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Solenne Piret explore toutes les facettes de l’escalade avec à la clé une grande voie trad de 400m

© Montagne en Scène / Hugo Clouzeau

Quadruple championne du monde. Rien que ça. Oui Solenne Piret domine très largement le circuit mondial de para-escalade dans sa catégorie AU2 (amputé d’un avant bras). Depuis sa première compétition internationale en 2018 où elle avait terminé deuxième, Solenne n’a plus jamais laissé filer la première place d’une compétition ! À Innsbruck, en juin dernier, elle a remporté sa 14ème compétition mondiale consécutive. Mais Solenne ne se contente pas de dominer le circuit mondial, elle performe également en extérieur, et notamment à Bleau où elle a fait ses premiers pas étant petite. Mais dernièrement, c’est une toute autre performance qui a attiré notre attention: l’enchaînement de la voie des Suisses / sortie O Sole Mio sur le Grand Capucin, à Chamonix. Une grande voie trad, en altitude, en 6b max où il faut poser les coinceurs… oui, c’était le dernier défi fou de Solenne Piret, et nous sommes allés à sa rencontre pour en savoir plus !


Salut Solenne, pour démarrer, peux-tu te présenter pour nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ?

Salut, et bien écoute après avoir été architecte,  je suis maintenant grimpeuse pro depuis 2 ans, et ma spécialité c’est le para-escalade car je suis née sans avant bras droit suite à un arrêt de croissance.

Depuis plusieurs années maintenant tu domines le circuit international en para-escalade dans ta catégorie (AU2), peux-tu revenir sur tes débuts en escalade ?

J’ai commencé l’escalade toute petite sur les blocs de Fontainebleau, en famille, j’y allais chaque dimanche. J’ai découvert la résine très tard, à partir de 2017 quand Arkose a ouvert à Nation. Pendant de nombreuses années, c’était juste un loisir, je n’ai jamais poussé vers la performance étant plus jeune.

À quel moment as-tu basculé dans la marmite de la compétition ?

En 2017, j’avais plein de potes qui parlaient de l’ouverture d’Arkose Nation, ça m’a donné envie d’aller voir ce que ça donnait et ça m’a beaucoup plu ! J’ai voulu m’entraîner pour progresser, et à force d’aller à la salle, j’ai rencontré Julien Gasc, qui lui est amputé d’une jambe, et il m’a parlé de l’équipe de France de para escalade et plus généralement des compétitions. Ça m’a mis des étoiles dans les yeux avec l’envie de représenter la France dans cette discipline, voilà comment je suis tombée dans cette marmite.

Qu’est-ce qui te plait particulièrement en compétition ?

Ce que j’aime en compétition c’est qu’on a des voies adaptées (ça ne veut pas dire qu’elle sont plus faciles), mais c’est les seuls moments où on a l’opportunité d’aller grimper des voies dures en sachant que c’est techniquement possible pour nous. Avoir de belles voies qui fonctionnent, avec l’ambiance qu’il y a autour, avec une super communauté et des beaux moments de partage, même si ce sont des moments où tu ressors lessivés, j’adore ça !

Tu te plais également beaucoup à grimper dehors, avec d’ores et déjà de belles performances en bloc, tu peux revenir dessus ? Et en couenne ?

Comme j’ai débuté à Bleau, c’était assez logique d’y retourner. Il y a quelque chose de magique dans cette forêt, et j’aurai toujours un lien particulier avec elle. L’extérieur c’est ce qui me fait vibrer, la compétition c’est plutôt un moyen de m’entraîner, de partager. Pour ce qui est de la couenne, j’essaye de m’y mettre… Je suis plus à l’aise en bloc, mais je trouve ça super intéressant aussi de repousser le niveau en couenne, on verra les mois prochains ce que ça donne…

© Montagne en Scène / Hugo Clouzeau

Tu viens d’annoncer sur tes réseaux l’enchaînement en tête d’une grande voie dans la vallée de Chamonix (la voie des Suisses / sortie O Sole Mio), parle-nous de la genèse de ce projet ?

La genèse de ce projet au Grand Capucin, ça vient d’une photo de Marc Daviet il me semble, que j’avais trouvé magnifique. Mon copain Christophe Cazin m’a dit à ce moment là qu’il y avait des voies faciles, alors que ça me paraissait extrêmement difficile. Quand il m’a dit ça, ça nous a donné l’idée d’aller grimper cette voie des Suisses.

Après l’idée de grimper les longueurs difficiles en tête, c’est venu un peu plus tard. En fait j’ai fait le constat que lorsque tu grimpes avec quelqu’un de plus fort que toi, tu tombes vite dans le confort de grimper en second. Normalement on grimpe en réversible dans ce genre de projet, mais là il y avait beaucoup d’inconnue (coinceurs, grimpe en altitude, …) donc ce n’était pas une évidence pour moi de faire des longueurs en tête.

Et puis en partant à Squamish au printemps dernier, j’ai eu envie de me mettre comme projet de grimper en tête, ce que je n’ai pas pu faire finalement pour diverses raisons. Une petite frustration du coup, mais je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison que je n’y arrive pas, et ça m’a challengé avec l’objectif de réaliser les longueurs de la voie des Suisses en tête du coup.

Comment s’est déroulée l’ascension ? Quelles ont été les principales difficultés pour toi ?

On a fait un premier repérage de la voie début juin. L’idée de base, c’était de se prendre une semaine en espérant avoir suffisamment de beau temps pour travailler les longueurs, en second pour ma part, puis un jour de repos et ensuite tenter l’enchaînement. Mais finalement ça ne s’est pas du tout passé comme ça. On a eu un printemps peu ensoleillé, et on a buté au bout de 4 longueurs… on s’est retrouvé avec de la neige sur les vires et de la glace au fond des fissures. Impossible de continuer dans ces conditions et on a donc dû repousser le projet de quasi un mois.

© Montagne en Scène / Jérôme Tanon

Lorsque nous sommes revenus en juillet, je ne connaissais pas toute la 2ème partie du coup, et c’était les longueurs les plus dures. On a fait l’approche en corde tendue avec Christophe qui était en tête. Une fois dans la voie, j’ai pris le lead, j’ai fait les 4 premières longueurs que je connaissais déjà, et ensuite il y avait une longueur de connexion avant d’attaquer les dernières longueurs que je n’avais pas encore vues et qui étaient bien plus dures. Le challenge m’a demandé beaucoup de concentration et de détermination. On a atteint le sommet vers 19h20, et le temps de tirer les rappels et de faire la marche de retour, on est arrivé à minuit au refuge. Quand tu te dis que tu es partie depuis 7h du matin, ça fait une bonne journée.

J’imagine que le défi mental était tout aussi difficile que le défi physique ?

Oui, voir même plus difficile que le défi physique. On est dans une voie en 6b max, donc oui c’était dur physiquement avec l’altitude, le fait de poser ses protections, etc… Mais mentalement, le fait de ne pas savoir si c’était faisable, c’était vraiment super dur, et je suis d’autant plus fière de ma réussite. Sortir de sa zone de confort, ce n’est jamais facile, et là j’ai réussi à le faire, donc super contente de moi.

Si c’était à refaire, que changerais-tu ?

À vrai dire je crois que je ne changerai rien. C’était pas plus mal d’être à-vue dans les dernières longueurs, car je pense que si j’étais allée repérer ces longueurs en second lors de notre première visite, je m’en serai fait toute une montagne, et j’aurai stressé jusqu’au jour de l’enchaînement.

Quels sont tes prochains projets ?

Ça fait un petit bout de temps que j’ai envie de trouver une voie en 7c qui fonctionne, donc ça va peut-être être le moment. Avec les JO qui pointent le bout de leur nez en 2028, je pense que beaucoup de choses vont changer dans ma préparation et mon entraînement, et donc là, c’est une année charnière où je vais encore pouvoir profiter un peu de la grimpe en extérieur, donc c’est le moment ou jamais !

Es-tu consciente d’écrire l’histoire du para-escalade en repoussant sans cesse le niveau ?

Oui je suis consciente de repousser sans cesse le niveau, et c’est ce qui me motive au quotidien. J’aime écrire quelque chose sur cette page blanche, et partager mon petit bout d’histoire en espérant que ça inspire les générations futures. D’ailleurs, d’autres ont pris le lead également, chez les mecs par exemple je pense à Erwan Lievin en AU3 qui vient de faire le premier 7C bloc à Bleau. On est plusieurs à repousser le niveau, c’est hyper motivant !

Penses-tu que le regard du monde sur le handicap a évolué ces dernières années ?

Je pense que oui, le regard sur le handicap évolue. Pas mal de choses ont été faites, au niveau des scolaires notamment, avec des journées de sensibilisation. On ne se rend pas encore compte de l’ampleur des résultats que ça aura, mais je pense que ça va vraiment faire la différence d’ici 5 à 10 ans. Et puis on voit aussi de plus en plus de modèles sur les réseaux ou dans la pub avec des différences, et ça c’est sûr que ça a beaucoup changé par rapport à 10 ans en arrière.

Les Jeux paralympiques de Los Angeles accueilleront pour la première fois l’escalade, comment as-tu accueillie cette nouvelle ?

Ça a été une énorme joie quand j’ai appris la nouvelle! Après, on ne sait pas encore si il y aura toutes les catégories, et sous quel format ce sera. Mais quoiqu’il en soit moi ça me motive à fond, ça va pousser tout le niveau, il y aura une vraie émulation autour des JO. Même si rien n’est encore décidé, j’ai bon espoir que ma catégorie soit représentée aux JO de 2028, et ce sera clairement un gros objectif de ces 4 prochaines années.

Ces prochaines années vont-elles être chamboulées pour toi ?

Oui je pense que beaucoup de choses vont changer dans ma vie. Je commence vraiment à réfléchir pour organiser ces 4 prochaines années, sans oublier l’après bien évidemment. Je ne sais pas encore quelle forme ça va prendre mais c’est hyper excitant de savoir que des choses vont se mettre en place, en tout cas je suis hyper motivée pour la suite !

Publié le : 02 août 2024 par Charles Loury

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