TESTAROSSA : le double jeu
Toucher à un mythe n’est jamais chose aisée. C’est presque un pari un peu fou et dangereux ! Alors, pour ne pas prendre trop de risques, mieux vaut ne pas tout chambouler et utiliser des pincettes. C’est à peu près ce que La Sportiva a fait en s’attaquant à son modèle emblématique Testarossa.
Il faut admettre que cette nouvelle version en jette un max et fait honneur à son nom, synonyme de voiture de course.
Mais que se cache-t-il vraiment sous cette plastique de rêve ? Une question que nous avons posée à Jean-Luc Jeunet et Svana, falaisistes hors pair et fins connaisseurs de la première génération.
Jean-Luc : « Si le sculptural chausson Testarossa de La Sportiva est un mythe pour toute une génération, il n’était pas non plus exempt de tout défaut, loin de là. Avec son châssis cambré agressif, sa rigidité plus que moyenne, il n’était pas à mettre entre toutes les mains (ou plutôt les pieds). Et c’est bien là le problème. »
J’en vois déjà bondir sur leur canapé « comment peut-on oser dire du mal du Testarossa?!! »
Nous n’allons pas dire du mal du Testarossa, rassurez-vous. Mais par contre, il y a des choses à noter sur ce modèle dont la cote de popularité nous interpelle un peu, car de notre point de vue, elle n’est pas si justifiée.
Le Testarossa est une arme, une belle machine mais qui souffre de beaucoup de paradoxes. Ses propriétés font de ce chausson une équation bien difficile à résoudre pour arriver au résultat escompté : en tirer le meilleur parti ! En effet, ce Testa est tout sauf un chausson pour tout le monde et/ou un chausson à tout faire.
La souplesse de ce chausson est l’élément le plus important de l’équation. En effet, vous lirez et entendrez partout que ce chausson est une arme pour falaisistes. Oui c’est vrai, mais pas pour tous les falaisistes et/ou pas sur toutes les falaises.
C’est justement parce que ce chausson a cette étiquette de « top player » que nous souhaitons apporter quelques éléments, à notre sens importants, pour que vous ne soyez pas déçus d’un futur achat.
Pour que ce chausson d’escalade justifie son statut de machine de course, il vous faudra répondre à un cahier des charges assez précis:
Pour une utilisation polyvalente, ce chausson s’adresse à des grimpeurs légers (de moins de 70kg à notre sens). Sinon, sa grande souplesse deviendra un handicap.
Selon Jean-Luc Jeunet, « vous n’aurez pas tout à fait la poussée attendue comme avec un chausson un poil rigide ». Si comme moi, vous êtes un grand « dadais » de 85kg qui chausse du 44, alors passez votre chemin, ce Testarossa n’est pas fait pour vous. Le chausson s’écrasera sous votre poids et à moins d’avoir des mollets d’acier, la poussée sur petites prises sera délicate.
Pour profiter pleinement de ses qualités, il vous faudra accepter de souffrir un peu. Il n’est pas question ici de choisir une taille « ajustée ». Ah non, avec le Testarossa, on garde les habitudes du passé. On prend serré, très très très serré !!
Pour Jean-Luc Jeunet, « Le minimum pour profiter d’une telle cylindrée c’est une pointure et demie en dessous mais vous ne pourrez pas optimiser les qualités du chausson. Deux tailles en dessous c’est bien et trois c’est très bien si vous avez l’habitude de « faire » des chaussons. Les fanatiques prendront au moins 3,5 voir 4…. ». OUTCH !! En effet, cette nouvelle version du Testarossa est fabriquée avec des matériaux identiques à l’ancienne version. Là encore, ce parti pris de la firme italienne ne plaide pas du tout en faveur d’une utilisation par le plus grand nombre.
Vous devez donc comprendre que ce chausson est une arme mais si et seulement si vous respectez les éléments exposés précédemment. Si vous sortez du cadre, aucun problème! Mais ce n’est plus une arme que vous achèterez…
C’est bien dommage me direz-vous, parce que lorsque l’on met ses pieds dans les Testarossa en magasin, on hallucine tout de suite du confort de ces chaussons. Donc si vous avez flashé sur ces Testarossa, pas de problème. Il restera un bon compagnon pour cruiser et avaler les longueurs pépère. Tant que vous ne lui en demanderez pas trop, ça passera ! C’est peut-être pour ça que le succès ne s’estompe pas avec le temps. Mais de ce fait, on s’éloigne un peu du concept. Mais on a tout à fait le droit d’aller chercher son pain au bout de la rue en Ferrari me direz-vous…
Pour les plus pointilleux, les caractéristiques de ces Testarossa peuvent amener à une deuxième problématique : quand doit-on prendre ces chaussons ? Si vous faites partie du profil parfait, la réponse sera presque « tout le temps ». C’est le cas de Svana par exemple, qui porte ses Testa en toute situation:
« Ça fait un bout de temps que je grimpe avec les Testarossa et je les ai toujours trouvés au top »
« Du coup je redoutais un peu les nouveaux, j’avais peur qu’ils aient trop changé, notamment sur le talon. Mais après le test j’en suis plus que satisfaite ! Pour moi les Testa restent des chaussons super confortables tout en étant très performants, assez précis sur les petites prises et puissants sur les talons. Les lacets permettent de bien ajuster le chausson sur le pied, je sais que c’est embêtant pour le bloc mais pour les voies ça convient parfaitement ! »
Mais dès que vous vous éloignez un peu du « morphotype », on a le sentiment de toujours trouver mieux au fond du sac pour chaque situation.
En dalle et sur petits grattons à charger, ce Testarossa perd largement la bataille face à un Katana Lace par exemple. En bloc ou voie déversante, on lui préférera sûrement une paire de Solution ou un Skwama. Vous partez pour le weekend et vous ne voulez emmener qu’une seule paire au cas où… vous vous tournez sûrement vers un Otaki. Pas facile la vie de famille chez La Sportiva!!
Je vous sens perdu, et nous aussi d’ailleurs… Je vous avais prévenu, l’équation est bien difficile à résoudre. On a tendance à être pointilleux avec les meilleurs !
« Ce Testa est une arme redoutable pour quiconque est en capacité d’en tirer le meilleur. Mais pour le commun des mortels, son terrain de jeu idéal ce sont les voies peu exigeantes en précision de pied où son train avant épousera parfaitement les reliefs assez volumineux ou les plats en adhérence. En dévers le griffé de pied vous comblera grâce à la tige cambrée et la souplesse.
On trouve de la gomme seulement sur la partie avant, cela permettant au chausson de coller l’arc plantaire. Le chaussant très enrobant couplé au laçage bas renforce de plus l’ergonomie du modèle et vaut son pesant de compliments pour le lot de sensations qu’il distille. Le talon gomme rouge, assez adhérente finalement, suis la ligne de la carrosserie et enrobe parfaitement le pied. Cependant il manque un retour de gomme en relief pour avoir un talon parfait, celui-ci est trop rond et lisse à mon goût. Dès lors on prend un immense plaisir à avaler des longueurs avec ce modèle passe partout. Vous pourrez cruiser en toute quiétude mais à bas régime… » (Jean-Luc Jeunet)
Il s’agit donc de vous faire comprendre que ce La Sportiva peut être porté par tout le monde mais qu’il faut avoir certaines capacités pour en tirer le meilleur. Sinon, ce ne sera qu’un très bon chausson que vous achèterez , pas une arme. Il suffit de le savoir.
Un très beau et bon chausson donc mais qui doit faire l’objet d’une bonne analyse sur votre pratique, votre niveau et votre corpulence pour profiter pleinement de ses qualités.