Retour sur les JO de Tokyo avec Sylvain Chapelle, responsable de la préparation olympique
Quelques jours après la fin des premiers JO de l’histoire de l’escalade, nous sommes allés à la rencontre de Sylvain Chapelle, responsable de la préparation olympique de l’équipe de France d’escalade, pour faire le bilan de la performance de nos grimpeurs tricolores.
Comment te sens-tu quelques jours après la fin de ces premiers JO pour l’escalade ?
Écoute, très fier d’avoir participé à cette première pour l’escalade aux JO. Content de là où on est arrivé et de tout le chemin parcouru. L’aventure a commencé il y a presque 5 ans avec beaucoup d’incertitudes sur le format, sur le processus de qualifications, sur les athlètes qu’on allait avoir, et au bout du compte j’ai l’impression qu’on s’en est plutôt bien sorti. Et du coup, pour répondre à la question : bien fatigué de cette aventure quand même.
Peux-tu nous présenter le staff qui accompagnait les athlètes à Tokyo ?
Alors pour te présenter le staff: il y avait Cécile Avezou qui est entraîneuse nationale sur la difficulté, Laurent Lagarrigue qui est entraîneur national sur le bloc, Pascal François notre kiné et moi-même en tant qu’entraîneur national de la vitesse mais également responsable de la préparation olympique.
Et puis on avait aussi un staff qui était resté en France et qui était scindé en deux : un côté qui était plutôt axé sur tout ce qui était jugement, avec des juges internationaux et d’un autre côté le pôle plus technique/entraînement avec des entraîneurs nationaux. Il y avait François Leonardon, Jérôme Chapelle, Vincent Caussé et Emilie Gheux qui étaient sur l’aspect jugement et organisation de compétition, et côté entraînement on avait Nico Januel qui est entraîneur national sur le bloc, Romain Desgranges qui est adjoint de Cécile sur la diff et Esther Bruckner qui est entraîneuse nationale de vitesse jeunes et qui bosse très souvent avec moi. Donc on était en liaison permanente avec eux, on pouvait leur poser des questions et de leur côté ils nous faisaient des retours dans leurs domaines respectifs.
Et bien entendu, en plus, il y avait Damien You, directeur des équipes de France et Pierre Henry Paillasson, DTN, qui nous ont rejoints quand on est arrivé sur le village olympique le 28 juillet.
Première question classique, que penses-tu des résultats de notre équipe de France sans rentrer dans une analyse technique que nous verrons après ? Tu t’y attendais ?
Oui bien sûr ! Plutôt content des résultats qu’ont pu faire nos athlètes. Ce sont des résultats plutôt satisfaisants dans l’ensemble même si, forcément, on attend une médaille, surtout qu’on n’est pas passé très loin, à la fois chez les garçons et chez les filles. Mais ça fait partie du jeu. Si on veut y arriver, il faut que les choses se passent bien sur plusieurs domaines, surtout pour cette discipline du combiné où on ne maîtrise pas tout. Il y a des choses qui ne dépendent pas que de nous et du sportif, mais qui dépendent aussi de la physionomie de la compétition et notamment des résultats des autres.
Beaucoup pensaient qu’on ne ferait pas grand chose sur ces Jeux, je crois que les athlètes ont bien démontré le contraire. Et on est vraiment passé proche de faire des médailles. Il y a un côté frustrant, c’est sûr, on reste sur notre faim car j’attendais plus, forcément, mais je suis quand même très content de ce qui a été accompli. Après libre à chacun d’interpréter les résultats comme il l’entend.
Comment se sont passées les journées avant le début des qualifs ? Comment tu as géré ça en tant que responsable de la préparation olympique ?
On est parti le 19 juillet direction Kurayohi, c’est là qu’on avait déjà fait des camps d’entraînement notamment en 2019 avant les Championnats du Monde. J’étais en relation depuis trois ans avec les personnes sur place pour organiser tout ça et je savais qu’on pourrait faire ce qu’on voulait ici et que l’on avait toutes les installations nécessaires.
Sur place, on s’est entraîné jusqu’au 28, l’idée c’était à la fois d’absorber le décalage horaire, mais aussi de s’acclimater à la chaleur, car même si c’était moins humide qu’à Tokyo, il faisait quand même très chaud. Et enfin, dernier objectif, monter en pression petit à petit en direction des Jeux sans arriver directement aux JO en passant du petit cocon qu’on a en France au village olympique. L’idée c’était donc de faire un petit sas de décompression qui permettait de tranquillement se préparer, et de pouvoir, pour nous, établir une connexion avec les athlètes au quotidien. Et ça c’est plutôt très bien passé.
Le 28 on a donc pris le chemin du village olympique, et, là changement d’ambiance radicale ! Mais on le savait, c’est une expérience à part entière. Ça a bien fonctionné, ça nous a permis d’arriver au début des épreuves sans avoir accumulé une fatigue mentale trop importante.
Comment on gère les athlètes ? Ça a été très différent pour les uns et pour les autres, ils étaient quatre avec quatre profils différents. L’idée ça a été de rendre les choses les plus simples pour chacun donc on a essayé de s’adapter à ce dont ils avaient besoin pour faire en sorte qu’ils arrivent dans les meilleures dispositions, avec un bon capital confiance.
On va parler un peu analyse technique. Si en qualif, les frères Mawem et Anouck Jaubert font le job, Julia Chanourdie passe un peu à côté : quelle analyse en fais-tu pour Julia ?
En qualif, les frères Mawem et Anouck, ils ne font pas le job… ils font un super job ! Ce n’est pas simple de grimper à son meilleur niveau sur les JO. Anouck et Bassa ont battu leur record perso, donc c’est un super job ! Et puis Micka, il a juste été énorme sur ces qualifications, surtout en bloc, mais il a aussi été très bon en vitesse et plutôt bon en diff !
Tous les trois font quelque chose de magnifique, vraiment, ils étaient au-dessus de leur niveau. Effectivement, Julia passe un peu à côté, sauf en vitesse où elle a été performante puisqu’elle bat son record perso. En bloc c’était plus dur pour elle, c’étaient des blocs qui ne lui convenaient pas vraiment, elle a eu des difficultés à s’en sortir, et on le sait : le bloc, quand ça ne marche pas au début du circuit, ce n’est pas simple de se remobiliser, et la difficulté n’aura pas suffi à sauver son classement… Donc oui, c’étaient des qualifications compliquées pour résumer…
En finale, même question, quelle analyse fais-tu des performances de Micka et Anouck ?
Deux choses un peu différentes. Pour Micka, on savait que le tableau de vitesse était un peu compliqué pour lui : il prend en deuxième run Tomoa, le meilleur performeur, Bassa n’étant pas là. Il se fait battre à pas grand chose et c’était à sa portée. Ensuite, on savait qu’il avait de la marge pour faire troisième sur son dernier run de vitesse et il a réussi à ne pas rater ça, même en faisant une erreur, il parvient à se remobiliser pour ne pas finir quatrième. En bloc, un peu déçu car on espérait mieux vu ce qu’il avait fait l’avant-veille où il nous avait fait halluciner. Il fait le premier bloc rapidement, et le deuxième il trouve la solution mais il n’arrive pas à concrétiser, et puis le troisième bloc ne servait à rien, donc ça s’est joué sur deux blocs, à l’avantage de l’américain Coleman.
Pour Anouck, sur la vitesse, ça se passe bien jusqu’en finale face à la polonaise Aleksandra Miroslaw, qui est une très forte compétitrice, on ne va pas se le cacher. Elle fait peu de compétition, mais par contre elle est très très forte, elle nous avait montré qu’elle était très rapide en qualif, en étant à un centième du record du monde. Anouck est revenue en force sur la vitesse ces dernières semaines, on savait que c’était jouable, mais ça ne l’a pas fait, il n’aura pas manqué grand chose ! Dans son run de finale, elle est devant la polonaise sur la mise en action au départ, elle est toujours devant au milieu de la voie sur la reprise du jump, mais elle perd du terrain sur la fin. Elle termine deuxième et on savait que ça allait être compliqué pour la suite de la compétition. Elle donne tout sur le bloc, elle s’en sort pas mal mais il manque la petite finition. Et puis en difficulté, elle tient sa place, les autres sont beaucoup plus fortes qu’elle, elle a fait le max pour aller chercher une place.
Suite à la blessure de Bassa, comment trouves-tu les mots pour que l’équipe reste soudée et focus ?
On ne fait rien d’extraordinaire, on explique clairement les choses à tout le monde, surtout à Micka, car on sait qu’ils ont une relation fusionnelle. On ne lui avait rien dit avant son run de qualif en diff, mais par contre tout de suite à la sortie, je le récupère pour aller voir son frère, pour lui expliquer et le rassurer, afin d’éviter que ça ne cogite trop.
Et puis pour le garder dans le game, on lui explique qu’il a super bien commencé le travail mais qu’il a un boulot à finir, donc récupération et remobilisation pour la finale du surlendemain. C’était important de bien rester dans ses baskets pour pouvoir continuer à perfer. Ce sont les mots qu’on a eus, mais ce sont aussi ceux de Bassa, qui croit en son frère. Donc on n’a pas eu trop de difficultés pour le garder bien mobilisé pour la suite.
Durant les quatre jours de compétition, as-tu réussi à dormir ou te refaisais-tu les journées en boucle dans ta tête ? Comment fais-tu pour gérer ça ?
(Rire), on ne dort pas beaucoup… La compétition commençait à 17h, ça se terminait à 22h30/23h00, on rentrait ensuite en bus pendant 20 minutes, on mangeait, ensuite petit débriefing avec le staff sur la journée qui s’était écoulée et sur la journée suivante, on prenait aussi des infos de nos collègues restés en France pour voir comment ils avaient vécu la compétition et avoir un max d’infos à donner à nos athlètes pour la suite de la compétition. Ensuite, moi, je n’arrivais pas à dormir donc j’allais courir un moment, j’étais un peu tout seul à courir dans le village à 1h00 du mat, mais au moins ça me permettait d’évacuer toute la charge mentale qu’on prenait la journée, ça faisait vraiment du bien.
Je ne me suis pas trop refait la compétition dans la tête après les qualifs, par contre après la finale de Micka c’était autre chose. Clairement je n’aime pas perdre, je suis un compétiteur comme nos athlètes et je n’ai pas la défaite très bonne en moi, donc il a fallu accepter, ça a été un peu long ce soir-là, mais il a fallu vite se remettre dedans car le lendemain il y avait Anouck qui avait besoin de nous. Il a fallu passer à autre chose, on s’est couché tard, mais une fois qu’on est couché on pense à la suite et on donne le max pour aider Anouck à perfer au mieux le lendemain.
On est obligé de te parler un peu de Janja Garnbret, quelles sont ses plus grosses qualités selon toi pour écraser la concurrence et notamment en bloc ? Comment lutter face à une athlète de cette envergure ?
Je crois que de toute façon elle est forte depuis un moment, elle a peu de domaines de faiblesse, c’est une athlète super complète sur cette épreuve, et ce n’est pas qu’en bloc. En vitesse, elle a beaucoup progressé et elle est très bonne, et en diff elle est excellente. Comment lutter ? Elle a été clairement plus forte là. Mais on a vu aussi qu’en qualif, la pression a été dure à tenir, donc ça fait peut-être partie des clés aussi.
Quelle est la suite pour toi maintenant ?
Un peu de vacances, retrouver ma femme et mes filles qui ont bien besoin que je sois présent. Ensuite, il y aura le Championnat du Monde qui va arriver rapidement en septembre, puis les Coupes du Monde de vitesse qui seront sur le mois d’octobre. Pas mal de boulot en perspective donc… Et ensuite, il faudra aussi rapidement s’atteler à la tâche de Paris 2024. On a du travail, on veut qualifier des athlètes et on veut être performant à Paris, que ce soit en vitesse ou sur le futur combiné bloc/diff.
Un dernier mot à ajouter ?
Un grand merci aux athlètes pour l’expérience qu’ils nous ont permis de vivre tous ensemble, on s’est vraiment éclaté pendant les trois semaines où on a été ensemble. Merci aussi à tous les athlètes qui ont joué le jeu de Tokyo avant, je pense notamment à Manu Cornu, Fanny Gibert, Alban Levier… Ils sont nombreux à avoir essayé de jouer le jeu des JO. Une petite pensée pour Luce aussi qui voulait tenter cette aventure. Un petit mot également pour l’ensemble du staff qui était présent à Tokyo et avec qui j’ai passé de super moments partagés avec les athlètes. Alors bien sûr, il y a toujours des difficultés à un moment, mais on a toujours été là pour nos athlètes et pour les amener le plus loin possible dans la performance, c’était le mot d’ordre ! Merci aux collègues restés en France qui nous ont vraiment aidés, merci à la FFME d’avoir soutenu ce projet olympique depuis cinq ans, et enfin merci à nos supporters qui nous ont beaucoup aidés et qui ont beaucoup aidé l’escalade dans son ensemble.