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L’entraînement à l’Allemande, un modèle à suivre?

Quelques vidéos qui changent des habituels concours de tractions à 1 doigt. Un nom aussi, Neumann. Udo Neumann. Par exemple. Voilà donc un sujet qui questionne la Team PG : « s’entraîner à l’allemande », ça fait quoi ? Qu’est-ce que ça apporte ? Certaines équipes françaises s’en inspirent largement, et d’autres en sont bien loin.

Alors, si d’ordinaire c’est avec plaisir que je glisse une bonne dose de subjectivité dans les articles, pour une fois qu’on me donne l’occasion de dire vraiment ce que je pense, j’ai peur de fuir dans le côté « objectif » de la force. J’ai beau relire la liste des thématiques, on me demande bien mon avis…

2 options donc :

1 Aller au plus facile, au plus évident, en vulgarisant, avec efficacité.

2 Creuser un peu plus le sujet, au risque d’être incompris et donc un peu « brouillon ».

Je choisis l’option 2, en sachant pertinemment qu’il faudrait être un enfant pour répondre pleinement à la question.

1 Un joli paradoxe

Allez donc demander à un français ce que les mots « entraînement à l’allemande » lui inspirent ! Inutile de vous avouer que je n’ai pas pris le temps de faire un micro-trottoir. Pourtant, je suis presque certain qu’on y retrouverait des qualificatifs du genre « rigueur » ou « discipline ». Vive les clichés.

Alors, l’entraînement à l’allemande, en escalade, c’est quoi ? Tout le contraire. Du fun, des jeux, des défis, des exercices variés, de la bonne humeur, des sourires. Et attention, il ne s’agit pas de récréations, mais bien d’entraînement. Le jeu est-il contraire à la rigueur ? Laissons les intellectuels répondre à ce genre de question. J’ai quand même la sensation qu’il existe un paradoxe évident entre ce qu’on imagine et ce qui se passe réellement chez nos amis allemands.

2 Faut-il varier les entraînements ?

Oui. Oui, et oui. C’est en tout cas ce qu’on entend, et « ça fait bien » et moderne de fonctionner de cette manière. Richesse gestuelle, amplitudes de travail, adaptabilité, plaisir, on trouve des tonnes de raisons positives, des tas d’études qui prouvent par a+b qu’il faut varier les entraînements. Par exemple, la diversité permet de faire travailler d’autres muscles, d’explorer de nouvelles sensations, de surprendre notre cerveau, encore et encore.

Chez les enfant et adolescents :

Plus que la diversité dans la discipline sportive, c’est surtout la variété des sports pratiqués qui va devenir intéressante, pour développer des qualités bien plus importantes que la force : souplesse, vitesse, coordination, amplitudes, mais aussi automatismes sur la prévention et la récupération. La force viendra naturellement, avec la pratique, et à l’âge de 15 ou 16 ans on pourra alors se poser quelques questions de ce côté-là !

Les allemands proposent des activités telles que le parkour ? C’est génial ! Et pourquoi rester dans de l’individuel ? Les entraîneurs ont souvent des idées exceptionnelles, il faut les explorer sans honte, aller par exemple vers du collectif, et pas seulement proposer des défis par équipe. Du basket-grimpe, c’est possible ? Bien sûr. Travail des champs attentionnels, intégration d’un objet totalement extérieur avec une vitesse et une trajectoire, pourquoi pas, et seule l’imagination est une limite. Tant que la sécurité est là bien sûr !

Chez les jeunes, les objectifs sont aussi moins évidents. Ils grimpent parce qu’ils aiment grimper, et puis c’est tout. Un adulte peut quant à lui débrancher temporairement son cerveau pour se dire que s’il répète 25 fois le même geste, c’est parce qu’il sait où il va, et qu’il donne du sens à cela (il participe généralement à la fixation de ses objectifs)

Nos enfants ont besoin de s’éclater, et on ne s’éclate pas en faisant toujours la même chose.

Chez les adultes :

On définit souvent l’entraînement comme étant l’ensemble des méthodes et exercices physiques visant l’entretien ou l’amélioration des qualités sportives.

Matveiev entend par entraînement sportif tout ce qui comprend la préparation physiquetechnico-tactiqueintellectuelle et morale de l’athlète.

En fait, il existe de nombreuses définitions, et chacune mérite de s’y attarder un peu plus longuement. J’ai certainement un côté « mauvais élève » qui me fait dire que l’entraînement ne devrait se limiter qu’à la pratique, ou à des exercices fortement inspirés de la pratique. En clair, pour moi, la préparation physique (par exemple) n’est pas de l’entraînement. C’est une préparation à l’entraînement ou à la compétition. Pourquoi ? Tant que je verrai des raccourcis du genre entraînement en escalade = tractions ou planches, et que de nombreux grimpeurs diront s’entraîner de cette manière sans penser une seule seconde à la grimpe proprement dite, je ne changerai pas d’avis.

Et c’est là que tout se complique. Chez les adultes, on entend dire que pour progresser il faut varier les entraînements. Alors, que font quelques grimpeurs ? Ils varient les exercices…de musculation, sans se préoccuper vraiment de l’escalade ! Si je défends cette idée chez les enfants et adolescent (attention, qui dit exercice de musculation ne dit pas forcément se mettre dans le rouge !), je suis absolument contre chez les adultes. Varier les exercices de poutre ou de Güllich, de la manière dont ils sont souvent faits (c’est-à-dire à muerte), ça ne sert absolument pas la grimpe, au contraire ! En plus nous avons la chance de pratiquer une activité à la gestuelle riche. Encore une fois, c’est votre imagination qui vous bloquera. S’entraîner ne signifie pas faire des voies ou blocs différents, il faut aller au-delà, proposer des exercices, des thématiques, des variables et variantes.

Donc diversifiez l’entraînement par les jeux, les défis, mais sachez rester enfant avant tout (ce qui n’empêche donc pas de penser au physique après !). Dans certaines disciplines, on pourrait envisager de varier les exercices de musculation dans un but de renforcement musculaire (muscles antagonistes notamment), mais profitez de votre discipline, vous avez tout sous la main pour le faire en grimpant. J’insiste aussi sur ce point : bien fort est celui qui prétend maîtriser les effets d’exercices de musculation trop variés. Faisons simple en préparation physique, tirons les enseignements des cycles, et creusons-nous les méninges en grimpe (= amusons-nous) ! Cela suppose aussi d’accepter le fait de faire peu de physique, pour laisser une large place à l’escalade et au reste (mental, souplesse, récupération, prévention…).

https://www.youtube.com/watch?v=72gfOjy1hvM

3 Que faire maintenant ?

Ne faisons pas d’une règle une généralité. Et surtout, varier et s’amuser ne signifie pas faire n’importe quoi n’importe quand. On s’entraîne quand même pour grimper !

Je crois vraiment que ce genre d’entraînement à l’allemande est essentiel chez les enfants, surtout qu’il ne faut pas forcément chercher à calculer absolument les effets d’une séance. Si, et je le constate chaque jour, il existe des statistiques fiables chez les adultes (par exemple les effets retardés d’un cycle précis), ce n’est pas forcément le cas chez les plus jeunes : ils changent, ils grandissent, ils se posent parfois de sacrées questions…Alors la performance ne viendra jamais du physique. S’ils s’amusent, s’ils pratiquent l’escalade dans sa diversité, si on leur propose d’autres sports encore, du collectif ou de l’individuel, alors ils réussiront (même plusieurs années après, ou de manière durable). D’ailleurs, en préparation mentale, on retrouve parfois des jeunes seniors autrefois performants chez les jeunes et qui échouent dans le monde des adultes. Parce que les adultes sont moins marrants (si si c’est une raison !). Parce qu’ils sont parfois froids et qu’ils font bien comprendre que « l’entraînement, c’est du sérieux, et c’est ça ou comme ça, et qu’il faut bien les croire pour réussir ». C’est la cour des grands !

Je crois pourtant que ce genre d’entraînement est miraculeux chez les adultes, à condition d’accepter une forme de lâcher-prise, un prolongement de l’enfance (on le cherche bien dans les crèmes antirides non ?), de jouer et de sortir des comparaisons. Car le jeu met souvent en valeur de jolis points faibles qu’il faut savoir admettre pour progresser (équilibre, souplesse, vitesse, motricité, adresse…).

Dans tous les cas se pose la question de la place du jeu et du « fun » dans l’entraînement. Tout le temps ? De temps en temps ? C’est quand de temps en temps ? Je serais tenté de dire à chaque entraînement, mais pas pendant toute la durée de l’entraînement.

Selon moi, chaque entraînement devrait ressembler au « modèle allemand » (bon ils n’ont pas non plus déposé un brevet !), y compris chez les adultes. Ce n’est d’ailleurs pas à la portée de tous les entraîneurs. Ces entraîneurs-là, les Udo Neumann par exemple, sont rares et précieux. Ils font rêver, ils inspirent. Mais n’oublions surtout pas que le chemin de la réussite n’est pas tout tracé, qu’il ne faut pas imiter un modèle, une femme ou un homme. Et c’est ça la magie de l’entraînement, lorsqu’on arrive à travailler avec le kiné qui va bien, le prep mental qui correspond, le prep physique pas trop pire, un entraîneur qui porte et pousse, entre autres.

Moi, Thomas, je n’ai jamais su soulever les foules, et je suis discret. Poli, souriant, mais discret. Trop pour être un grand entraîneur, probablement. J’ai rencontré quelques « Udo » dans ma vie, travaillé avec certains d’entre eux même. Une chose est certaine, je ne pourrai jamais animer une séance comme eux. Pourtant, bien loin de moi l’idée de vouloir leur ressembler. Car j’ai trop de plaisir à les regarder faire.

Faut-il s’entraîner comme les allemands ? Oui. Non. A votre image. C’est tout.

 

Thomas Ferry – Préparateur physique en escalade

 

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