Devinette : qu’est-ce qu’on avale régulièrement en grimpant et qu’on ne devrait pas ? Des insectes ? De la magnésie ? Sa fierté?
On se remet généralement assez vite d’avoir avalé un moucheron ou d’un « sec » dans une voie soi-disant facile. En revanche, en ce qui concerne la poussière de magnésie, son absorption n’est pas si anodine. C’est pourquoi ce mois-ci, dans un contexte où la santé pulmonaire est sous le feux des projecteurs, je ne parlerai pas d’ingestion mais d’inhalation.
Soulignons pour commencer les efforts menés par les salles privées pour améliorer la qualité de l’air depuis plusieurs années : interdiction de la magnésie en poudre pour certaines, système de ventilation amélioré pour d’autres. Le brouillard impénétrable des salles de bloc a disparu et c’est une bonne chose.
Cependant il n’en est pas de même dans de nombreux gymnases utilisés par les clubs. Ces grandes boîtes de conserve sont généralement mal aérées et les extracteurs d’air souvent en panne à cause, justement, de la magnésie qui en bouche les filtres. Sans parler des tapis qui ne voient pas souvent passer un aspirateur.
De fait, vu l’accroissement du nombre de licenciés chaque année, et notamment dans les catégories enfants, il me semble nécessaire de rappeler que la poudre dont on se tartine les mains et par transfert, le nez et la bouche, est susceptible de générer des affections à long terme dont on se passerait bien.
La magnésie est classée dans la catégorie des particules fines, appelées PM10 (c’est à dire d’un diamètre inférieur à dix micromètres). On sait que les particules fines ont la capacité de franchir la barrière formée par le mucus et les cils de l’épithélium nasal et trachéal. En d’autres termes, plus les particules sont fines, plus elles pénètrent profondément dans l’appareil respiratoire.
En 2015, une étude slovène[1] a conclu qu’un sportif respire six fois plus de particules fines en gymnase qu’en pratiquant la même activité en extérieur. Cette étude portait sur des sports n’utilisant pas de magnésie, on ne peut donc qu’extrapoler sur les quantités de pof inhalées lors d’une séance de grimpe (ou de gymnastique, d’ailleurs).
Cela étant, ce ne serait pas la magnésie en tant que telle qui poserait problème, mais plutôt les impuretés qu’elle contient. En effet, ce que nous appelons magnésie est du carbonate de magnésium plus ou moins pur. Ingéré sous la forme d’additif alimentaire (E504i), ce composé est a priori sans danger. Cependant, à ma connaissance, il n’y a jamais vraiment eu d’études sur la toxicité de ce produit lorsqu’il est inhalé, il est donc difficile de se faire un avis hors expérience personnelle.
En revanche on connait parfaitement les dégâts que peuvent faire les impuretés, notamment la silice, sur les alvéoles pulmonaires.
Les cristaux de silice, lorsqu’ils parviennent aux alvéoles pulmonaires, provoquent des dégâts résultant à la formation de tissus cicatriciels sur le long terme, une maladie autrefois bien connue des mineurs de fond : la silicose[1].
Même si la pratique de l’escalade n’a pas grand chose à voir avec l’extraction du charbon en termes de quantité de poussière inhalée, le site cancer-environnement.fr, (lié à l’Hôpital Léon Bérard, centre de référence en cancérologie en région AURA) indique qu’en cas d’exposition à des niveaux faibles de silice cristalline sur des périodes longues (supérieures à dix ans), il existe un risque de silicose chronique, qui de plus reste longtemps asymptomatique.
De plus, quand on regarde le visage des grimpeurs après une séance, surtout les plus jeunes, on constate qu’ils sont souvent crépis de magnésie autour des yeux, de la bouche et du nez, ce qui doit encore augmenter le taux de particules inhalées.
Quand on se dit que certains juniors ont commencé l’escalade au CP, et donc qu’à peine adultes, ils ont déjà douze ans de contact rapproché avec poudre et ses impuretés derrière eux, on comprend que certains parents prennent peur.
Alors que faire ? Parmi les aménagements possibles pour limiter l’exposition aux particules fines, on pourrait interdire totalement l’usage de la magnésie en salle, mais pour les personnes qui ont les mains moites de manière quasi handicapante, ce n’est pas la solution, à moins d’essayer de traiter « le mal » à la source avec quelques séances d’acupuncture ou d’ionophorèse.
Du côté des solutions techniques, la magnésie liquide donne de bons résultats avec une dispersion dans l’atmosphère plus faible que la poudre libre ou en boules. Cependant, le contact répété du produit sur une peau desséchée par l’évaporation de l’alcool, voire appliqué sur des mains crevassées ou écorchées peut provoquer de l’eczéma. Tartine de crème réparatrice obligatoire après chaque séance.
Il existe aussi la colophane, issue de la résine de pin, mais que le potentiel allergisant incontestable[3] rend peu recommandable, surtout chez les enfants dont la peau est plus fragile et plus vulnérable aux allergies.
La marque NST a sorti il y a quelques années un gel biodégradable sans magnésie ni colophane. Mais au regard des témoignages dans les forums et les blogs, associés au fait que je n’ai jamais vu un seul des cinq cents grimpeurs de mon club s’en servir, le produit ne semble pas pratique à utiliser.
En conclusion, dans l’état actuel des connaissances, outre recommander le nettoyage régulier des prises et des gymnases, le combo magnésie liquide/magnésie en poudre ultra pure, c’est à dire comprenant moins de 0,1% de silice, semble être un bon compromis pour éviter de respirer trop de particules fines (ainsi que de pratiquer un maximum en milieu naturel).
Texte: Amandine Verchère
[1] https://doi.org/10.1111/ina.12226
[2] https://www.youtube.com/watch?v=zifAzlRaA7g
[3] http://www.inrs.fr/media.html?refINRS=TA%2065