalement avec sagesse de désescalader pour chuter convenablement sur les crash pads. Ouf on relâche tous la pression.
On vous recommande :
- Deep Time, 7A secteur Neverland.
- Sankara, 6B+ (7A+ dans le topo) secteur Neverland.
- Better Than Life, 7C secteur Neverland.
- The Arete, 6A secteur Back Yard.
La peau quelque peu décharnée, les visages cramés par le soleil mais le coeur gonflé à bloc nous reprenons la route en direction d’Aït Attab. Le jour de repos qui suit nous sert à réparer la carrosserie de la voiture amochée par la route chez un ferrailleur. 100 dirhams (10€) pour se refaire une beauté, mes amis se moquent de moi en m’invitant à amener ma voiture par bateau ici pour la faire réparer…
Les 2 derniers jours sont consacrés à terminer nos projets. Nous partons ensuite pour Casablanca où nous louons un Airbnb dans un quartier en périphérie qui ne nous inspire pas tellement confiance mais où l’on mange une succulente pizza ! Retour à la gastronomie occidentale pour le plus grand plaisir gastrique de Maxime.
On tient à remercier toutes les personnes qui ont oeuvré au développement de l’escalade dans l’Oued el Abid mais surtout Théo pour sa vision et son acharnement à aller ouvrir des voies dans un coin aussi perdu. On remercie Fatiha pour la délicieuse cuisine. Abd Elkhalaq pour sa disponibilité et ses conseils.
Ce fut une merveilleuse aventure au Far Oued, pleine de découvertes culturelles et rocailleuses. Au total on s’en est sorti chacun pour moins de 600€.
On reviendra ça c’est sûr !
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Texte et photos de Matthias PARÉ