Il en va de ces petits détails, de ces petites nuances si chères à la langue française. Interview ? Non, trop pompeux, trop académique et puis, il ne s’agit pas ici d’épiloguer sur des sujets trop sérieux. Mais de quoi s’agit-il alors ? Juste de quelques mots échangés, d’idées partagées, de bavardages d’enfants, de papotages. Papotage, oui ce mot me parle, léger, doux, rond voire futile. Alors Marion, papotons !
Marion Thomas, (grimpeuse, skieuse, membre de l’équipe de France de cascade de glace, et j’en passe…) notre première rencontre est finalement assez récente. Nous sommes en 2015 et nous arpentons les ruelles lyonnaises à la recherche de spots d’Urban Climbing avec toute la Team PG. Un super week-end où les souvenirs de soirée prennent le dessus sur les souvenirs de grimpe… Et au milieu de tous ces souvenirs, il y a ce sourire.
Rencontrer Marion, c’est dans un premier temps accepter de se faire désarçonner par un sourire qui vous laisse là, sans voix, bête et immobile. Vous êtes partagés entre deux options : faire cesser ce silence qui devient gênant ou ne rien faire et profiter du moment.
Puis il y a eu Ailefroide. Tu squattais le Briançonnais depuis quelques semaines à écumer les falaises. Tu es sortie de ta Clio, une pomme à la main, Vans aux pieds, les ongles sales et le sourire aux lèvres qui annonçait la couleur : on va bien se marrer !!
Ces quelques jours ont marqué le début de notre amitié. Sans se connaitre vraiment, sans se voir si souvent, il y a, à chacune de nos rencontres, cette facilité qui pourrait faire penser le contraire. Et puis, de ces quelques jours est née une forme d’admiration pour ce que vous êtes, ce que vous faites, vous les « jeunes » de la Team. A la fois si proche de moi et en même temps si loin.
Cette admiration est venue d’un aspect malheureusement méconnu qu’est votre amour pour l’escalade et pas seulement, comme on pourrait le penser, de votre amour pour les prises en résine. Le soir, au coin du feu, j’ai adoré vous entendre compter vos récits des jours passés.
Vous écouter raconter comme l’eau du torrent est froide pour se laver, les bivouacs, les runs dans vos projets… m’a fait un bien fou. Moi, pourtant jeune, je me suis pris d’une forme de nostalgie en revivant à travers vous, mes aventures d’antan. Quel idiot j’ai pu être en me faisant un brin de soucis en vous rejoignant. J’avais tout imaginé et balayé tous les clichés, que vous seriez cloués sur vos smartphone, que vous seriez difficiles, exigeants, des mangeurs exclusifs de graines, que les filles feraient leurs précieuses, qu’elles allaient chipoter… mais à aucun moment je n’ai pensé que vous seriez comme moi, il y a 15 ans. Bref, j’ai été con, c’est comme ça que l’on dit je crois…
Cinq années seulement se sont écoulées depuis cette première rencontre et je ne sais déjà plus par où commencer. Tu as déjà eu mille vies en fait ? Ça t’arrive de te poser ou le mouvement permanent c’est ton quotidien, ta façon de vivre ?
Je suis attirée par tout ce qui touche à la verticalité et j’ai toujours envie d’apprendre. Alors à chaque fois qu’une occasion se présente, je la provoque et la joue à fond. Et je m’ennuie vite, alors j’adore créer de la nouveauté.
On te voit en compétition, en grande voie, en couenne, en bloc puis pendue à des piolets ou des skis aux pieds… tu te sens capable de classer toutes ces pratiques par ordre de préférence ou l’idée même de le faire te semble absurde et sans intérêt ?
Ça dépend des périodes et des saisons ! Je fonctionne à l’envie alors si le plaisir est là, je vais m’y consacrer pleinement. Après, j’ai besoin de me fixer des lignes directives pour avoir une cohérence et que ce soit efficient. Je segmente puis je switche entre les pratiques.
Qu’est-ce qui te plait dans tout ça ? Que recherches-tu ? C’est le défi physique, la compétition, l’envie d’être dehors, le partage… ??
Chaque pratique m’apporte quelque chose de différent et c’est cette polyvalence qui me plait. Mais ce qui me vient en premier, c’est la part technique de chaque sport et la richesse de mouvement qu’elle procure. Je suis fan des conversions en ski et des lolottes en grimpe ahah. C’est probablement le côté ingénieur qui ressort avec le besoin de parfaire le mouvement.
Puisque tu évoques ce besoin de polyvalence, y a-t-il des sports que tu ne fais pas encore et que tu aimerais faire?
Oui, le parapente pour tout voir en miniature et éviter les descentes infinies à pattes =) Sinon la planche à voile et le surf !
Après, on n’a jamais fini d’apprendre avec la grimpe. J’aimerais me lancer dans des projets de grandes voies d’envergure équipées ou non équipées.
Parles-nous de tes études ? En quoi consistent-elles et comment fais-tu pour trouver tout ce temps libre notamment durant la saison de cascade ?
Je fais des études d’ingénieur à Grenoble INP – Génie Industriel, c’est une école polyvalente qui couvre tous les champs du génie industriel : de la conception de produit à son recyclage. Je suis spécialisée dans la chaine logistique, qui touche la phase de production et distribution du produit. Par exemple, on peut être chargés d’optimisation de proccess, de mise en place de systèmes d’information ou de piloter des projets… Vaste choix ! C’est ce qui me plait : un panel d’emplois diversifiés et variés.
J’ai eu la chance de pouvoir aménager mes études en rallongeant le cursus pour faire les saisons de compétition, 8 ans sur la totalité de l’école au lieu de 5… Et bien je peux te dire que j’ai hâte de travailler ! Plus sérieusement, si c’était à refaire, je le referais, c’est une opportunité en Or de se consacrer à son sport à fond en parallèle de ses études. Déjà parce que les compétences qu’on acquiert sont transversales dans les deux domaines, et puis, parce que le tout forme un équilibre, je me sens plus complète.
Tu m’habitues à me surprendre mais gardienne de refuge, WTF ??? C’était quoi l’idée ?
Un rêve de gosse. En fait, j’ai toujours été attirée par ces lieux de vie hors du temps où les alpinistes élisent domicile temporairement. L’occasion s’est présentée au refuge Albert 1er à Chamonix et franchement, j’ai adoré mettre la main à la patte pour faire vivre cet endroit magique. Une vie à mille à l’heure comme j’aime. On revient très vite à l’essentiel et ça donne envie de simplifier notre vie d’en bas. Un de mes moments préférés, les petits dej à 4h du matin où tu sens l’excitation monter malgré les bouilles encore dormantes. J’avais des papillons dans le ventre à les regarder partir à la frontale avant de profiter du lever du soleil. Bref, j’étais à fond et je referai avec grand plaisir !
Tu as donc vécu une forme de confinement avant l’heure ! Une petite répétition générale quoi. Que penses-tu de la situation actuelle ? Comment la vis-tu ? Et qu’est-ce que cela t’inspire pour le futur ?
Ça fait des hauts et des bas mais je le vois comme une belle opportunité d’agir autrement. Je pense que pour bien le vivre, il faut l’accepter.
Pour ma part, j’ai la chance d’avoir tous les cours qui continuent en vidéoconférence et un pan à dispo. On a commencé par tout démonter, laver et remonter le pan. Puis je suis bien occupée entre les sessions de grimpe, de renfo, de courses à pied, les examens, les beers pong, le boulot et les essais culinaires.
J’espère que cette période nous changera, qu’on gardera à l’esprit que profiter de plaisirs simples est parfois amplement suffisant et qu’on prendra soin de Dame nature qui profite pleinement de ce moment pour souffler un peu.
En parlant d’inspiration, y-a-t-il des gens qui t’ont inspiré ou qui t’inspirent encore ?
Oh oui ! Nina Caprez et Cédric Lachat pour leurs grandes voies d’envergure avec toujours le kiff comme règle d’or. Sinon, je pense à Philippe Mussato que j’ai rencontré par hasard au pied de la Grande Cournouse à Presles il y a 1 an. Le lendemain, j’étais pendue à un crochet goutte d’eau à équiper ma première grande voie avec lui. C’est une légende de l’ombre que j’admire, car faut pas oublier que c’est grâce à eux qu’on se régale. En plus, ils le font bénévolement !
Tu cites des grimpeurs plutôt « falaisistes » ce qui ne me surprend guère !! Mais tu restes une compétitrice dans l’âme. Tu t’y intéresses toujours ? Les JO ont été annulés et repoussés. Tu avais mis une pièce sur un vainqueur ?
Les JO font partie de l’évolution du sport et ça va apporter un boost supplémentaire à la discipline, c’est trop chouette! J’aimerais bien que l’on garde l’esprit familial et généreux qui fait la beauté du sport.
Une pièce sur un vainqueur ? Notre Julia CHANOURDIE nationale peut surprendre !
As-tu un message à faire passer aux grimpeurs qui ne connaissent que les salles (que tu fréquentes aussi d’ailleurs) ?
Avec le babyboom des salles de bloc, il y a de plus en plus de monde qui remplace les sessions de musculation par le bloc. Ça me fait plaisir de les voir apprécier le côté ludique de l’escalade. J’essaye de leur transmette cette vibe du grimpeur qui partage les méthodes, échange et prend plaisir (et grimpe sans écouteurs J). Après, je leur dirai qu’il existe d’autres facettes du sport et que si ça motive certains, de nombreux moyens sont mis en place pour découvrir la falaise, la grande voie et l’alpi. Je pense aux groupes de la FFME, de la FFCAM, aux sorties organisées par les clubs … Mais je ne suis pas d’avis à forcer le grimpeur à aller dehors. Si certains aiment uniquement le bloc en salle, c’est une des facettes de l’escalade, alors je les pousserai à continuer.
Le principal : c’est le plaisir.
Je suis père d’une petite fille et je m’inquiète parfois de sa future place dans la société en tant que femme. J’aimerais qu’elle soit forte, bagarreuse et que jamais ne lui vienne l’idée qu’une chose ne lui est pas accessible parce qu’elle est une fille. Il faudra que tu la prennes en stage plus tard !! Plus sérieusement, as-tu déjà ressenti une pression particulière ou l’envie d’en faire toujours plus pour prouver quelque chose?
Moi j’adore vagabonder avec ma clio, dormir dehors et me doucher dans les rivières. Je me suis toujours entraînée dans des équipes mixtes et j’ai toujours été attirée par des équipes comme le GEAN qui sont mixtes. Après, j’ai besoin de passer des moments avec des mecs, entre nanas, et les deux ensembles. Je suis pour l’égalité Homme-Femme dans certains cas comme la rémunération par exemple. Mais dans la majorité des contextes je suis plus pour l’équité. On a des capacités différentes et la comparaison est pour moi intéressante uniquement si elle est constructive, sinon elle est absurde. Par exemple, je me suis battue pour qu’on ait des jetés sur piolets chez les femmes aussi et ça m’a fait tant plaisir qu’on en ait en Suisse et que ça marche !
Après, je pense aux compets où j’ai déjà eu des réflexions sur le fait d’avoir moins de mérite car la difficulté était moindre que les Hommes. Mais quelle est la finalité de ces réflexions ? Il n’y aura jamais le même niveau chez les Hommes et les Femmes c’est évident, on est morphologiquement différents, et heureusement. Par contre, on se défend chacun à notre manière et le principal c’est de repousser nos limites que notre corps et cerveau nous fixe. Alors oui comme tu dis, à un moment, j’ai eu l’envie et le besoin de prouver qu’on pouvait réussir, et qu’on le méritait parce que j’avais trop pris à cœur les réflexions qu’on me faisait. Mais je me suis vite rendue compte ça nous desservait. Je pense qu’il faut rester simple et faire les choses avec humilité et sourire. Les bons humains te soutiendront si tu assumes ce que tu fais et le vis pleinement. Rien ne sert de procrastiner alors osez, les filles comme les mecs faire ce qui vous donne envie !
Parles-nous de la cascade ! Comment toute cette histoire est née ? Comment t’es-tu retrouvée à te pendre au bout de piolets ?
Je peux vous parler cascade de glace, mais je préfère vous parler de drytooling (ma discipline). Comme souvent, les copains qui t’emmènent essayer autre chose et j’avais vu des vidéos, ça me tentait depuis un moment. Alors j’ai changé d’école, déménagé à Grenoble et c’était parti deux piolets dans les mains pour découvrir une nouvelle gestuelle. J’ai très vite accroché et retranscrit ce que j’avais de l’escalade.
Cette saison a été magnifique pour toi. Tu espères faire encore mieux l’année prochaine ?
Merci ! Chaque saison est différente et cette année, c’était fou ! Premier podium en Coupe du Monde et un top 5 au classement mondial. Quand ton rêve se réalise, c’est d’abord énormément de joie et un soulagement d’une certaine manière, mais je crois que finalement là où j’ai pris le plus de plaisir, c’est dans le cheminement que j’ai mis en place pour y arriver. C’est ce qui m’a forgé. Et je le dois en grande partie à Pack (Pierre-Alexandre Keller) qui m’a coaché cette année et beaucoup poussé dans mes retranchements. Je suis têtue et on sous-estime souvent le rôle d’entraineur, mais c’est tellement d’écoute, de patience et d’énergie à crier au pied du mur. Et puis, on a toute l’équipe, les compagnons d’entrainement et les copains, c’est pour cette vibe ensemble qu’on le fait aussi.
Pour l’année prochaine, j’ai été prise au Canada pour finaliser mes études le premier semestre. Un autre rêve de gosse de parler anglais. Je vais probablement devoir mettre entre parenthèse une saison pour pouvoir m’investir pleinement dans ce projet. Mais qui sait ? Si mes études le permettent, je ne fais pas une croix sur ma saison. J’ai bien envie de me rendre sur des évènements mythiques plus alpi comme l’Ouray Ice festival, l’Ice climbing des Écrins ou le Festiglace à Pont Rouge.
On imagine mal le quotidien des sportifs de haut niveau. On voit passer des photos magnifiques sur les réseaux sociaux, des spots de rêves, les croix qui s’enchaînent… une vision faussée d’une douce vie à vivre de son talent. Car cette face (trop ?) cachée du dur labeur fait tout de suite moins rêver. De passage dans le secteur, je m’étais arrêtée te voir au spot dit de « l’Usine ». Une immense grotte que l’on aperçoit depuis l’autoroute qui mène à Grenoble en venant de Lyon. L’ambiance est détendue, mais les traits sont tirés et laissent deviner la fatigue accumulée, la souffrance. Il n’est plus question de proposer une bière à ce moment-là. « Je te laisse, je rentre, je suis morte. Il faut que je dorme. » On devine alors tous les sacrifices et le travail qu’il y a derrière…
Je ne parlerai pas de sacrifices comme tu dis, je dirai plutôt que c’est des concessions. Je le fais parce que ça me fait vibrer et que les moments vécus à l’international sont indescriptibles et si enrichissants. Alors, certes, il y a quelques moments où je préférerais manger un yaourt brebis châtaigne que refaire une série à l’Usine, mais ça fait partie du jeu et quand tu sais pourquoi tu le fais, tu y retournes !
Et financièrement, comment gères-tu tout cela ?
Effectivement, il faut avoir des sous pour se rendre en Corée, USA, Russie et Chine ! Heureusement, j’ai la Fondation Grenoble INP qui m’aide financièrement, et Simond pour le matériel, c’est déjà un sacré soutien moral. Il y a la fédération FFCAM et la mairie de Marcy l’Etoile aussi. Et puis… les Prize Money qui complètent !
Un petit conseil pour la fin du confinement ?
Regardez des vidéos de vos passions et faites de l’imagerie mentale en pensant à des mouvements de grimpe. Le cerveau a parfois du mal à faire la différence entre le réel et l’imaginaire, ça vaut le coup d’essayer d’y penser fort !
Il y cette idée forte quand on est au contact de certains grimpeurs, que l’escalade n’est qu’une facette, qu’une branche de cette grande famille des sports de plein air. Il faut profiter de ce que nous offre la nature, accepter de s’y aventurer pour mieux la découvrir et mieux nous découvrir.
C’est une véritable richesse qui est là, à portée de main, qu’il faut apprendre à aller chercher. Je me suis souvent dit, un brin jaloux, que toutes ces personnes qui ont été capables, en étant simplement à leur contact, de me secouer au plus profond de moi étaient à chaque fois des personnes comme toi Marion. Sûrement parce vous incarnez d’une certaine façon tout ce qu’on rêverait d’être, du moins tout ce qu’on rêverait de faire.
En fait, je te déteste Marion, tu me mets le cafard !!
Je vous souhaite à tous de rencontrer votre Marion, de profiter des moments passés à ses côtés, de vous en inspirer et n’oubliez pas ces moments précieux… de papotage.
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