« Silence, on grimpe ! » , le collectif qui éveille notre vigilance sur l’accessibilité des films outdoor

Le Festival Femmes en Montagne, numéro 1 de l'accessibilité | © Sandrine Chiarena
Imaginez regarder le nouveau film sur l’énième record de vitesse du Nose par Alex Honnold et Tommy Caldwell, mais une mouche à la mauvaise idée de venir griller les circuits audio de votre TV. Plus aucun son. Très vite, vous vous sentez seul devant le film et les belles images ne vous suffisent plus à maintenir votre intérêt. Vous activez alors les sous-titres et tout de suite votre esprit s’ouvre, on vous « parle », on vous donne du contexte, on vous guide tout simplement dans cette histoire.
Maintenant, imaginez être sourd ou malentendant et vouloir vous rendre à un Festival de films de Montagne. Vous cherchez les informations sur les séances sous-titrées car sinon vous perdez votre intérêt. Mais vous comprenez vite que vous ne pourrez aller voir que des films anglophones car les films français ne sont quasi jamais sous-titrés. C’est ainsi que 6 millions de personnes sourdes et malentendantes en France ont tristement acquis le fait que les films n’étaient pas souvent accessibles pour elles.
Le collectif Silence, on grimpe ! propose de nombreuses solutions en démontrant que rendre accessible un évènement ne signifie pas pour autant gravir l’Everest.
Être en situation de handicap, c’est subir la situation faute d’accessibilité. | Emmanuelle Aboaf, bénévole au sein de Silence, on grimpe !
Pris dans notre quotidien et dans nos habitudes de personnes valides, nous ne réalisons pas à quel point nos passions peuvent être difficiles d’accès à toutes et tous. Et cela commence par les films qui nous fascinent et façonnent notre passion pour l’Aventure.
« Je vais à un événement où les films sont tous sous-titrés. Je ne suis pas en situation de handicap puisque les films me sont totalement accessibles. Être en situation de handicap, c’est subir la situation faute d’accessibilité. » écrit Emmanuelle Aboaf, sourde et bénévole au sein du collectif.
Notre rencontre avec Arnaud Guillemot, fondateur et coordinateur de Silence, on grimpe !

Arnaud Guillemot, un montagnard passionné rêvant d’être Guide de Haute Montagne, peu importe sa surdité.
Nous n’avons pas tout de suite réalisés que notre entretien avec Arnaud Guillemot aurait besoin d’un peu d’aménagement.
En effet, Arnaud est sourd profond de naissance. Ces quelques minutes avant l’appel vidéo que nous nous mettons à sa place et réalisons que l’entretien ne sera pas aussi facile pour lui.
L’embarras nous envahit de ne pas avoir été plus tôt conscient de cela et de ne pas lui avoir proposé une solution adaptée. Comment va-t’il nous comprendre ? Est-ce qu’il lit sur les lèvres ? Devons-nous parler lentement ? Ou plus fort si il a un appareil auditif ?
En fait, nous prenons déjà conscience que notre petite bulle et que notre manque de contact avec des personnes sourdes et malentendantes au quotidien nous voilent la face sur la réalité des efforts que toutes ces personnes doivent faire pour s’adapter.
Mais le quotidien d’Arnaud est fait d’organisation et de beaucoup de patience face au monde des personnes entendantes, alors les solutions, il en connait. Google Meet permet justement de retranscrire en direct les échanges vocaux sous forme de texte. Même si nous n’en avons pas besoin, Arnaud nous invite à également activer la retranscription car ainsi nous pouvons nous rendre compte de la qualité ou non des textes produits et de ce qu’il peut comprendre.
Lui qui évolue depuis toujours dans un monde où tout nous parait acquis, cette fois c’est nous qui faisons un pas dans le monde d’Arnaud.
Pour écrire cet article, Arnaud nous a sensibilisé à l’art d’utiliser les mots quand on parle de surdité avec notamment ce texte hautement important écrit par Emmanuelle Aboaf https://emmanuelle-aboaf.netlify.app/blog/article/n-ayez-pas-peur-des-mots

© Rencontres Montagnes et Sciences, le futur Top 1 des festivals accessibles ?
L’origine du Collectif
C’était ennuyeux pour moi à regarder | Arnaud Guillemot
Arnaud est arrivé à Grenoble en 2016. Pris par sa passion de la Montagne il se rend à des projections où il peut voir des films anglophone sous-titrés. Mais pour ceux en français, aucun sous-titre n’est disponible et au bout de plusieurs éditions, il laisse tomber car les belles images ne font pas tout. Il nous explique sa prise de conscience :
« C’était ennuyeux pour moi à regarder. 5 ans plus tard un ami me propose d’y retourner mais rien n’avait changé dans la programmation. Et je me suis dit que là, il fallait vraiment changer quelque chose. J’ai donc décidé de commencer par faire un état des lieux ».
La bienveillance et la diplomatie d’Arnaud lui donnent très rapidement les contacts de réalisateurs et autres festivals nationaux et même internationaux.
« La Coldhouse collective (NDLR : boîte de production audiovisuelle britannique) avait déjà fait un document pour rendre les films d’aventures britanniques accessibles. C’est à dire sous-titres, audiodescription et langue des signes ». Vous pouvez lire le document en français en suivant ce lien.
Toute action chez Silence, on grimpe ! est bénévole, Arnaud estime avoir passé un millier d’heure à travailler sur cette sensibilisation. Le collectif cible les Festivals car le temps bénévole est précieux et que contacter tous les réalisateurs de films ne serait pas possible.
Les sous-titres gâchent-ils la séance ?
C’est une idée reçue que les sous-titres à l’écran gênent. Nous voyons des sous-titres partout désormais, sur les chaînes d’infos, sur les Reels Instagram et autres vidéo TikTok et Facebook. La lecture de sous-titres dans notre langue maternelle se fait naturellement.
En outre, les retours d’événements sur le sous-titrage montrent que :
– 87% du public du Reel Rock Tour n’est pas gêné.
– 86% du public des Rencontres Ciné Montagne est partant pour une édition 100% sous-titrée.
– 94% soutiennent la démarche du sous-titrage au festival d’Autrans.
Le sous-titrage et l’audiodescription sont souvent confondues ce qui peut amener à une réticence.
« Il est normal de ne pas savoir au début et de faire des erreurs. Mais il n’est pas concevable de ne pas les corriger par la suite. » | Arnaud Guillemot
« Le sous-titrage est une description de ce qui est vocal et est adressé aux sourds et malentendants. L’audiodescription concerne tout ce qui est visuel et est destinée aux personnes aveugles et mal voyantes. Ce sont deux termes complètement différents et il faut être vigilants car il y a encore certains évènements qui disent qu’ils ont fait de l’audiodescription pour les sourds ce qui est incohérent. Il est normal de ne pas savoir au début et de faire des erreurs. Mais il n’est pas concevable de ne pas les corriger par la suite. » nous explique Arnaud.
Sous-titreur, un métier en plein essor
Céline Ripolles, sous-titreuse professionnelle et membre du collectif nous en dit un peu plus sur ce métier méconnu :
« Nous sommes encore assez peu de sous-titreurs spécialisés en accessibilité pour les personnes sourdes et malentendantes. La plupart sont des sous-titreurs traducteurs, mais on compte quand même de plus en plus d’indépendants qui intègrent l’accessibilité dans leur offre afin de s’engager pour une société plus inclusive et répondre à la demande grandissante. »
Pour un documentaire de 52min, Céline nous apprend qu’il faut compter environ une semaine de délai pour un prix accessible :
« En ce qui concerne le prix, tout va dépendre de ce qui sera demandé, du délai et des normes que l’on doit suivre mais en règle générale, on est entre les 5 et 10 € par minute de film pour un sous-titrage unilingue, ce qui est un budget peu conséquent par rapport au prix total d’un programme, quelqu’il soit. »

Céline Ripolles, sous-titreuse professionnelle
Derrière les sous-titres que l’on voit à l’écran, un vrai travail d’adaptation, comme le souligne Céline :
« Le sous-titrage SME, par exemple, est un sous-titrage à destination des personnes sourdes et malentendantes qui suit les normes édictées dans la charte du sous-titrage Sourd et Malentendant de 2011, un texte juridique qui vise à garantir la qualité du sous-titrage. Les règles en termes de caractères par seconde, par ligne, de respect des plans, d’utilisations des couleurs etc. sont extrêmement précises. »
Mais le respect de ces règles ne fait pas tout, et en tant que professionnelle, Céline porte attention à d’autres aspects :
« Au delà des normes éditoriales et techniques, il faut prêter particulièrement attention à l’affichage des sous-titres, avec des couleurs assez contrastées par exemple, une bonne taille de police, une police accessible etc. Un sous-titre qui ne se voit pas ou qui n’est pas bien lu n’a aucun intérêt. »

© Rencontres Montagnes et Sciences, un festival porté sur l’accessibilité
Le droit de rêver comme tout le monde et des intérêts multiples pour la majorité entendante
Quand un sous-titrage est réalisé, cela permet de transmettre l’histoire des films aux 6 millions de personnes sourdes et malentendante en France.
« Les bénéfices vont bien au-delà de la population concernée. Par exemple pour les étrangers qui ne maitrisent pas le français. Ou tout simplement les personnes entendantes qui après une journée chargée de travail veulent se reposer. »
Les sous-titres peuvent aussi rattraper la mauvaise acoustique d’une salle. Et nous sommes bien heureux quand, dans un film de Montagne, le vent d’une tempête gâchent la compréhension orale et que des sous-titres sont là pour nous tenir à l’histoire.
Arnaud Guillemot tient à rappeler qu’un travail de sous-titrage n’oblige pas les personnes sourdes et malentendantes à venir profiter de la séance. « C’est comme si on disait, on a fait un film, vous avez l’obligation de venir le voir. Beaucoup de personne ont ce mauvais raisonnement. ».
Ne pas remettre la faute sur le public qui ne vient pas donc, mais peut-être plus sur la qualité du contenu car des cinéphiles sourds il en existe comme nous le montre ce reportage vidéo de la chaîne La Manie du Cinéma
La loi Handicap du 11 février 2005
La loi de 2005 (loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) prévoit que les personnes en situation de handicap ont droit à une accessibilité des contenus audiovisuels, notamment par la mise en place d’un sous-titrage adapté.
Pourtant, cette Loi n’est que très peu appliquée. Mais dans sa très honorable diplomatie, Arnaud évite de l’évoquer car elle lui parait trop agressive. Il préfère aborder les solutions et mettre en place un climat de confiance et d’ouverture. Le collectif est encore parfois dans une longue démarche de dialogues avec des festivals.
« Il y a encore du boulot pour la prise de conscience. Heureusement qu’il y a 5 événements 100% sous-titrés dans l’enquête 2024. »
2025 ne sera malheureusement toujours pas la bonne élève, Alti-Attitudes et les 360 degrés de l’aventure n’ont pas précisé le sous-titrage dans la programmation. Même les films étrangers ne sont pas indiqués.
« Escales Voyageuses à Avignon propose une séance 100% sous-titrée mais c’est un effort trop timide au vu de la richesse des films proposés et de la sensibilisation déjà reçue en 2024. » se désole Arnaud.
Même s’il préfère faire la lumière sur les évènements qui améliorent leurs accessibilités, Arnaud explique qu’il ne peut cacher les mauvais élèves :
« Le public sourd et malentendant doit être informé que certains ne jouent pas le jeu. Pour qu’ils ne perdent pas leur temps. »
L’importance de la communication

Le programme accessible de Femmes en Montagne
Quand on est pas à la place d’une personne en situation de handicap, ou qu’on n’a pas eu assez de sensibilisation, des petites choses très simples nous passent par dessus la tête alors qu’elles sont essentielles. Par exemple informer sur l’affiche ou le programme que des sous-titres sont présents…
« Certains évènements font parfois du super travail d’accessibilité, mais ils oublient de nous en informer. Moi je ne suis pas télépathe, je ne sens pas les sous-titres autour de moi », explique en riant Arnaud.
Il ne faut donc pas avoir peur de trop communiquer là-dessus. Car les personnes sourdes et malentendantes ne sont pas habituées à venir dans ces lieux.
- Le guide Ciné Sens sur Comment communiquer sur l’accessibilité de mon évènement ?
L’accompagnement proposé par le collectif
Les solutions existent déjà et le collectif a réalisé un excellent travail de médiation et de synthèse, tout en proposant d’accompagner qui le souhaite comme le rappelle Arnaud: « Quand la demande est formellement exprimée par l’organisateur d’un évènement ou un réalisateur, je mets en relation avec les professionnels qui auront des solutions. ».
Le collectif explique la trop lente évolution par le fait que certains organisateurs ne sont pas à l’aise avec le handicap, que le modèle économique est parfois fragile et la peur que les sous-titres fassent fuir les gens. « Ce qui est complètement faux » répète Arnaud.
Vous pouvez retrouver le travail du collectif avec toutes leurs solutions et leurs synthèses via ce lien
Comment aider à son niveau ?
Toute personne se rendant en Festival peut signaler à l’organisation l’absence de mention de sous-titrage. C’est le premier levier sur lequel tout le monde peut agir.
Arnaud nous informe des 3 leviers simples qui permettent d’agir sur l’accessibilité :
- mentionner les sous-titres.
- que les organisateurs demandent aux réalisateurs si ils ont des versions sous-titrées et inversement que les réalisateurs indiquent si ils en ont.
- utiliser l’intelligence artificielle pour générer les sous-titres rapidement.
Nous conclurons cet article avec une remarque intéressante d’Arnaud :
« Tous les événements qui ont franchi le pas sur l’accessibilité sont majoritairement gérés par des femmes. C’est un fait. »