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Des voies de finale old-school à Briançon qui font couler beaucoup d’encre.

23h30 samedi soir. Alors que les finales de la Coupe du Monde de Briançon viennent de se terminer, mon téléphone vibre. Nouveau message reçu : « Poulala, qu’est-ce que ces finales étaient nulles ce soir… Jamais vu des voies aussi ennuyeuses à regarder ! Je suis bien content d’aller me coucher ».

08h30 dimanche matin. Sur la route du retour de Briançon, je m’arrête boire un café dans un petit bistrot en centre-ville. A la table d’à côté, deux personnes discutent. « Enfin une vraie compétition de difficulté, je commençais à en avoir marre de ne voir que des mouvements de bloc sur des Coupes du Monde de difficulté. »

Les discours ne sont pas les mêmes, les avis différents. Le style des voies de la Coupe du Monde de Briançon fait couler beaucoup d’encre depuis ce week-end. Alors j’aime, j’aime pas ?

Il faut dire que le chef ouvreur de cette compétition a fait le choix de créer des voies dans un style très old-school. Pour cause, il s’agissait de l’italien Alberto Gnerro. Agé de 49 ans, il est l’un des meilleurs grimpeurs transalpins, passant le plus clair de son temps en falaise, comptant plusieurs 9a à son actif. Alors, pas de volumes dans tous les sens, pas de cratères à bi-texture, mais des prises inédites, méconnues de la plupart des grimpeurs en finale de la Coupe du Monde de Briançon.

Il faut dire que ça fait du bien de voir une étape mondiale avec de nouvelles prises autres que les Cheeta les plus fluorescentes ou les dernières Flathold.

Janja Garnbret, au beau milieu d’un océan de prises Cheeta en finale à Chamonix cette année

Et que dire du style des voies. Il est clair que les tracés proposés des qualifications jusqu’aux finales étaient des pures voies de résistance et de force, comme on en voyait il y a quelques années. D’ailleurs, pour preuve, Ramon Julian, qui depuis un moment enchaîne les contre-performances, nous prouve que dans le style proposé ce week-end, il répond toujours présent. Vendredi soir, l’espagnol de 36 ans prenait la 11ème place, à deux prises de rentrer en finale.

Un style sur petites prises qui convient très bien au très fort falaisiste qu’est Alex Megos. Du dévers, de petites prises, peu de repos et des mouvements très intenses physiquement. Tous les ingrédients que l’on retrouve dans son dernier 9b+ enchaîné en Espagne, « Perfecto Mundo ». Et dans ce style, l’allemand nous a prouvé qu’il était l’un des meilleurs du monde, le meilleur samedi soir !
Lors de sa première (ré)apparition en Coupe du Monde la saison dernière, il prenait la première place des demi-finales haut la main, mettant presque une dizaine de prises dans la vue aux autres compétiteurs. Mais en finale, il chutait bêtement dans un mouvement aléatoire en début de voie. Alex nous disait alors être frustré de tomber ainsi, ayant l’impression de ne pas s’être battu.

A Briançon samedi soir, il en était tout autre. L’allemand atteignait le sommet de la voie et tombait pour aller chercher la dernière prise, les bras gonflés d’acide lactique : « j’étais complètement pété en fin de voie ! A un tel point, qu’en jetant sur le bac final, ça m’a semblé être une réglette. Je suis heureux d’avoir pu me battre comme ça et de remporter ma première médaille d’or ».

La lolotte, un mouvement devenu rare en compétition d’escalade, parfaitement réalisée par Alex Megos

N’est-ce pas cela que les grimpeurs de difficulté viennent chercher sur les compétitions ? La possibilité de se battre physiquement contre la voie et repousser l’apparition de l’acide lactique le plus longtemps possible.

On notera également que dans ce style, les japonais sont un peu plus en retrait. Du moins pour le moment. Sur les huit finalistes masculins, seul Hiroto Shimizu représentait son pays, tandis que chez les femmes, aucune japonaise n’était présente en finale.

Autre point et non des moindres, aucun compétiteur ne s’est fait arrêter à cause du temps en finale. Et aucun grimpeur n’était proche de l’être. Car croyez-moi sur parole, il n’y a pas plus frustrant pour les grimpeurs que de se faire arrêter à cause du temps dépassé en finale d’une Coupe du Monde, alors que l’on a encore les ressources nécessaires pour monter au sommet.

Il faut dire que les voies de finale ne comportaient pas de gros repos où les athlètes pouvaient souffler pleinement. Le seul moment où Jakob Schubert s’arrêtera quelques secondes, c’est dans la dernière partie du dévers, essayant de délayer tant bien que mal tandis que son autre bras bloquait à 90°. Autant vous dire que l’on ne perd pas trop de temps à s’arrêter dans de telles situations.

Au lieu de cela, les grimpeurs avançaient et les finales étaient rythmées.

Alors certes, il n’y avait pas de jeté impressionnant, pas de mouvement la tête en bas et encore moins de mouvement de type « parkour » comme on en voit de plus en plus. Ces finales de difficulté étaient bien des finales de difficulté, et non pas une succession de passages de bloc comme on en voit de plus en plus.

San McColl en finale de la Coupe du Monde de Villars en 2016, dans un style qui lui correspond bien

Certains trouvent cela ennuyeux. Surtout les jeunes, de plus en plus habitués à voir des mouvements spectaculaires. Mais il faut dire que le style évolue. Il y a peu, Reinhard Fichtinger, l’un des ouvreurs de l’IFSC les plus expérimentés dans le milieu déclarait à propos des compétitions :

« Il est indéniable que les exigences en terme de coordination ont augmenté, alors qu’en termes de force des doigts, non. Les compétitions ont évolué. Personne ne regarderait une compétition si elle était la même qu’il y a dix ans, avec comme seule différence la taille des prises qui seraient plus petites. Il y a deux manières dont notre sport peut se développer en compétition : ou les choses deviennent plus difficiles parce que les prises deviennent plus petites, ou les choses deviennent plus difficiles parce que les mouvements deviennent plus complexes.

En falaise, les voies dures d’aujourd’hui sont très similaires à celles d’il y a 20 ans, les prises sont justes plus petites et plus éloignées, mais vous ne voyez pas vraiment de « nouveaux » mouvements sur le rocher. En compétition, ça ne fonctionnerait pas, car ce serait ennuyeux et l’entraînement serait uniquement axé sur la force.

Si on regarde l’évolution au cours des 10 dernières années, les nouveaux mouvements sont un des aspects intéressants de notre discipline. Une Coupe du Monde en 2018 est complètement différente d’une Coupe du Monde en 2008. Personnellement, j’attends avec impatience les mouvements qui seront ouverts dans 10 ans, et j’espère qu’ils seront différents de ce que nous voyons aujourd’hui. »

Certains ont trouvé ces finales complètement ennuyeuses. D’autres ont au contraire adoré retrouver ce style d’escalade en finale.

Et vous, comment avez-vous vécu ces finales ?

Publié le : 23 juillet 2018 par Nicolas Mattuzzi

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