Rencontre avec Corinne Theroux, team K-You
Avant d’aller plus loin Corinne, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je travaille à Team K You depuis 4 ans comme entraîneur et j’en dirige les actions pour les 150 sportifs suivis par 10 entraîneurs dans 6 pays (France, Espagne, Autriche, Angleterre, Allemagne, Suisse). C’est le haut niveau qui me motive, j’en arrive et je fais tout pour y rester (en bloc, je termine 3ème du classement mondial en 2001 et du Championnat d’Europe (Lecco 2005) et j’ai gagné Arco, Birmingham,…mais j’entraîne maintenant des gamins qui n’étaient pas nés)
Tu bosses donc aujourd’hui pour «Team K-you» en tant qu’entraîneur, peux-tu nous dire un peu en quoi ça consiste, comment on accède à l’équipe et ce qui y est proposé ?
Le grimpeur qui veut s’entraîner reçoit ses séances chaque semaine suivant un programme planifié à l’année. En complément, il participe comme il veut (mais régulièrement !) à des stages d’un à plusieurs jours tout au long de la saison (31 cette année)
Comment t’est-venu l’idée de créer Team K You ?
C’est Olivier Germond qui a créé le concept. Il repose sur un constat et une idée simple. Le constat c’est que notre activité n’est pas structurée comme un sport (en dehors des compéts, on fait de l’escalade comme du cyclotourisme) et que les résultats des français ne cessent de baisser depuis des années sans véritable réaction. L’idée c’est donc de promouvoir la sportivisation de l’escalade en proposant de l’entraînement structuré sous deux formes complémentaires : les planifs et les stages. Cette action concrète permet d’emmener le groupe de convaincus qui grossit, leurs parents (souvent les premiers demandeurs) et quelquefois leurs clubs et même certains CR.
Aujourd’hui, Team K You semble avoir un réel succès avec de plus en plus de jeunes, comment l’expliques-tu ?
D’abord parce que c’est une réponse adaptée à ceux qui sont isolés, ensuite par les résultats et le bouche à oreille. Aujourd’hui, un finaliste sur deux du Championnat de France fait partie du Team : celui qui est content de progresser en parle à des potes motivés. On s’est assez vite retrouvé à entrainer les meilleurs donc c’est facile d’avoir des résultats …
N’y-a-t-il pas une concurrence avec les structures fédérales (pôles France et autres) ?
« Concurrence » ? Pourquoi pas complémentarité et collaboration !En fait, on fonctionne un peu comme une réserve des Pôles et des EdF dont l’effectif augmente et le niveau monte. Pour les clubs, c’est pareil : ils ont fait la plus grosse part du boulot mais c’est une façon de faire prendre un cran sans être forcément passé au tamis serré des sélections. Enfin, côté grand public, c’est sûr, on fait « ce que devrait faire la fédé ». Et pourtant on n’est pas aidé. C’est parfois décourageant. La fédé commence juste à regarder ce qu’on fait …
Parlons un peu d’entraînement maintenant… as-tu suivi une formation spécifique à ce sujet ?
Oui et non : 5 ans d’ athlé et 10 ans de gym (des sports où on s’entraîne) puis 10 ans d’équipe de France d’escalade, bien entourée, un diplôme d’encadrement (le BE escalade puis la formation BE2), des ouvertures régulières en compétition (ouvreur national), quelques colloques à l’ INSEP, les bouquins sur l’entraînement, internet et, le plus important, tout ce temps passé à suivre les grimpeurs et les compéts …
Que penses-tu de l’entraînement en escalade au jour d’aujourd’hui en France si on compare à une autre activité telle que l’athlétisme où l’entraînement est millimétré ?
En escalade ça n’existe pas vraiment. La culture de l’entraînement reste très peu diffusée en France alors qu’à l’étranger ça a un peu débuté depuis plusieurs années. On y voit beaucoup de monde dans des démarches de progression structurées, des situations et des routines d’ entraînement, … Leurs résultats progressent. Regardez aussi les vidéos (Etats Unis, Allemagne, Japon, … ), c’est foisonnant.
D’un point de vu extérieur, on a l’impression que l’entraînement en escalade en est encore à ses débuts, on teste des choses, mais on a peu de sources scientifiques et théoriques sur lesquelles s’appuyer. Toi, vu de l’intérieur tu en penses quoi ?
Les rares publications, souvent anciennes, sont connues de tous. Mais personne ne connaît l’activité, on n’a pas d’indicateurs pertinents, on suit mal ses évolutions, … En même temps, on a tous les jours des questions ! On va fouiller dans les autres sports, c’est déjà énorme en quantité mais c’est souvent peu transférable à notre activité. Il faut se creuser la tête, adapter et surtout être prospectif. L’essentiel pour faire progresser un groupe c’est d’avoir un modèle (théorique) pour le futur et d’essayer d’y faire adhérer les grimpeurs. On essaye mais c’est très compliqué.
Est-ce-que tu mets en commun tes idées sur l’entraînement avec d’autres nations comme l’Autriche par exemple ou même avec d’autres entraîneurs en France ou est-ce que c’est chacun pour soi ?
Pas de chacun pour soi mais ni lieu d’échange ni vraiment de temps à y consacrer. Pour y pallier, nous travaillons sur un site participatif où on trouvera des situations d’entrainement, des planifs et des articles en ligne. Les seules actions sont pour l’instant les stages communs avec les clubs, les CRs, le Pôle d’ Aix, les Pays étrangers toujours très accueillants et intéressés …
Pour toi, quelle est la part du mental dans la performance par rapport au physique et à la technique ?
Le mental c’est 100 % comme le physique, la technique, l’adhérence de la gomme du chausson, le sommeil, l’hydratation, la lecture, la bonne méthode, … Pour la perf, tout est déterminant. Donc, pas de gourou, pas de préparateur physique, … toutes les actions d’entraînement sont intégrées à l’escalade.
Parlons un peu compétitions ! En 2013 et 2014, nous avions fait un article pour dénoncer des critères des sélection en équipe de France espoirs beaucoup trop sélectifs. Es-tu partie prenante pour n’emmener que les meilleurs, ou pour donner la chance à plus de jeunes sur les compétitions internationales ?
Idéalement, il faudrait former plus de jeunes donc mettre plus de moyens sur ces groupes et élargir les quotas (Par exemple en diff, c’est révoltant de laisser Nao Monchois, Tom Gauquelin, Bréanne Robert, Clara Desfoux ou Pyréne Santal à la maison).
Les critères ont-ils évolué cette année par rapport à ça ?
L’effectif est identique (4) mais l’équipe est plus stable que par le passé.
Cette année, les qualifications des championnats de France de bloc et de diff ont été très longues (de 8h du matin à 22h30-23h). Penses-tu qu’il faudrait modifier le format de ces compétitions ?
Oui, il faudrait 3 qualifs et une finale à 10 pour gagner du temps et se rapprocher du format Coupe d’ Europe.
Enfin, voici plusieurs années qu’on parle de l’intégration de l’escalade aux JO, ce serait une bonne chose selon toi ?
Ca correspond parfaitement à notre état d’esprit et à nos actions de considérer l’escalade aussi comme un sport. C’est susceptible d’améliorer la médiatisation et ça ne fera pas de mal. En attendant, il faut que les épreuves et les organisations de compétition se structurent mieux. C’est en progrès mais ça reste très inégal et certains aspects sont encore trop amateurs. Mais Bercy 2016 peut être un nouveau beau tremplin !