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Compétition de difficulté : est-il utile de travailler la force ?

Nouvelle thématique proposée par la team PG ! Si spontanément chacun a envie de répondre par oui, ou non, il peut être intéressant de méditer un peu sur le sujet.

Tout d’abord, que faut-il comprendre par « force » ? Par « travailler » ? Si entretenir n’est pas développer, est-ce travailler ? La compétition de difficulté évolue-t-elle ?

Soyons joueur, commençons par répondre directement à la question, dès l’introduction : OUI ! Plus exactement, je pense que oui.

1 La force

En réalité, dire qu’on travaille la force ne signifie pas grand-chose. A quelle intensité, quel volume, quels repos entre les répétitions et les séries ? … A quelle vitesse aussi ? Tentons d’y voir un peu plus clair.

On voit parfois des grimpeurs enchaîner des séries de tractions, 10, 20, 30, jusqu’à ne plus pouvoir. Au contraire, d’autres se contentent de tout donner sur une répétition à un bras. Qui travaille vraiment sa force ? Les deux. Pour des résultats différents.

La notion de force maximale : comme son nom l’indique, c’est l’effort que vous pouvez fournir sur une répétition au maximum (exemple, une traction à un bras, ou une partie de traction). Certains préparateurs physiques se sont amusés à établir quelques liens entre le nombre de répétitions maximales (RM) et le % de force maximale.

Si vous êtes capables de faire 3 tractions, et pas une de plus, peut-être serez-vous à 90% de votre force maximale. On comprend que si on enchaîne 30 répétitions, on est loin de 100% !

Les conséquences : les habitués de la musculation sauront vous en parler pendant des heures, le % de la force maximale, le nombre de séries et de répétitions, la durée des repos, tout cela a une influence directe sur votre muscle…et pas seulement ! Notamment :

Les aspects nerveux : à l’image de « ficelles » de marionnettes qui permettraient à votre cerveau de contracter un muscle, les « nerfs » sont essentiels pour produire des efforts maximaux, très intenses, tout proches de votre force maximale. Les gains de force seraient donc avant tout nerveux ? Oui. D’ailleurs, au début, vous allez apprendre à recruter toutes les fibres musculaires un peu fainéantes. Quand vous arrivez péniblement à tracter à un bras, vous agissez nerveusement, avant tout, car vous êtes proche de votre force maximale.

Les aspects structuraux : je ne donnerai qu’un exemple, très classique, le fameux 10×10. 10 répétitions maximales (RM) x 10 (à 10 RM, on n’est donc plus à 100% de sa force maximale si vous avez bien suivi !). C’est une vieille méthode qui permettait « autrefois » de…gagner en volume musculaire. Autrement dit, ce n’est pas avec cette méthode qu’on arrive un jour à tracter à un bras (ou alors il faut du temps !). Mais on prend du volume, et donc du poids (ce qui peut être recherché dans certaines disciplines). Dans ce cas, on observe des changements au niveau de la structure du muscle, vos fibres vont « grossir ».

Question : à quoi ça sert de faire 30 tractions consécutives alors ?

Personnellement, je pense que pour l’escalade ça ne sert à rien. Sauf si…vous jouez sur un paramètre essentiel : la vitesse de contraction (tracter le plus vite possible). On peut alors améliorer son explosivité. Mais autant le faire sur un nombre plus réduit de tractions non ?

La récupération : plus vous êtes proche de votre force maximale (1 à 3 RM), plus vous travaillez les facteurs nerveux. Et il faut un certain de temps de récupération pour que ce soit efficace, par exemple 3 à 7 minutes de repos entre les répétitions. Oui, c’est bien ça. Une traction à un bras, 3 minutes, puis une autre. Autrement dit, on a souvent la sensation de ne rien faire…au début ! Si vous réduisez ce temps de repos, vous ne travaillez plus de manière qualitative…dommage…

Ramon julian traccion 1 brazo

Données pratiques :

Pour que ce soit plus simple, sur barre ou poutre, on peut donc considérer que travailler à force maximale peut se faire de cette manière :

Tractions à un bras : 1 à 3 RM (vous pouvez forcer davantage sur un bras et prendre une aide avec l’autre)

Suspensions : tenue de prise entre 3 et 8 secondes maximum = 1 RM (c’est-à-dire que vous ne pouvez pas tenir plus !).

Possibilités de travail : 3 répétitions par série, 1 à 3 séries. Repos entre les répétitions = 3min, repos entre les séries = 10 minutes.

2 Les compétitions de difficulté :

Auparavant, on voyait des voies avec des repos cachés. C’était amusant, pour un spectateur, de voir un compétiteur coincer les genoux et se pendre la tête en bas…pour récupérer. Seulement voilà, tout cela a disparu, et heureusement.

Ensuite on a vu des voies très « rési », le meilleur étant celui qui arrivait à « cramer » le plus haut possible. C’est encore un peu comme ça aujourd’hui, et c’est normal ! On ne peut pas devenir champion du monde de difficulté sans « rési »…

En revanche, le niveau évolue. Les voies sont de plus en plus difficiles, en finale on retrouve des pas de blocs. Les ouvreurs abusent largement de pas aléatoires. En fait, l’escalade de difficulté devient (enfin ?!) une discipline où la tête et les avant-bras ne sont pas forcément les facteurs limitants. Les styles de grimpe sont variés (dynamisme / statisme), les prises et les profils aussi.

Les champions de la rési se font un peu bousculer, et les entraînements devront forcément s’adapter. Les difficulteurs devront apprendre à se la « couler douce », à ne pas culpabiliser de prendre 7 minutes de repos entre deux répétitions, à jongler habilement avec les récupérations, en réinjectant par exemple dans les planifications de la proprioception, de l’équilibre, de la coordination, mais aussi des soins (kiné ou ostéo…). Il ne faudra plus seulement compter sur de la quantité. Pire que cela, c’est une supposition, mais on ne pourra plus se contenter d’entretenir des qualités musculaires. Il faudra aller plus loin : les développer, et les maîtriser. En faire moins (peut-être ?), mais bien.

Bien sûr que la « rési » restera primordiale. Bien sûr.

3 Travailler la force ?

J’admire ceux et celles qui sortent les voies proprement, sans forcer, en gérant leur effort. J’admire aussi ceux qui se battent, qui tentent. La meilleure technique, c’est réussir, n’est-ce pas ? Les erreurs coûtent de l’énergie, elles privent parfois d’une jolie performance. C’est vrai. Il est très français d’analyser, de chercher la perfection, la fluidité. J’entends encore les commentateurs à Rolland Garros « il aurait dû », ou « s’il avait fait ci ou ça, il aurait ». On s’en moque. C’est fait. On ne va pas refaire ce qui est fait (ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas travailler ces points à l’entraînement !). Je trouve ça beau de voir un sportif faire une erreur, tenir la planche dans une position improbable, et repartir. Je trouve ça beau quelqu’un qui zippe et qui bloque à un bras sur un plat fuyant. Ce que je déteste (et nous avons vu ça aux JO chez un français bien connu), c’est que le sportif arrête sa course parce qu’il n’est pas dans les 10 premiers après 30 minutes de course et qu’il considère que c’est perdu. C’est qu’un grimpeur se sente jugé sur un style de référence. Parce qu’inconsciemment, s’il sait qu’il a commis une erreur, il va tomber. On doit éviter ces erreurs, mais elles sont formatrices, y compris en compétition. La force ne compense pas, ne compense plus un manque de technique. Elle fait aujourd’hui partie intégrante de la technique. La technique n’est pas le style. Attention, je parle du haut niveau, car il serait ridicule de travailler la force chez les enfants et les débutants, sans le moindre bagage technique…

Avoir de la « rési », et zipper, c’est échouer. Avoir de la « rési », zipper, et tracter à un bras en ayant une vitesse de montée de force élevée sur la seule prise de main qui reste, c’est essentiel.

La force n’est pas l’avenir de la compétition de difficulté. Mais à mon avis, il devient indispensable de la travailler (facile d’écrire ça en tant que prep physique !). Le plus difficile, c’est…de savoir quoi faire, quand… et surtout d’accepter de ne pas en faire trop. Sur le marché, on commence à courir après des recettes miracles. A l’image du sommeil dans l’assimilation des connaissances, le travail de la force devra s’intégrer pleinement à la grimpe, en acceptant aussi les séances plus « lights », plus qualitatives.

A l’heure actuelle, certaines séances de musculation durent 15 minutes et sont redoutables.

A l’heure actuelle, on peut utiliser certaines méthodes en pleine période de compétitions.

A l’heure actuelle, on doit surtout arrêter de raisonner (en escalade) en volume de grimpe, absolument, tout le temps…

A l’heure actuelle, on peut aussi travailler la force en plein cycle de « rési ».

4 En résumé

J’estime qu’il devient indispensable (en senior) de travailler la force maximale. Cela nécessite un peu d’expérience car les effets se font sentir parfois plusieurs semaines après (notamment les suspensions maximales). Il faut aussi apprendre à manier les séances pour ne pas « endormir » le corps, à jouer sur des vitesses de contraction par exemple. C’est autour de la force maximale que j’ai écrit cet article, car je pense que tout le monde l’entend de cette manière. Personne ne m’a jamais dit « j’aimerais trop savoir faire 48 tractions ». Non. « Travailler la force » ne signifie pas « tout miser sur la force ». Que ce soit clair… !

Evidemment, cette thématique est largement abordée sur www.prepagrimpe.com (téléchargez le PAD, il est gratuit…) !

Thomas Ferry – Préparateur physique en escalade

 

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