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Rencontre entre deux mondes: Mathilde Becerra et Julien Irilli

- Le 12 mars 2019 -

Après de nombreuses années en équipe de France de difficulté, Mathilde Becerra a décidé de s’éloigner un peu des compétitions pour se retrouver en falaise et sur de nombreuses nouvelles pratiques annexes qui lui tiennent à coeur. C’est dans cette quête d’aventure qu’elle a croisé le chemin de Julien Irilli, une référence en parapente, passionné de sports outdoor et alpiniste pro.

Voici le récit, sous forme d’interview, de la rencontre entre une compétitrice d’escalade habituée à la salle et un sportif de haut niveau qui se consacre à l’outdoor et aux activités de montagne. Une rencontre entre deux mondes.

Que retenez vous de vos premières aventures ensemble ?

Mathilde: Curieuse de nouvelles pratiques après mon « burn out » du haut niveau l’été dernier, j’ai rencontré Julien grâce à une amie en commun car je voulais tester le parapente. Et Julien Irilli, c’est une sacré référence pour le coup !
Il a tout de suite été motivé et m’a proposé de m’initier à ses combos favoris : un week-end  grande voie/vol, étant lui-même mordu d’escalade, entre autre. J’avoue que j’appréhendais un peu de partir avec un inconnu pour certes faire de l’escalade, mais sous une forme que je ne connaissais pas vraiment puisque le peu de falaise que je faisais était de la couenne ou du bloc.
C’était donc clairement sortir de ma zone de confort.
Je me souviens pâlir quand, arrivés au parking, Julien m’annonçait l’heure et demi d’approche « un peu raide » (je ne savais pas encore que quand il annonce une durée et une difficulté, il faut toujours ajouter un bon delta).
Par fierté, je luttais en silence pour suivre le rythme soutenu qu’il m’imposait naturellement. Heureusement, une facilité d’échange s’installa très rapidement grâce à nos passés communs de compétiteurs, rendant la marche bien moins fastidieuse.
Ainsi, je me suis retrouvée en un éclair au dessus des nuages dans un cadre exceptionnel avec la sensation que le temps s’était arrêté. J’étais subjuguée.

Julien : Mathilde m’avait prévenu qu’elle n’était pas habituée à marcher avec un sac chargé de matériel, le sac de course somme toute classique quand on part en grande voie. Nous avons entamé la montée sur un tempo plutôt tranquille pour moi, je voulais qu’elle s’économise pour profiter au maximum de l’escalade et du cadre idyllique. Elle semblait suivre sans difficulté aucune, et ce n’est qu’après coup qu’elle m’a avoué avoir poussé fort la machine ! Le problème pour moi, qui passe la majeure partie de mon temps en montagne, est qu’il m’est difficile d’apprécier la dépense énergétique de mes partenaires…La plainte ne faisant pas partie de ses modes d’expressions, je ne me suis rendu compte de rien ! Elle semblait heureuse d’être là et du coup, j’étais heureux aussi !

Mathilde : Arrivés au pied de la falaise, je rappelais à Julien que j’avais tout à apprendre, que je ne connaissais rien des manips de corde et de la logistique en grande voie. Pour être honnête, j’avais presque honte. Aucune idée non plus de comment gérer l’effort sur une journée entière en paroi : telle une formule 1, je donnais tout dès le départ, à serrer des croutes infâmes dans des voies faciles et à griller toutes mes cartouches en 3 longueurs. Je galérais à hisser le sac et mettais un temps fou à organiser mon relais en espérant ne pas avoir fait de bêtises. Ca me stressait et du coup j’avais du mal à imprimer autant d’informations en peu de temps. Mais Julien restait patient et même s’il était très rapide dans ces explications, il prenait le temps de répéter autant de fois que nécessaire.
Au final j’avais un peu l’impression d’être un boulet. Je me disais que le seul avantage que lui pouvait en tirer, c’était que je monte en tête dans les longueurs plus difficiles.

Julien : Le plus bluffant, quand Mathilde est partie en tête dans la première longueur très typée « montagne », c’est à dire demandant une bonne lecture du terrain pour ne pas se retrouver sur de très mauvaises prises hors du cheminement imaginé par l’ouvreur, est que j’ai réalisé qu’elle pouvait tenir n’importe  quelle préhension si insignifiante soit-elle. Je n’avais jamais assisté à une telle démonstration de force et d’endurance ! Les longueurs qui ont suivi m’ont confirmé qu’une fois qu’elle aurait intégré le paramètre lecture, elle serait inarrêtable ! Quel potentiel incroyable, d’autant plus que la hauteur et l’engagement au dessus des points ne semblaient pas l’affecter du tout !

Mathilde : Arrivés à bout des 7 longueurs et 250m d’ascension, il était temps de vite descendre en rappel pour s’offrir la récompense de fin de journée : un baptême de l’air nocturne au dessus du Lac d’Annecy. En bonne néophyte, je faisais foirer notre décollage en tombant aux premières foulées de la course d’élan. La 2èmetentative fut la bonne. Aussitôt que mes pieds décollaient du sol, je me souviens passer dans une autre dimension, complètement happée par la sensation de flottement et de douceur au contact de l’air pur et frais. Quelle journée mémorable !

Julien : Le jour déclinait à grande vitesse et je pressentais que nous serions un peu juste niveau timing pour décoller avant l’arrivée de la nuit. L’important était de gérer les rappels de jour, et ce fut avec grand plaisir que nous avons donc décollé entre chien et loup, au moment ou la vallée s’illumine, les axes routiers formant d’immenses guirlandes orangées. J’adore voler de nuit mais je me demandais quelle serait la réaction de Mathilde quand je lui annoncerais que tous les voyant étaient au vert pour s’élancer dans le noir ! Aucun soucis, totale confiance, droit dans le pentu la fille ! J’adore.

Mathilde : Cette première journée signait le début de nos aventures. Après avoir fait plusieurs grandes voies toutes aussi palpitantes les unes que les autres, et avec l’hiver qui arrivait de toutes façons, je n’avais qu’une envie : continuer les découvertes, assouvir ma soif d’aventure et mettre enfin un pied dans le milieu de la montagne.

En fidèle partenaire de cordée, Julien m’emmenait ainsi pour une première expérience (une de plus) en cascade de glace. Après analyse des conditions, notre choix s’est porté sur Bramans, le site « à la mode » en ce moment et particulièrement la voie mixte « Sarret c’t un jeu » [M6.6.130m].
Après une petite heure d’approche dans la neige, le canyon dévoilait enfin ses joyaux de glace dans un cadre immaculé à la fois hostile et magique. Pour moi qui n’avait jamais vu ça, s’en était presque féerique.

Evidemment, Julien s’est occupé de poser les protections nécessaires à notre ascension et gérer toute la sécurité. C’était impressionnant de le voir évoluer avec autant d’aisance, surtout lorsqu’on prend conscience de l’engagement qu’il faut pour ce type de voie. Je n’osais même pas imaginer qu’il tombe, me sentant bien impuissante à l’assurage… En fait, j’ai vite compris que la chute (en tête) ne s’envisage pas en glace.

Autant dire que pour une fois, j’étais bien contente de grimper en moulinette. Je me sentais toute gauche avec mes crampons et piolets mais j’avançais à bonne allure, prenant plaisir à chaque « swing » du piolet, sourire aux lèvres. Je me suis cela dit vite faite rappelée à l’ordre en zippant plusieurs fois et en me rattrapant in extremis grâce à mes réflexes de grimpeuse.

En parallèle de la technique d’escalade, il fallait aussi gérer le froid, l’humidité et les onglets à répétition. Finalement cet aspect ne m’a pas dérangé, bien au contraire. Les formes au bleu glacé, aussi ciselées qu’acérées, me fascinaient. Le fait d’évoluer dans ce milieu « extrême » ne faisait qu’ajouter de la valeur à cette nouvelle expérience, et me rapprochait encore un peu plus d’un domaine qui m’a toujours attiré : l’alpinisme. A suivre donc…

Julien: Grand moment que cette sortie en cascade avec Mathilde ! Je m’attendais bien à ce que ça lui plaise vu son tempérament et sa sensibilité à la beauté de la nature mais une fois de plus elle m’a épaté ! Le fait que ses bras ne fatiguent jamais et que les manches des piolets constituent d’énormes prises pour elle a rendu l’exercice presque facile malgré la raideur de ce morceau de glace. Après une courte acclimatation aux frappes et à la technique de crochetage, j’ai assisté une promenade gracieuse entrecoupée de petites zipettes de crampons/piolets histoire de montrer qu’on ne domine pas totalement son sujet dès la première sortie !

Qu’est-ce que vous vous êtes apportés mutuellement ?

Mathilde: Evidemment, Julien m’a apporté sa connaissance et son expérience des sports de montagne. Mais le premier mot qui me vient à l’esprit est « révélation ». En acceptant de me montrer ses terrains de jeu, il m’a permis d’ouvrir les yeux sur une toute autre dimension liée à l’escalade.
Involontairement, il a réveillé en moi ce goût de l’aventure et de l’exploration, raviver la passion pour l’escalade sous sa forme la plus pure, mis en lumière cette attraction pour la montagne, me faisant découvrir ce sentiment de plénitude et de liberté que nous offre nos activités. Ainsi comme une évidence, j’avais trouvé un des sens à ma vie. J’ai compris qu’elle était là, ma voie.

Julien: Le regard neuf de Mathilde, sa fraicheur et son enthousiasme m’ont tout de suite plu, j’adore transmettre ce que je connais et Mat est une vraie éponge avide de connaissance! Sa force, sa détermination à comprendre et à progresser combinés à sa féminité en font d’elle une partenaire idéale pour partager des moments intenses au contact de la nature. Sa perception fine des choses fait tellement écho en moi, je pense que nous avons une sensibilité commune et un regard très proche sur la vie.
Du fait de nos modes de vie et personnalités semblables, on profite également d’un effet miroir  qui nous permet de calmer nos hyper activités respectives sans quoi on ne s’arrêterait jamais.

Comment définiriez-vous votre partenaire ?

Mathilde: Pour moi Julien est une vraie force de la nature, qui semble un peu « rustre » de prime abord. C’est un homme passionné débordant d’énergie, insatiable. Alpiniste, glaciériste, parapentiste, grimpeur aussi, c’est un athlète très complet avec des capacités physiques incroyables. Mais derrière cette façade impressionnante se cache également un homme sensible et profondément gentil, même s’il ne prend pas toujours de pincettes pour dire ce qu’il pense !

Julien: Mathilde est une athlète hyper pointue. Je n’ai jamais vu autant de force chez une femme ! Son petit gabarit et son look toujours stylé laisse penser que le design lui importe plus que le sport…Et pourtant… Comment imaginer qu’un petit bout de nana comme ça puisse se transformer en broyeur de micro réglette capable de venir à bout de n’importe quel morceau de rocher déversant si haut soit il ?!

En fait je la vois comme une boule de feu tranquille, ses capacités à concentrer l’énergie sont clairement hors norme, elle adore pousser son corps  au maximum et sa volonté n’a d’égale que sa constante bonne humeur. Toujours prête à se remettre en question, son besoin d’évolution permanent bien au delà du domaine sportif, constitue une facette importante de son être.

Le pire défaut de l’autre ? La meilleure qualité ?

Mathilde: Hahaha. Julien est sacrément impulsif et peut rapidement monter dans les tours pour des détails. Mais en fait ça me fait rire car ça va tellement bien avec le personnage, simplement passionné et enflammé dans tout ce qu’il fait.
Du coup quand il s’emballe, je rigole et j’en profite bien pour me moquer de lui.
Concernant ses atouts,  c’est plus dur car il en a un paquet. Outre ses qualités humaines indéniables, Julien est un exemple de volonté et de combativité qui force le respect. Il possède une connaissance et une expérience aiguisées de la montagne qui lui permettent de réaliser des courses alpines extrêmement engagées. Cela dit, c’est quelqu’un de confiance qui place toujours la sécurité en priorité.

Julien: Pour ce qui est des défauts, la liste est trop longue, je vais donc aller au pire directement : Mathilde ne sait pas faire la cuisine. Non c’est pas vrai, loin de là !

Il est courant de dire que nous avons les défauts de nos qualités, la règle s’applique une fois de plus ! Difficile de débrancher un cerveau si actif ! Mathilde possède une sacré force mentale qui peut lui jouer des tours… car elle a du mal à s’arrêter et peut aller jusqu’à l’épuisement. J’en connais quelque chose aussi !

Au niveau des qualités, après plusieurs heures de recherche et d’interrogatoire auprès de son entourage, j’ai pu déceler :
– une intelligence à toute épreuve.
– une maturité plutôt folle vu l’âge de l’animal.
– un investissement total dans ce qu’elle entreprend.

Quel est le point commun entre toutes les activités que vous pratiquez ?

Mathilde et Julien: Aucune d’entre elle ne peut se faire dans la demi-mesure ! Ces activités nécessitent toutes un engagement total associé à un niveau de connaissance élevé. Ce qui est incroyable c’est de voir le corps s’adapter et progresser dans la nature afin d’atteindre des sommets jusque là inespérés. C’est un dépassement de soi au quotidien qui apporte une grande liberté.

Quelle est l’activité qui vous fait le plus vibrer et pourquoi ?

Mathilde: Ce qui me fait clairement vibrer aujourd’hui, c’est de pouvoir utiliser toute l’expérience accumulée en escalade dans des environnements nouveaux et de l’étendre à des activités complémentaires.
Par exemple, grimper en grande voie avec un gros vide sous les pieds, au dessus des nuages, en haute altitude au milieu d’une mer de glace, dans des lieux tous aussi purs les uns que les autres, ça me transcende complètement. C’est à chaque fois un nouveau voyage.

Julien: Difficile de répondre à cette question car ces activités sont nombreuses. Je pourrais résumer en disant que tout support naturel qui me permet de créer du mouvement m’intéresse. J’ai autant de plaisir à grimper sur de la glace suspendue dans des lieux incroyablement beaux que de traverser les cieux avec mon parapente et découvrir la terre depuis les airs. Sentir mon corps fonctionner parfaitement au rythme des éléments que je parcours me fascine au plus haut point. Je crois que le maître mot pour moi serait « exploration ». Il s’applique autant à la nature sauvage qu’au fonctionnement du corps/esprit au contact de cette nature.

On parle beaucoup d’entraînement de haut niveau pour les compétiteurs mais moins pour les « sportifs de l’outdoor ». L’entraînement fait-il parti de votre quotidien ? Comment s’entraîne-t-on pour autant d’activités ?

Julien: Bien sûr l’entraînement fait parti de notre quotidien. Tout comme pour la compétition, on se fixe des objectifs et on se donne les moyens de les atteindre via une préparation physique spécifique. L’énorme différence provient du fait que nous créons notre propre cadre ce qui permet d’aboutir à des projets qui nous ressemblent. Le raisonnement ne se porte plus seulement sur la notion de réussite ou d’échec mais bien plus sur le plaisir de découvrir et simplement de vivre chaque instant comme un cadeau qui nous est offert. Nous souhaitons bien évidemment arriver à nos fins, chaque petite sortie est un prétexte pour affiner notre préparation. Nous varions les activités pour garder des sensations dans chaque domaine mais nous essayons de ne rien faire sous la contrainte. La notion d’entrainement se transforme en style de vie où la liberté prédomine puisque nous connaissons suffisamment nos corps pour le préparer comme il se doit.

Quels sont vos futurs projets ensemble ?

Mathilde et Julien: Avec un tel choix d’activités et de combinaisons possibles, ce ne sont pas les idées qui manquent !
Notre prochain gros projet sera la traversée des Alpes françaises en mix parapente/escalade cet été. Le but sera d’écumer les grandes voies mythiques de rocher et/ou de montagne sur notre chemin en utilisant comme seul moyen de locomotion le parapente et la marche. D’ici là, on profite de mini projets grimpe/vol/montagne à droite à gauche qui nous servent de préparation pour cet été.

Si vous avez un dernier mot à ajouter ?

Un grand merci à Florent Pédrini de Vertical Flow qui nous a accompagnés en cascade de glace et à qui nous devons de magnifiques clichés ! L’hostilité du milieu (froid-humidité-verticalité) complexifie toujours la tâche du photographe, cela ne s’improvise pas ! Chapeau bas à lui !

Publié le : 12 mars 2019 par Charles Loury

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