Une agression sexuelle présumée au sein de l’équipe de France d’escalade : ce que l’on sait

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Été 2024. Lors d’un déplacement officiel de l’équipe de France d’escalade sur une étape de Coupe du Monde, des faits d’agression sexuelle présumée auraient eu lieu entre deux athlètes. À ce moment-là, rien ne se dit. Comme souvent après ce type de faits, il faut du temps avant que des mots puissent être posés.
Ce n’est que plusieurs mois plus tard, au printemps 2025, que l’athlète présumée victime se confie à son entraîneur. Ce geste, à lui seul, marque un basculement. En mai 2025, le signalement est transmis à la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME). Commencent alors les procédures, les délais, les décisions, et parfois l’impression de ne pas être écouté.
Une procédure judiciaire est également ouverte en parallèle, d’ailleurs rappelons qu’à ce titre, la présomption d’innocence s’applique. Mais pendant que les cadres juridiques et disciplinaires se mettent en place, la réalité que vit la présumée victime ne se met pas en pause. Il faut continuer à s’entraîner, à composer avec l’incertitude, à ajuster son quotidien sportif et personnel pour ne pas croiser son agresseur, également en équipe de France. Dépression, mal être, prise de médicaments à forte dose pour rester debout, blessures : voici le nouveau quotidien de la plaignante. L’été passe. Une première décision disciplinaire est rendue fin août 2025, puis un appel est examiné à l’automne. La procédure fédérale s’achève finalement sans sanction.
Ce dossier ne raconte pas seulement une succession d’étapes administratives. Il interroge ce que vivent celles et ceux qui parlent, et la manière dont une institution accompagne — ou non — ses athlètes pendant le temps long des procédures.
Dans cet article, Planetgrimpe revient sur les faits connus et le déroulé des événements, à partir d’échanges avec la plaignante et le président de la FFME. Un dossier sensible, qui invite à comprendre ce qui se joue avant d’entrer dans le détail des textes, des règlements et de leurs limites.
Mai 2025 : un signalement qui déclenche une commission disciplinaire
Parler de violences sexuelles dans le sport n’est jamais anodin. Ces situations interrogent, notamment la capacité du cadre fédéral à protéger les athlètes et à garantir un environnement sûr.
C’est dans cette démarche que nous nous sommes entretenus avec Alain Carrière, président de la FFME. Dans un premier temps, il nous confirme que l’alerte remonte à la fin du mois de mai. L’athlète concernée se confie d’abord à son entraîneur, puis l’information est transmise au directeur technique national et à la présidence fédérale. Comme la loi l’impose, suite à ce signalement, la FFME alertera également le procureur de la république.
Avant toute saisine disciplinaire, Alain Carrière nous indique avoir sollicité le service juridique de la FFME ainsi que les services compétents du ministère, afin d’agir dans le cadre prévu par les textes. Suite à cela, la commission disciplinaire de première instance est finalement saisie le 18 juin.
Comment fonctionnent les commissions disciplinaires ?
Un rappel s’impose sur le fonctionnement de ces instances. Si les membres des commissions disciplinaires sont désignés par les instances dirigeantes de la fédération, leurs décisions, une fois les commissions constituées, échappent à toute intervention de l’exécutif. L’indépendance porte sur l’exercice de la fonction de juger, et non sur le mode de nomination.
Ce cadre est juridiquement conforme et largement répandu dans le monde sportif. Il peut toutefois nourrir des interrogations sur la perception d’indépendance réelle des décisions rendues : le fait que les membres des commissions soient désignés par les instances dirigeantes de la fédération — laquelle est également responsable de l’encadrement, de la protection et de l’organisation sportive — peut créer un sentiment de confusion des rôles et fragiliser la confiance accordée au processus disciplinaire, malgré les garanties formelles d’indépendance prévues par les textes.
Ce que prévoit le règlement disciplinaire de la FFME :
Conformément à son règlement disciplinaire, les membres des commissions disciplinaires de la FFME, qu’elles soient nationales ou régionales, sont désignés par les instances fédérales en raison de leurs compétences juridiques ou de leur expertise en matière d’éthique et de déontologie sportives. Leur mandat est aligné sur celui des instances dirigeantes de la fédération et expire lors de leur renouvellement. Ces membres ne peuvent appartenir aux instances dirigeantes de la FFME ou de ses organes déconcentrés, ni être liés à la fédération par un lien contractuel autre que celui résultant de la licence. Par ailleurs, toute personne présentant un intérêt direct ou indirect dans une affaire examinée est tenue de le déclarer et ne peut, dans ce cas, siéger au sein de l’organe disciplinaire concerné. La désignation et le renouvellement des membres relèvent du conseil d’administration de la FFME, dans le cadre des décisions prises conformément au règlement disciplinaire qu’il a approuvé.
Août 2025 : une première décision qui interroge
Le temps long des procédures disciplinaires est souvent difficile à appréhender, a fortiori lorsqu’un signalement porte sur des faits graves. Alain Carrière indique avoir été « surpris » par le délai entre la saisine de la commission, le 18 juin, et le rendu de la décision, le 29 août.
Il se dit également étonné par le contenu de cette première décision : en effet, la commission disciplinaire de première instance s’est déclarée incompétente, estimant que les faits relevaient de la « sphère privée ». Une appréciation d’autant plus surprenante que les faits signalés se seraient produits lors d’une nuit d’hôtel pendant une étape de Coupe du Monde, dans le cadre d’une convocation officielle en équipe de France, au sein d’un hébergement pris en charge par la FFME.

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À la lecture du rapport de la commission, il y a de quoi se questionner, notamment au regard du règlement disciplinaire fédéral. En effet, l’article 2 du règlement précise que les organes disciplinaires sont compétents pour examiner des faits de violences ou d’atteintes sexuelles et/ou psychologiques dès lors qu’ils s’inscrivent dans le cadre des activités fédérales, y compris lorsqu’ils ne se déroulent pas sur un lieu de pratique sportive. Le texte vise explicitement les situations survenues lors de déplacements officiels.
En d’autres termes, le règlement disciplinaire de la FFME ne limite pas la compétence des commissions aux seuls actes sportifs. Il inclut également les atteintes à la charte d’éthique et de déontologie ainsi que les violences sexuelles ou psychologiques commises dans le cadre des activités fédérales.
Il se trouve que ce passage précis du règlement — celui qui traite explicitement des violences sexuelles dans le cadre fédéral — n’a pas été pris en compte dans la motivation de la décision de première instance, ce qui a de quoi questionner…
Septembre 2025 : un appel et une procédure close
À l’issue de cette première décision, la plaignante demande au président de la FFME d’exercer un recours. Selon elle, Alain Carrière aurait d’abord exprimé des réserves, estimant les chances de succès limitées, avant d’engager finalement une procédure d’appel, peu avant l’expiration du délai légal de sept jours.
Pour la victime présumée, cette décision de la commission était impensable, et elle aurait aimé être davantage soutenue par la présidence de la FFME : « Pour réparer cette injustice, je me suis retrouvée à supplier un président de fédération », confie-t-elle.
La commission d’appel (composée de membres différents que la commission disciplinaire de première instance) se déclare cette fois compétente pour examiner le dossier… Mais conclut à l’absence de sanction disciplinaire, faute de preuves jugées suffisantes. La procédure disciplinaire fédérale est alors close. Un coup dur pour la victime présumée.
Une période estivale sans protection formelle ?
Si la commission d’appel n’a envisagé aucune sanction, une question centrale se pose alors : pourquoi aucune mesure d’éloignement n’a-t-elle été mise en place de manière officielle par la FFME, notamment durant la période estivale, alors même que la procédure disciplinaire était en cours ? Des mesures conservatoires auraient pu être envisagées afin de prévenir toute situation de contact pendant cette période.
En l’absence de mesures de protection suffisantes mises en place par la FFME, J’ai été contrainte d’adapter mon entraînement.
Sur ce point, le président de la FFME rappelle que les mesures conservatoires ne peuvent être prises, selon le règlement disciplinaire, que pendant une procédure en cours et avant la notification d’une décision (ce qui était le cas durant tout l’été 2025). Il admet par la suite qu’aucune mesure spécifique n’a été mise en place durant l’été, estimant que les deux athlètes n’étaient pas amenés à se croiser en l’absence de stages, de rassemblements ou de compétitions programmés sur cette période.
Un point de vue que la plaignante conteste fermement. Elle affirme avoir continué à s’entraîner pendant plusieurs mois dans les mêmes structures (pôle France) que l’athlète mis en cause, se mettant elle-même à l’écart — avec l’appui de ses entraîneurs — afin d’éviter tout contact. Elle indique également qu’un stage était prévu durant l’été et qu’elle a dû s’organiser avec l’encadrement pour n’en effectuer qu’une partie, l’autre étant réalisée séparément par l’athlète mis en cause.
Les explications étant contradictoires, nous avons donc vérifier la véracité de chacun des discours, et nous pouvons ainsi confirmer qu’un stage était bien organisé durant l’été, après la Coupe du Monde de Chamonix. Nous avons également la confirmation que des entraînements ont eu lieu sur le pôle France de Voiron, à minima durant l’été.
La victime présumée insiste sur les difficultés rencontrées pour obtenir, en vain, la mise en place de mesures de protection à titre conservatoire pendant près de quatre mois — de la saisie de la commission de discipline de première instance, le 18 juin, jusqu’au rapport de la commission d’appel le 17 octobre. Une période marquée par un stress intense, lié à la crainte permanente de croiser son agresseur lors des entraînements.
« En l’absence de mesures de protection suffisantes mises en place par la FFME, j’ai été contrainte d’adapter mon entraînement, avec des conséquences à la fois sportives et psychologiques. J’avais le désagréable sentiment de n’être ni entendue ni protégée par la fédération », déplore la plaignante. Elle ajoute : « Le président a eu quatre mois, sur une période de stages et de compétitions, pour prendre des mesures à titre conservatoire. Il ne l’a pas fait. »
« Je comprends pleinement qu’elle ne se satisfasse pas de ces décisions »
Au cours de notre échange, Alain Carrière est revenu longuement sur la difficulté, pour l’institution comme pour la plaignante, d’accepter qu’une procédure disciplinaire puisse s’achever sans sanction alors même qu’un signalement grave a été formulé. Il rappelle que les commissions disciplinaires statuent dans un cadre strict, fondé sur les éléments versés au dossier, tout en reconnaissant la dimension humaine et la frustration que ce type de situation peut engendrer.
« Mon souhait, c’est que l’athlète concernée s’en sorte, et je comprends pleinement qu’elle ne se satisfasse pas de ces décisions. », assure Alain Carrière.
Du point de vue de la plaignante, au-delà du discours institutionnel exposé par le président de la FFME, la procédure telle qu’elle s’est déroulée a fait apparaître plusieurs difficultés. Elle explique par exemple ne pas avoir été convoquée devant les commissions, ni représentée par son avocat, alors que le mis en cause y était présent, accompagné de son avocate.
En effet, dans ce type de procédure, le problème réside dans la place accordée à la personne qui fait le signalement. La plaignante ne dispose pas forcément d’un rôle clairement défini dans la procédure. Elle peut ainsi se retrouver à l’écart des échanges et des décisions, sans cadre précis ni garanties explicites, alors même que sa parole est à l’origine de l’ouverture du dossier. Il ne s’agit pas d’un problème lié à la FFME, mais d’un problème structurel dans les commissions de disciplines sportives.
Décembre 2025 : une prise de parole publique pour dénoncer le fonctionnement fédéral
Le 6 décembre dernier, la victime présumée a adressé un message à l’ensemble des équipes de France, aux salariés de la FFME, aux présidents de ligue et aux parents d’athlètes. À travers cette prise de parole, elle ne s’attarde pas sur la personne mise en cause, mais sur le cadre fédéral tel qu’elle l’a vécu.
Antidépresseurs, somnifères et Xanax m’accompagnent depuis quelques mois.
Elle y décrit l’absence de mesures de protection immédiates et les limites procédurales rencontrées, ainsi que leurs conséquences concrètes sur sa santé, sa carrière sportive, ses études et son quotidien : « Aujourd’hui, les conséquences de ces procédures sont multiples : stress, insomnies, anxiété, pensées obsessives… Antidépresseurs, somnifères et Xanax m’accompagnent depuis quelques mois. L’anxiété, couplée au manque de sommeil, me rend extrêmement sujette aux blessures : tendinopathies, pathologies nerveuses, lumbago, zona, contractures… À cela s’ajoute la charge mentale : rendez-vous chez le médecin, le psychologue, le kiné, l’ostéo, au commissariat… Tout cela représente aussi une charge financière. J’ai la chance d’avoir des parents plus qu’aidants et je les remercie. Mes études sont aussi touchées : manque de sommeil, de concentration, de motivation… J’ai également la chance d’avoir des responsables universitaires soutenants. »

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La plaignante rappelle également que la présomption d’innocence coexiste avec une obligation de sécurité et de prudence : elle interpelle l’institution sur sa capacité à protéger, dans le temps long d’une procédure, les personnes à l’origine d’un signalement grave.
Une question de décisions, plus que de preuves
Dans ses échanges avec notre rédaction, la plaignante insiste sur un point qu’elle juge central : selon elle, le problème ne tient pas à l’absence de preuves ou à l’impossibilité d’établir les faits avec certitude, mais à la difficulté, pour l’institution, de prendre des décisions de protection dans un cadre incertain.
La plaignante insiste sur ce point : « Les responsables fédéraux ne sont pas chargés d’enquêter ni d’établir une culpabilité — une mission qui relève de l’autorité judiciaire — mais ils disposent en revanche d’un pouvoir décisionnel en matière d’organisation, de prévention et d’éloignement ». Un pouvoir qui, selon elle, n’a pas été pleinement mobilisé, alors même que la situation avait été signalée depuis mai 2025.
Ce dossier met ainsi en lumière une limite du fonctionnement disciplinaire actuel : conçu avant tout pour sanctionner sur la base de preuves établies, il peine à produire des réponses effectives lorsque l’enjeu principal n’est pas la sanction, mais la protection immédiate des personnes concernées. L’enjeu dépasse largement ce cas précis. Il interroge la capacité du sport de haut niveau à agir, non pas uniquement lorsque la preuve est constituée, mais lorsque la situation exige des décisions de prudence face à un risque signalé.
Des mesures d’éloignement pour la prochaine saison
Alain Carrière nous a affirmé que des mesures d’éloignement organisationnelles allaient être mises en place la saison prochaine. Leur mise en œuvre a été confiée au directeur technique national.
Selon les précisions apportées par le DTN, ces dispositions reposent sur un principe clair : aucune situation d’entraînement encadrée par la Fédération — qu’il s’agisse de stages ou de l’entraînement quotidien — ne doit permettre aux deux protagonistes de se croiser.
Pour les compétitions nationales à faibles enjeux (Coupe de France), une alternance de participation pourra être organisée lorsque des souhaits d’engagement seront exprimés.
Je pense qu’il y a 10 ans en arrière, j’aurai juste arrêté ma carrière.
Lorsque l’enjeu sportif impose la présence des deux athlètes sur une même compétition nationale, notamment lors des Championnats de France, des programmes spécifiques, distincts de ceux habituellement proposés, seront mis en place afin de garantir l’absence de contact.
Enfin, concernant les compétitions internationales, dès lors que les deux athlètes remplissent les critères de sélection, chaque engagement sera examiné au cas par cas — en fonction des enjeux, de la logistique et de l’encadrement — afin de déterminer les modalités de participation. Le DTN précise que ces mesures restent susceptibles d’évoluer en fonction d’éventuelles décisions disciplinaires ou judiciaires à venir.
Á propos de ces mesures, la plaignante nous confie : « Je pense qu’il y a 10 ans en arrière, j’aurai juste arrêté ma carrière. Donc j’essaie de voir ces mesures comme une opportunité de continuer à grimper même si ce n’est évidemment pas idéal ».
Et maintenant ?
La procédure fédérale est close. La procédure judiciaire suit son cours. Mais pour la plaignante, rien ne s’est arrêté avec la fin des commissions. Les conséquences, elles, demeurent. Cette affaire met en lumière l’écart qui peut exister entre le cadre disciplinaire tel qu’il est conçu et la réalité vécue par les athlètes lorsqu’un signalement grave survient.
Au-delà de ce cas précis, ce dossier interroge plus globalement la capacité des fédérations à agir dans l’entre-deux (durant les commissions disciplinaires) : ce temps long et incertain, où la preuve n’est pas encore constituée, mais où le besoin de protection est immédiat. Les mesures annoncées pour la saison à venir constituent une réponse organisationnelle tardive, qui témoigne néanmoins d’une prise de conscience. Reste désormais une question centrale, qui dépasse largement la FFME : comment faire évoluer les cadres disciplinaires du sport de haut niveau pour qu’ils ne laissent plus celles et ceux qui parlent seuls face à leur souffrance ?
Planetgrimpe continuera de suivre l’évolution de cette situation et vous tiendra informés des éventuels nouveaux éléments, tant sur le plan sportif, institutionnel que judiciaire.