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Interview exclusive de Tommy Caldwell

De passage en France en avril dernier, nous avons pu rencontrer Tommy Caldwell au détour des blocs de Fontainebeau, et lui poser quelques questions sur sa vie de grimpeur, la réalisation du Dawn Wall, les JO, et autres petites indiscrétions…


Salut Tommy, comment vas-tu ?

Je vais très bien, je suis actuellement en France avec ma famille, je grimpe à Fontainebleau, la vie est belle. Je viens chaque année passer un mois ici à cette période de l’année, c’est un des meilleurs moments de l’année pour moi.

Les Français ont découvert « The Dawn Wall » par ton intermédiaire, est-ce que cela te surprend ?

Je suis surtout surpris que des gens tout autour du monde s’intéressent au Dawn Wall, connaissent même son existence. Au cours de ce voyage en France j’ai remarqué que beaucoup de personnes ont suivi l’ascension, ont vu le film, et c’est clair que c’est génial pour moi.

Le Yosemite a été très en vue ces derniers temps, comment l’expliques-tu ?

Le parc national du Yosemite est le centre du monde de l’escalade aux US, c’est l’équivalent de Chamonix en France pour le monde de la montagne. C’est l’endroit où les techniques de grimpe ont été inventées et testées, là où le rocher est le meilleur, où l’histoire est la plus riche. L’escalade en tant que pratique sportive se développe à un rythme très rapide en ce moment tout autour du monde et le gros de l’excitation est centré sur le Yosemite c’est vrai : oui, je suppose que ça me surprend un peu mais en même temps, c’est un si bel endroit, donc ça n’est pas si étonnant.

Es-tu inquiet de voir apparaître des problèmes de sur-fréquentation ?

D’un côté, je suis inquiet de voir trop de monde débarquer sur un rocher que j’adore, mais d’un autre côté, je pense que l’escalade est une bonne pratique pour tout le monde, ça fait sortir les gens de chez eux, ils se soucient de la nature et de l’environnement, et ça participe au développement du mouvement écologiste. Le plus renommé des écologistes aux US est John Muir, il est tombé amoureux de la nature en général et du parc national du Yosemite en particulier, et les grimpeurs reçoivent un peu de cet héritage qu’il a laissé quand ils vont grimper là-bas. En ça, c’est une très bonne chose qu’il y ait de plus en plus de personnes qui se mettent à l’escalade.

Ton partenaire de cordée Kevin JORGESON a failli être en échec dans l’ascension du Dawn Wall. As-tu imaginé finir seul ou la notion de cordée et d’équipe est plus importante que la réussite ?

Le film relate bien ce moment « dramatique » où l’on voit Kévin en difficulté dans la longueur la plus difficile de la voie et s’est alors posée la question de savoir si j’allais continuer jusqu’au somment sans lui ou non. Au final, j’ai décidé de l’attendre et je pense que s’il avait baissé les bras complètement, qui sait, j’aurais pu attendre « pour toujours » et ne pas atteindre le sommet, ou j’aurais pu revenir l’année suivante avec lui pour retenter l’ascension. Ça a été un des moments les plus importants de ma vie car ça touche à l’éthique même de la grimpe, à ce qui importe le plus entre la fraternité/l’amitié/l’esprit d’équipe d’un côté, et l’ascension à tout prix/le succès/la gloire personnelle de l’autre. Et je crois que c’est ce qu’il y a de plus poignant dans le film, le fait qu’on décide d’aller ensemble au bout, et c’était la bonne décision à prendre. Sur le moment, je me disais juste « je vais l’attendre, on verra bien » ; c’était risqué mais avec du recul, c’était définitivement la meilleure décision à prendre.

Qu’as-tu pensé quand Adam a annoncé qu’il souhaitait s’attaquer au Dawn wall ?

J’étais impatient de voir comment il allait s’y prendre…Adam est un héros pour moi, c’est impressionnant de voir comment il maîtrise chaque style d’escalade : du bloc à la compétition en passant par l’escalade dite « sportive », il joue au plus haut niveau dans toutes ces disciplines. Je n’étais pas certain qu’il puisse être aussi performant sur de telles longueurs en falaise, c’est pour cette raison que j’étais impatient de voir le résultat, et au final il l’a fait, c’est tellement un guerrier, il est tellement inspirant. J’aurais presque voulu que ça lui prenne peut-être une année de plus pour y arriver (rire) ! Je lui ai donné des conseils et toutes les informations que je pouvais sur la voie, j’étais là en soutien, je suis fan de ce mec.

« Congratulations to Tommy Caldwell and Kevin Jorgeson for conquering Yosemite National Park’s El Capitan ! » Barack OBAMA : la classe ultime ?

Quand nous avons atteint le sommet du Dawn Wall, ça nous a frappé de voir les médias se jeter sur l’évènement et le relayer ! La cerise sur le gâteau a été de savoir que le président OBAMA avait essayé de nous joindre, en vain, et qu’il avait posté ce message sur twitter, nous félicitant : ça a été vraiment un bon moment, même si la reconnaissance et les félicitations ne sont pas du tout ce qui me motive. Mais de voir autant de personnes suivre avec autant de passion et d’enthousiasme ce que je fais est clairement valorisant.

Tu es souvent associé dans l’imaginaire collectif à Alex Honnold. C’est un compliment ?

Alex est l’un de mes meilleurs amis, les styles d’escalade que l’on pratique et qui font notre renommée se ressemblent dans le sens où l’on grimpe le même rocher mais il est connu pour ses ascensions en solo intégral tandis que je fais des ascensions libres très difficiles. Je suis consciencieux, réservé, tandis qu’il est ambitieux et résolu, ça m’aide beaucoup quand on se retrouve, il y a toute cette énorme énergie qui se dégage entre nous, on a l’impression de grimper au mieux de notre forme quand on est ensemble.

Tommy et Akex en haut du Nose

Un mot sur l’Oscar d’Alex Honnold ?

Cet Oscar a été un grand moment de l’histoire de l’escalade, c’était vraiment incroyable de voir la portée que pouvait avoir ce film auprès des gens, comment ça pouvait les faire vibrer. Ça a été un honneur pour moi de prendre part au film dans le rôle de l’ami soucieux de la sécurité d’Alex au regard des risques pris. Le film est assez incroyable dans le sens où il met les gens « mal à l’aise », il les trouble, ce qui retranscrit bien l’état dans lequel  on grimpe, ce sentiment est tellement puissant.

Es-tu attiré par des ascensions en solo ?

Pas du tout, je ne suis pas un grimpeur en solitaire, bien que le solo soit un style d’escalade où je pense pouvoir être assez bon car j’ai l’approche qu’il faut pour l’être, et je pense que c’est pour ça qu’Alex et moi on s’entend si bien d’ailleurs, car on s’enthousiasme tous les deux pour ce qui est effrayant. Mais l’escalade en solitaire est une pratique irresponsable à mes yeux car je suis un père, un mari, j’ai une famille, tout simplement.

As-tu trouvé ton futur projet ?

Je me suis retrouvé sous le feux des projecteurs avec le Dawn Wall et depuis, j’ai écrit un livre, j’ai participé à plusieurs films et émissions, je participe à beaucoup d’évènements tout au long de l’année. De ce fait, je n’ai pas pu me consacrer à l’escalade comme je le faisais avant. Mais il y a 6 mois environ, je suis retourné au Yosemite et j’ai repéré une nouvelle voie, juste à côté de celle du Dawn Wall curieusement : je compte bien y retourner cet automne et commencer à la travailler. Voilà pour ce qui est de mon prochain projet « grimpe ». Dans un autre rayon d’action, je m’implique à fond dans le mouvement écologiste.

Est-ce difficile de retrouver la motivation après avoir atteint son objectif après tant d’année de travail ?

A chaque fois qu’on se lance à fond dans un projet tel que l’ascension du Dawn Wall, sur plusieurs années, il est clair que c’est génial de voir se réaliser le rêve qu’il y a derrière ce genre de projet. Mais c’est également triste de l’avoir réalisé d’une certaine manière car ce qui fait la beauté, le pouvoir d’un tel projet, c’est justement la poursuite de ce rêve. Et retourner grimper tous les jours « comme avant » après une telle aventure s’apparente un peu à une routine amoureuse, ça génère des sentiments mitigés. Mais je n’ai pas eu de mal pour autant à retrouver ma motivation, d’une part parce que je n’ai pas vraiment eu le temps de grimper du fait que j’étais pris par le travail et la famille, et d’autre part car la motivation pour grimper ne me quitte jamais de toute façon !

Le Nose en 1h30 ou le Dawn Wall dans la journée ?

Lequel de ces deux projets serait le plus facilement réalisable vous voulez dire ? Le Nose en 1h30 est clairement plus réaliste, ça arrivera très certainement dans la décennie à venir, bien que ce ne sera pas moi qui le ferait. Tandis que le Dawn Wall dans la journée, c’est beaucoup plus difficile à se l’imaginer, ça paraît tellement surhumain. Mais je ne sais pas, les deux sont possibles je suppose, ce serait génial de voir des grimpeurs se lancer dans de tels projets, mais très peu pour moi cela dit.

Penses-tu que la nouvelle génération repoussera encore les limites de la difficulté ?

Oui, je pense que l’escalade est à un stade de développement où les limites de la pratique vont être repoussées à un rythme de plus en plus rapide, et ce du fait des JO, du fait que le sport se démocratise et que de plus en plus de personnes le pratiquent, donc que la réserve de talents pour le sport s’accroît rapidement. Je pense que dans 10 ans, ce qu’on grimpe aujourd’hui paraîtra mineur. La science met son nez dans les techniques d’entraînement et le niveau global des grimpeurs n’a jamais autant augmenté que maintenant. En tout cas, ça promet d’être vraiment passionnant.

Y-a-t-il des grimpeurs qui t’ont inspiré ou qui t’inspirent encore ?

Quand j’étais jeune, j’étais influencé par des grimpeurs de l’âge d’or du Yosemite, tels Tom Frost, Royal Robbins et Yvan Chouinard. Adolescent, j’ai également été influencé par les amis avec lesquels je grimpais : Chris Sharma et Dave Graham notamment. Dans la nouvelle génération de grimpeurs forts, je suis impressionné par le niveau des grimpeurs comme qu’Adam Ondra, ou Ashima Shiraishi chez les filles.

Connais-tu Charles Albert et ses performances pieds nus en bloc ?

Bien sûr que oui (rires). Je ne l’ai jamais rencontré mais je viens souvent à Fontainebleau et tout le monde ici parle de ce grimpeur pieds nus. Ça arrive souvent de travailler un bloc et d’entendre quelqu’un dire « et dire que Charles Albert le grimpe pieds nus ! ». Oui, ça doit être impressionnant de le voir grimper. On dit qu’il a les doigts (de pieds) les plus forts du monde…je serais vraiment curieux de grimper avec lui un jour.

À quand The Nose pieds nus ?

(Rires) Peut-être un jour, si Charles veut s’y frotter !

Lors de ton ascension, il y avait énormément de journalistes et de TV en bas d’El Capitan, comment as-tu géré la pression ?

L’ascension elle-même a été très médiatisée c’est vrai, mais Kevin et moi nous étions loin de tout ça, sur la paroi. On pouvait apercevoir tout ce monde en bas dans la prairie, mais ils étaient tellement loin. Certes on avait un peu la pression car on pouvait nous-même suivre avec nos portables le buzz médiatique, mais quand on grimpait, il était très aisé de faire la part des choses et de rester concentré sur l’escalade, notre réalité du moment. Ça n’a pas été difficile de s’isoler du buzz médiatique en quelque sorte.

Les exploits comme le tien sont ultras médiatisés aux US, parviens-tu à vivre de ta passion, et comment ?

Je suis grimpeur professionnel depuis que j’ai 17 ans. A 17 ans je participais à des compétitions et je gagnais juste assez pour vivre très simplement dans ma voiture et ma tente. Aujourd’hui, je peux offrir bien plus de confort à ma famille. Mon travail ne consiste pas simplement à grimper des voies très difficiles. J’écris un peu, j’interviens en tant que guide également, je m’implique dans la production de films ainsi que dans la conception de produits d’escalade : c’est un métier génial, une vie géniale.

Te frotterais-tu à Alex Puccio pour un concours de tractions ?

Je perdrais certainement contre Alex si on faisait un concours de traction ! Les tractions ne sont clairement pas mon fort !

Fais-tu du bloc ?

Oui, tout le temps, autant que je peux. Le bloc est le meilleur entraînement pour moi car ça me fait travailler la puissance, moi qui suis naturellement un grimpeur endurant. J’aime vraiment faire du bloc, c’est d’ailleurs pour ça que je passe chaque année un mois entier à Fontainebleau.

Dans l’esprit des mortels, tu es assimilé à un « ours » des falaises. As-tu déjà mis les pieds dans une salle d’escalade ?

Oui, je grimpe aussi un peu en salle. En ce moment, quand je cherche à être fort, je vais m’entraîner en salle autant que je peux. Quand je dois me rendre sur des évènements sportifs loin de chez moi, j’essaye d’aller grimper tous les jours en salle : il y a tellement de salles vraiment bien dans chaque grande ville et j’adore les découvrir.

© Becca Caldwell/Red Bull

Que penses-tu de l’escalade aux JO ?

C’est une bonne chose, j’ai hâte de voir ça. Mais la vitesse va être le grand show, la discipline la plus impressionnante à regarder pour le public, et j’ai peur que les gens qui ne connaissent pas l’escalade réduise le sport à la seule épreuve de vitesse. C’est dommage si ça arrive, mais ce sera quand même grandiose.

Tes enfants font-ils de l’escalade ?

Oui, ils adorent, et grimper à Fontainebleau en particulier d’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles on vient ici. On fait les circuits blancs avec eux. Ils aiment tellement la forêt!

Va-t-on te voir dans un clip vidéo chanter comme Nico Favresse et Sean Villanueva ?

(Rires) C’est probablement la meilleure vidéo de Patagonia, celle produite pour les 20 ans du R1 avec la chanson hilarante de Nico Favresse et Sean Villanueva! J’adore ces mecs, mais je ne suis pas du tout un bon chanteur, j’aurais aimé cela dit !

Eminem ou Beyonce ?

Ouh, dur ça…j’ai écouté Eminem bien plus que Beyoncé donc je suppose que je vais voter pour Eminem

Adam Ondra ou Chris Sharma ?

Impossible de choisir ! Chris est un bon ami à moi, si je devais choisir, ce serait lui, mais seulement car je le connais beaucoup mieux.

Bishop ou Fontainebleau ?

Fontainebleau sans hésitation !

Que penses-tu de l’escalade en France ?

La France est la meilleure destination « grimpe » au monde, entre Fontainebleau pour le bloc, des sites sportifs grandioses et les Alpes pour l’alpinisme.

Cuisse de grenouille ou escargot ?

Vous voulez dire, à manger ? Je suis allergique aux crustacés donc pas d’escargots pour moi. Les cuisses de grenouille pourquoi pas, mais je ne pense pas être capable de manger ça non plus !

Vin blanc ou vin rouge ?

Rouge, définitivement. Je ne suis pas un grand connaisseur en vins mais j’aime particulièrement boire du vin rouge quand je suis en France.

Un mot en français ?

Je ne sais pas bien parler français, alors que je passe tout de même pas mal de temps ici, je devrais être meilleur ! « Allez » est le premier mot qui me vient en tête, le plus utilisé dans le répertoire du grimpeur en France.

Un mot sur PATAGONIA, l’un de tes sponsors ?

Je suis un ambassadeur de la marque et j’en suis très fier car ils ont une vision des affaires qui n’est pas capitaliste. Il ne s’agit pas de faire de l’argent à tout prix, ils cherchent à sauvegarder la planète. Pour ça, je suis très fier de faire partie de cette entreprise.

Publié le : 20 juin 2019 par Charles Loury

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