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Interview: Pierre Henry Paillasson répond à nos interrogations concernant les critères de sélection, l’équipe de France, les moyens, …

- Le 25 novembre 2018 -

Suite à notre dossier concernant les résultats de l’équipe de France à l’international cette année, nous sommes allés à la rencontre du DTN, Pierre Henry Paillasson, afin de discuter un peu des thèmes brûlants du moment: l’analyse des résultats de l’année, les critères de sélection, les moyens mis en place par la fédération, etc…  Voici ses réponses, avant d’aller prochainement à la rencontre d’un athlète de l’équipe de France.


Analyse de la saison de coupe du monde de l’équipe de France?

Cette année, nous prenons 2 titres au classement général de la coupe du monde de vitesse avec Anouck Jaubert et Bassa Mawem. Romain Desgranges et Fanny Gibert sont respectivement 3ème du classement général de la coupe du monde de difficulté et de bloc.

Ces résultats sont très bons, mais la densité des grimpeurs français au plus haut niveau mondial se doit d’être plus importante. Avec le staff des équipes de France, nous y travaillons ; en particulier avec les jeunes qui arrivent et qui sont prometteurs. Ce travail va finir par payer. Nous animons également un réseau de clubs « performance » pour contribuer à une meilleure formation de nos jeunes grimpeurs.

Au-delà de cette question de densité, il est incontestable aujourd’hui que nous avons des leaders au meilleur niveau mondial.

Cette année, nos meilleurs athlètes gagnent sur le circuit international. Evidemment, cela ne marche pas à chaque fois car le niveau a énormément augmenté.

Le phénomène olympique entraîne avec lui une accélération mondiale du développement de l’escalade. De nombreux pays mettent aujourd’hui d’énormes moyens dans l’escalade de haute performance : nous sommes devenus un sport olympique !

Analyse des championnats du monde?

Sur ces championnats du monde, compte-tenu des résultats de l’année, nous pouvions prétendre à des victoires avec Romain Desgranges, Anouck Jaubert et Bassa Mawem, et nous avions également le potentiel de faire des finales voire des podiums avec Fanny Gibert ou encore Manon Hily. Nous faisons le constat que les résultats n’ont pas été à la hauteur de nos espérances.

Cette année, Anouck s’entraînait dans d’autres disciplines en vue du combiné, ce qui compliquait les choses pour elle. A Innsbruck, le déroulement de la compétition du combiné ne jouait pas en sa faveur. Quoi qu’il en soit, elle a pris énormément d’expérience dans l’objectif des Jeux Olympiques. Sa constance sur le circuit de coupe du monde nous prouve néanmoins que ses choix ont été les bons. Ce qui est arrivé à Innsbruck est loin d’être révélateur du niveau global d’Anouck cette saison.

A Innsbruck, nous avions une équipe prometteuse mais nous terminons « juste » avec un titre de vice-champion du monde (Bassa Mawem en vitesse), donc oui, nous sommes un peu passés à côté de cette échéance. Cela arrive, c’est la dure loi de la haute performance. Nous sommes en train de faire le bilan de ces championnats du monde, nous devons nous poser les bonnes questions et y répondre sans détour pour l’avenir.

Emmener plus de grimpeurs à l’international pour monter le niveau ?

Ça se discute. Nous estimons néanmoins qu’après de nombreuses années d’observation du plus haut niveau, que ce n’est pas en emmenant des grimpeurs trop « justes » pour se confronter aux meilleurs mondiaux qu’ils vont progresser automatiquement.

Il est important que les grimpeurs puissent s’engager sur quelques étapes. Mais si leur niveau est toujours insuffisant pour rentrer dans une finale, nous estimons qu’ils doivent d’abord parfaire leur entrainement afin de revenir plus fort.

L’entraîneur doit jouer tout son rôle pour accompagner nos athlètes dans ces moments, qui ne doivent pas être vécus comme des échecs mais comme des expériences utiles au progrès.

Avec des sélections en EDF régulièrement remises en causes, la pression sur les épaules des grimpeurs n’est-elle pas néfaste à la performance ?

Cela fait partie des discussions que nous avons actuellement. Car contrairement à ce que l’on lit ou entend parfois, nous écoutons les athlètes. Après, c’est vrai que pour les leaders comme Romain Desgranges, nous aurions pu les sélectionner d’office, mais ce n’est pas le choix qui a été fait la saison dernière.

Le système de sélection est relativement ouvert. Avec trois étapes de coupe du monde pour prendre sa sélection, l’équipe de France est un groupe ouvert. Il est possible de l’intégrer en court de saison, mais il est aussi possible d’en sortir. Si on prend un système où on sélectionne les grimpeurs pour toute la saison dès le début, cela ferme l’entrée en EDF pour des athlètes qui émergeraient pendant l’année. Nous avons néanmoins entendu les athlètes et nous réfléchissons actuellement à un système entre les deux.

Le sport de haut niveau est par définition élitiste : si un grimpeur n’a pas réussi une étape de sélection, au-delà de la déception, il doit réfléchir à la manière d’être meilleur sur la prochaine échéance et encore une fois, le seul chemin efficace est celui de l’entrainement.

Avec ces critères on peut se retrouver sans grimpeur sur certaines échéances internationales…?

Oui, il y a eu des étapes où cela fut le cas. Il y a 2 ans, on est allé jusqu’au bout de la logique, les athlètes du bloc n’étaient pas assez performants, et ils ont profité de ces 2 mois de break l’été pour s’entraîner et se mettre à la page pour les championnats du monde à Paris plutôt que d’aller sur des étapes de coupe du monde. Si l’on regarde ensuite les résultats du championnat du monde de bloc 2016, ce choix a été plutôt efficace.

Si un athlète n’a pas le niveau, la seule solution pour lui, c’est de repartir à l’entraînement. Cela avait plutôt bien marché pour Paris 2016, mais c’est vrai que ça ne marche pas à tous les coups. Le haut niveau n’est pas une science exacte.

Il ne faut pas oublier que les sélections sont aussi mises en place pour emmener les grimpeurs capables d’être performants, la réussite d’une sélection assure un niveau minimum, ce que nous appelons les minimas en vitesse. Si les grimpeurs ne passent pas cette première étape de sélection, ils ont très peu de chance d’atteindre une finale internationale.

La prépa mentale en France ?

Nous travaillons déjà avec des préparateurs mentaux depuis longtemps. Des équipes et des athlètes sont suivis par des spécialistes de ces questions et cela en a aidé certains. Nous travaillons actuellement sur la vision globale de la performance, pour le grimpeur mais aussi pour son entourage. Chez les jeunes, notamment, où l’impératif de résultat est beaucoup trop central, cela devient contre-productif. Il est important de remettre l’escalade et le plaisir de grimper au centre des préoccupations. Si l’athlète est concentré sur la qualité de son escalade, les résultats suivront d’eux même.

Les athlètes qui s’engagent dans un programme olympique ne sont-ils pas avantagés par rapport aux spécialistes ?

L’escalade sera un sport olympique à Tokyo. On espère qu’il le sera à Paris. Donc oui, l’olympisme est une des priorités de la fédération. Une médaille olympique française serait un atout pour le développement de notre sport en France. C’est indéniable.

Le système de sélection pour participer aux JO de Tokyo nous met face à un dilemme. L’épreuve olympique est un combiné. Le mode de sélection mis en place par l’IFSC passe par une participation au circuit international dans les trois disciplines. Les quotas de participation étant les même qu’auparavant, les spécialistes des disciplines et les grimpeurs sélectionnés pour la préparation olympique vont devoir se partager ces quotas. Nous allons être contraints de faire des choix. Et ce n’est pas de gaieté de cœur que nous les ferons, soyez-en sûr. Mais en toute logique, la priorité pour cette année 2019 est bien entendue la sélection à Tokyo.

Il y a deux façons de se sélectionner pour les JO de Tokyo : les championnats du monde 2019 et le classement mondial permanent à l’issue de la saison 2019 pour participer au tournoi de qualification olympique en novembre 2019. Les grimpeurs du groupe olympique vont devoir aller faire des points sur les CDM dans chaque discipline, donc il va y avoir un dilemme pour les sélections.

Nous sommes en train de travailler dessus pour voir comment organiser cela au mieux. On veut évidemment permettre aux spécialistes de continuer de grimper en coupe du monde. D’autant que l’IFSC a toujours pour ambition de voir aux JO de Paris en 2024 les trois disciplines récompensées par trois médailles olympiques.

Question du budget ?

C’est une question compliquée et elle le sera encore. Depuis que l’escalade est olympique, nous nous sommes projetés avec des augmentations de subventions comme cela se faisait jusque-là. Mais dans la conjoncture actuelle, les budgets ne sont pas aussi larges que nous l’espérions. Donc nous devons faire des choix. La France reste tout de même, dans le monde de l’escalade, un des pays qui met le plus de moyens financiers sur ses équipes de France. Nous ne devons donc pas chercher d’excuse par rapport à nos budgets, nous sommes condamnés à réussir.

J’ai confiance dans l’équipe des entraineurs de la DTN. Nous travaillons sans relâche, nos athlètes ont des qualités exceptionnelles et le niveau monte d’année en année. Quoi qu’il arrive, nous garderons le cap sur les médailles olympiques de 2020 et 2024.

Publié le : 25 novembre 2018 par Charles Loury

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