Voilà plus d’un mois que Benoit PARENT, Sven MASQUELIN et Damien LARGERON ont quitté Lyon à dos de vélo pour réaliser leur projet: équiper une grande voie dans le massif de Bavella, en Corse, avec comme objectif un bilan carbone le plus faible possible.
Aux dernières nouvelles, nos compères attendaient une fenêtre météo favorable pour faire la traversée en voilier. De la plume de Damien, voici le récit de cette belle aventure au goût d’inachevé qui sonne comme un « au revoir et à bientôt »…
Deux semaines ont passé et les conditions météos sont toujours compliquées pour effectuer la traversée. Moi qui pensais qu’il fallait simplement sortir du port, hisser la grand-voile et partir, et bien non, c’est plus compliqué ! Durant ces 2 semaines, nous partageons notre temps entre navigation côtière, ce qui nous permet d’apprendre les rudiments de la voile, et escalade, dès que nous trouvons du rocher (dans les Calanques). Nous faisons des points météos très régulièrement pour suivre l’évolution des anticyclones en espérant trouver une petite fenêtre de 3 jours.
Suite à cette longue attente, dans l’incertitude totale, je commençais à penser qu’il ne serait plus possible de traverser et de réaliser notre projet, lorsque la bonne nouvelle tombe !!! Nous partirons en fin de journée des îles de Porquerolles, où nous patientions, direction Porto Vecchio. 19 heures, la nuit arrive, nous organisons les quarts de 2h chacun. Nous devons être très attentifs au vent, aux ferrys, aux cargos/pétroliers, aux filets de pêche et aux autres plaisanciers. Pas le droit de succomber au sommeil, sous peine de mettre le bateau et l’équipage en difficulté. Heureusement, nous sommes deux par quart, cela nous aide beaucoup. Une sensation incroyable m’envahit au fur et à mesure que la nuit tombe. Les étoiles sont de plus en plus présentes, la pollution lumineuse des grandes villes étant de moins en moins visible, nous commençons à rentrer dans un mélange de grande sérénité mais également d’angoisse.
La houle est présente avec des creux de près de 4 mètres, le reste de l’équipage allongé à bord dans leur bannette a du mal à trouver le sommeil. Nous sommes à fond dans l’ambiance de la navigation hauturière avec le baudrier enfilé et la longe accrochée à la ligne de survie. Une personne à la mer a peu de chance d’être retrouvée, il est donc impératif de faire preuve d’une grande vigilance. Pendant les 43h de navigation pour cette traversée à la voile, nous aurons un vent quasi constant. J’ai beaucoup de chance de vivre une telle expérience. Je me la répéterais cette phrase un nombre de fois incalculable durant cette traversée. Chanceux nous le sommes également car nous allons croiser la route d’une baleine et de quelques dauphins, la nature est magnifique et nous avons cette sensation d’être seuls au monde.
Le deuxième jour, nous arrivons à Porto Vecchio en fin d’après midi, je découvre cette île pour la première fois de ma vie, un vrai bonheur. Mais pas le temps de rêver, nous devons nous organiser rapidement car nous avons déjà perdu beaucoup de temps et nous sommes en retard par rapport au planning que nous nous étions fixés. Dans ce genre de projet, n’oublions pas que nous sommes tributaires de la nature et d’éléments que nous ne maîtrisons pas !! Le départ en direction de BAVELLA est fixé au lendemain après quelques courses de première nécessité. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres et 1600 mètres de dénivelé du Col de Bavella. Les premiers tours de roue sont agréables et je suis heureux de pédaler. Sur un bateau les jambes sont relativement peu sollicitées!!! Nous nous enfonçons peu à peu dans l’arrière pays Corse. Nous perdons de vue la baie et je suis émerveillé par le paysage que j’ai devant moi. Ça monte, c’est soutenu, le poids du matériel se fait ressentir mais la motivation est bien là . 1,2,3 et 4, je compte à chaque fois que j’appuie sur mes pédales. La nuit tombe et nous assistons à un coucher de soleil phénoménal, le premier d’une longue série. Il est temps de se poser, il est 21h, il fait nuit noir, nous avons fait les 3/4 du chemin et nous avons faim. Nous nous éloignons de la route pour trouver quelques m² de terrain plat et confortable. Après une bonne nuit, il est temps de repartir, il nous reste moins de 20km pour arriver enfin à notre objectif, Bavella !! Tous mes sens sont en alertes, les odeurs du maquis, les couleurs vertes et ocres sont omniprésentes et la vue est grandiose. L’excitation monte au fur et à mesure que nous nous rapprochons du col. Nous réalisons petit à petit le chemin parcouru depuis notre départ, uniquement grâce à la force du vent et à nos jambes. Un sentiment de liberté m’atteint !! J’aimerais tellement partager cette sensation avec la team du bateau. Je réalise peu à peu que cette aventure prévue à 3 deviendra finalement une aventure à 12 grâce aux gens magnifiques que nous avons rencontrés sur le bateau. Une pure improvisation qui devient un moment de partage extraordinaire car nous ne connaissions personne avant d’arriver sur le voilier « AVENTURE ».
Lorsque nous arrivons au col de BAVELLA, nous sommes accueillis par le vent, le froid, quelques nuages solidement agrippés aux falaises et des touristes particulièrement surpris de nous voir avec nos vélos chargés à fond. Il y a du rocher de partout, c’est impressionnant !! L’envie de grimper est là, nous sommes tout tremblant tel des drogués en manque. Nous mangeons un sandwich au fromage de brebis avec quelques tranches de lonzo, c’est bon et ça fait du bien. Il faut faire vite la nuit arrivera tôt et il est déjà 15h. Nous jetons notre dévolu sur ce petit spot de couenne juste au dessus du col. Nous découvrons un granite de qualité avec des voies jusque dans le 7. C’est beau, c’est physique, ça nous défoule et on se fait super plaisir après plusieurs jours sans grimpe. Il est temps de retourner à nos vélos, rejoindre nos quartiers pour la nuit et surtout regarder quelle grande voie nous allons grimper le lendemain.
Avant de venir en Corse, nous avions contacté les différents acteurs locaux actifs, ouvreurs et grands amoureux de leurs aiguilles, Carlos Ascensao , Jeff Andreucci , Thierry Souchard et Bertrand Maurin afin de leur parler de notre projet. C’était la première fois pour Sven, Ben et moi que nous mettions les pieds à Bavella, c’est également une première pour nous d’envisager l’ouverture d’une voie. Avec beaucoup de gentillesse et de connaissance, ils nous ont fortement conseillé avant toute chose de grimper diverses voies afin de se faire au style, aux cotations, à l’éthique et de bien appréhender les différents secteurs. Il n’était pas envisageable pour nous de venir à Bavella pour ouvrir une voie sans en informer ces 4 passionnés.
Nous choisissons « le Temps Peau Noir sur la Punta di l’Agellu », une voie ouverte par la famille Petit. Ce sera la première d’une longue série ouverte par Arnaud Petit. Au programme 130m en TD+ 6B+ de pure grimpe entre dalle, tafoni et points espacés, tout y est pour se faire plaisir. La grimpe y est superbe, le rocher d’une qualité incroyable et des relais 5 étoiles. Nous arrivons rapidement au sommet, une aubaine pour prendre le temps de regarder tout autour de nous et comprendre où sont situés les différents secteurs. Il est temps de redescendre et choisir notre prochaine voie. Il nous reste à peine 5 jours, nous voulons en profiter à fond. Malheureusement le retard pris pour la traversée en voilier va nous poursuivre tout au long de ce projet.
La seconde sera « Alexandra » (220m TD 6B) , première grande voie ouverte sur le contrefort de la Punta Rossa et réputée pour être magnifique. Le plan, grimper vite et faire un petit repérage de la marche d’approche menant à la voie que nous ferons le lendemain. Malgré un super topo hyper détaillé (Bavella Corsica Escalades Choisies, merci Thierry et Bertrand), les approches peuvent être parfois « pommatoires » !! Nous arrivons au pied de la voie, il est tôt et sans surprise nous savons qu’il va falloir utiliser nos pieds, notre équilibre et notre plus belle escalade. Cette voie est un mix de dalles magnifiques, de grimpe entre les points, de tafonis et de pas de bloc sur la dernière longueur. Encore un régal, c’est beau, ça fait parfois des petits « guilis » dans le ventre et l’escalade est géniale. On y prend vraiment beaucoup de plaisir et on y prend goût. Mais il faut redescendre pour faire la marche d’approche qui nous mènera à la prochaine voie. Ce sera l’occasion de laisser notre matériel au pied de la voie pour nous alléger au maximum car le lendemain il faudra affronter les 1h30 de marche d’approche. Comme souvent, nous nous perdons, la nuit tombe et nous errons dans le maquis. Avec un peu de persévérance, Ben réussira à trouver le bout du chemin et c’est avec le cœur léger, surtout avec les sacs à dos légers que nous redescendons à la nuit. Bien évidemment, lorsque la nuit tombe, que le maquis est épais et que vous n’avez pas fait attention à la montée, nous nous sommes perdus à nouveau !! Après 1 heure de bartas supplémentaire, nous arrivons enfin à trouver le chemin du retour. Nous rentrons tard mais heureux après une journée bien remplie.
Le troisième jour, une ligne magistrale nous attend et pas des moindres avec surtout un dièdre taillé au couteau. Le rocher y est magnifique, esthétique, avec des formes extraordinaires, on se croirait dans un autre pays. Au pied, cette voie est inquiétante voir intimidante !! Ne me sentant pas à la hauteur, j’abandonne Ben et Sven pour une journée de repos et les laisserai seuls dans cette entreprise de taille. Amis grimpeurs, si vous êtes à l’aise dans le 7ème degrés de type fissures et dièdres, je vous invite à aller traîner vos chaussons dans Les Fils de la Puta Rossa (230m ED 7B) sur la Punta Rossa. Ben et Sven y ont vécu une ouverture extraordinaire et sont revenus fous et excités par une grimpe variée, engagée et une ligne d’ampleur. Ils se sont battus et ont donné tout ce qu’ils avaient pour venir à bout de ce bijou. Mention spéciale à Marie-Line Madelaine, Florent Baghioni et Lionel Catsoyannis qui ont ouvert cette ligne en une journée !!
« Nous nous posons avec une bière à la main, nous remémorant cette journée inoubliable entre grimpe magique, amis et fou rire. »
Après une nuit de sommeil bien mérité, nous voilà en pleine forme pour nous attaquer au « Saint Graal de Bavella ». Elle est plus classique que les classiques, en a vu trembler plus d’un et usera plus la semelle de vos chaussons que toutes les voies que vous aurez jamais grimpées en intérieur. C’est un mythe et nous en rêvions. Pour cela nous décidons de nous lever tôt afin d’être les premiers dedans. Malheureusement, le changement d’heure aura raison de notre motivation et nous prendrons une heure de retard. Qu’à cela ne tienne, nous sommes plus excités que des puces et nous nous dépêchons d’engloutir notre petit déjeuner. Le départ est lancé, nous marchons à bonne allure, le chemin est très parcouru et les indications du topo sont très précises. Nous avons bientôt notre objectif en vue, je me dis que cette ligne est magnifique et que j’aurais aimé pouvoir l’ouvrir. La marche d’approche est agréable, la vue sur le paysage et les autres Punta est inoubliable, je suis dans un rêve éveillé. Nous arrivons enfin au pied du « Dos de l’Éléphant » (280m TD+ 6B+) !! J’en ai rêvé depuis longtemps , j’en avais beaucoup entendu parlé et pour l’occasion, Thierry (membre de l’équipage) et Oliver (le Capitaine du navire) nous ont rejoints. Ça fait plaisir de les voir et de partager cette journée avec eux. Nous découvrirons une voie hyper variée sur les 5 premières longueurs. Alternance de dalles, de tafonis, de dièdres et de fissures. Tout y est, c’est un enchantement pour les doigts de pieds. Vient ensuite les longueurs attendues. Le rocher se couche peu à peu et les mains disparaissent. Nous entrons dans le vif du sujet. Les dernières longueurs sont magiques, des dalles positives, techniques, tout en sensation avec des pieds à plats ou sur des creux légers et bosselettes à peine visibles. Un vrai régal, nous sommes heureux d’avoir de la marge, je n’ose imaginer les grimpeurs dans leur niveau max en tête. Nous bouclons la voie plus rapidement que prévu, nous sommes aux anges, les mollets fatigués et les doigts de pieds en feu. Elle mérite amplement son statut de classique, un vrai bijoux et certainement dans le top 3 de mes grandes voies favorites. Nous profitons de l’arrivée au sommet pour grignoter avant de tirer les rappels !! Nous nous posons avec une bière à la main, nous remémorant cette journée inoubliable entre grimpe magique, amis et fou rire.
Après toutes ces émotions, nous devons penser à la suite, je veux dire au retour. Nous avons pris 2 semaines de retard avec les mauvaises conditions météo nous empêchant de traverser, 2 jours de vélos pour arriver à Bavella et 4 jours de grimpe. La météo annonce l’arrivée d’un anticyclone dans 4 jours, cela veut dire une fenêtre météo pour la traversée retour. De plus nous commençons à entendre parler d’un nouveau confinement possible. Si nous ne profitons pas de ce créneau favorable pour retourner sur le continent, cela veut dire que notre retour pourrait-être retardé de une à 3 semaines, voire plus. Certaines personnes de l’équipage et nous même, devant être de retour avant mi-novembre, la décision est prise, il ne nous reste que 2 jours sur place. Soit nous grimpons, soit nous allons repérer de potentielles lignes à ouvrir. La décision est difficile à accepter car nous manquons de temps pour ouvrir. Ce n’est pas grave, nous vivons depuis le début une aventure incroyable, au-delà de tout ce dont nous rêvions et au-delà de la grimpe pure et dure. Après discussion, nous nous mettons d’accord pour revenir au printemps prochain pour réaliser notre objectif et ouvrir une nouvelle voie. Nous profiterons de la journée suivante, pluvieuse à souhait pour aller repérer un bout de rocher, une pointe magnifique. Nous nous enfonçons dans le maquis, toujours plus dense, on se prend pour des sangliers. L’expérience est géniale, l’excitation à son comble. Nous allons peut-être trouver notre prochain objectif. Après une bonne heure et demie de bartas, nous réalisons qu’il y a un chemin, un peu plus loin, qui vient d’être tracé. Y-a-t’il quelque chose d’ouvert ? Après une bonne journée à repérer, faire des photos, nous décidons de rentrer au camp pour se sécher les pieds et le pantalon, mais hyper satisfait de notre journée. Trouver une ligne, c’est comme aller aux champignons. C’est de l’expérience, une connaissance du territoire, un peu de chance et beaucoup de persévérance. Nous enverrons plus tard un message à Carlos et Jeff (ouvreurs) pour leur demander si ils ont entendu parlé de quelque chose de ce côté-ci du rocher.
Le lendemain matin nous nous levons tranquillement, faisons sécher nos affaires au soleil et plions lentement le camp, un peu nostalgiques du temps trop court que nous avons passé à Bavella.
Mais c’est le principe même de notre projet « zéro carbone » avec ses aléas. Les vélos sont chargés, nous reprenons la route, objectif une couenne à une dizaine de kilomètre de Bavella. Nous arrivons au parking en milieu d’après-midi, prenons le chemin et rapidement nous nous perdons. Ça sent le but à plein nez et sommes déçus. Nous nous rabattrons sur un petit spot 2km plus loin histoire de nous défouler. La nuit tombe, demain sera notre dernier jour sur l’île de beauté.
Le jour se lève, la motivation est là, le chemin de retour sera incroyable, avec une vue sur la mer tout le long de Solenzara à Porto Vecchio. Quelle joie de retrouver les copains à bord autour de quelques bières et autre joyeuses victuailles.
Voilà, le trip arrive à sa fin, de retour à la maison, confinés après une aventure incroyable qui aura duré 1 mois. Des images et de jolis moments plein la tête, nous avons fait de magnifiques rencontres. Nous n’avons pas pu ouvrir de voie, certes, mais ce que nous avons vécu est beaucoup plus intense. Les instants présents sont à vivre maintenant et le rocher, quant à lui, reste là où il est. Une bonne excuse pour revenir au plus vite pour terminer ce que nous avons commencé. Plus d’images de grimpe pour finaliser notre vidéo et surtout l’ouverture qui nous tient à cœur. Je ne regrette pas cette aventure gagnée à la force du vent et des cuisses, quelle fierté d’avancer au rythme d’escargot sans abîmer dame nature. Nous avons profité à 200 %, appris énormément sur la voile, la météo et le vent. Nous sommes prêts à repartir dans ces conditions « zéro dépense carbone » dans le respect de la nature. Cela ne conviendra probablement pas à tout le monde, mais je recommande fortement ce genre d’expérience !!
Quelques chiffres :
400 Km et 5000m de D+ à vélo
50 kg de matos chacun sur les vélos
200 km avec le mistral en pleine face à vélo
15km/h de moyenne sur les 400km
700 nm → 1295km
5 nœuds de vitesse moyenne et 9 nœuds la vitesse max
12 membres de l’équipage
49 pieds la longueur du bateau
1 mois la durée du trip