Lors de la Coupe du Monde de Chamonix, Katibin Kiromal a établi son cinquième record du monde consécutif. Alors que le chrono ne cesse de descendre, atteignant maintenant les 5,00 secondes, nous nous sommes demandés quelle était la limite atteignable ? Enquête.
À l’heure actuelle, l’escalade de vitesse est le sport qui progresse le plus vite. À Chamonix, l’Indonésien Katibin Kiromal a établi son cinquième record du monde consécutif depuis le 28 mai 2021. Qu’est-ce que cela signifie pour cette discipline ? Et quel est le chrono le plus bas qu’un humain est capable d’atteindre ?
Sept nouveaux records du monde en 14 mois
La différence entre le record d’aujourd’hui (5,00 secondes) et le record du monde établi par Katibin Kiromal le 28 mai dernier (5,20 secondes) est simple à décrire : un an d’efforts et d’entraînement. L’Indonésien a amélioré son chrono d’un quart de seconde au cours des 13 derniers mois. Bien plus que du talent, c’est aussi beaucoup d’entraînement.
Le premier record du monde de Katibin date d’il y a un an, lorsqu’il participait à sa toute première Coupe du Monde de vitesse. C’était à Salt Lake City, et il avait signé un run en 5,25 secondes. Lors de cette même compétition, son compatriote Leonardo Veddriq, avait surenchéri en établissant un chrono de 5,20 secondes.
Après son coup d’essai en mai 2021, la machine Kiromal s’était ensuite mise en route pour une impressionnante série de records. En l’espace de deux mois, l’Indonésien a battu cinq fois le record du monde, améliorant sur chaque compétition son propre temps :
- 5,17 secondes en Corée du Sud
- 5,10 secondes à Salt Lake City
- 5,09 et 5,04 secondes à Villars
- 5,00 secondes à Chamonix
Comparaison : l’escalade de vitesse vs. le 100 mètres
Le rythme auquel le record du monde s’est amélioré est presque sans précédent dans l’Histoire du sport moderne. La vitesse à laquelle progresse les grimpeurs est hallucinante. Les passionnés de vitesse grimpent sur la même voie de 15 mètres, depuis qu’elle a été créée en 2011, par Jacky Godoffe.
En 2011, le Chinois Qixin Zhong grimpait la voie en 6,26 secondes. En onze ans, ce record a été battu onze fois. Et les six derniers records ont eu lieu au cours des 13 derniers mois. Depuis 2011, le chrono du record du monde de vitesse a chuté de 20 %.
Dans le sport beaucoup plus ancien qu’est l’athlétisme, les records du monde sont rares et battus de quelques millièmes seulement. À titre de comparaison, le record du 100 mètres a été établi par Usain Bolt et n’a plus été battu depuis 13 ans et 1 mois. En 1964, le record du monde du 100 mètres était de 10,06 secondes tandis que le record actuel est de 9,58 secondes. Ce qui signifie que depuis 1964, les temps aux 100 mètres ont baissé de moins de 5 %. Nous sommes bien loin des 20% de l’escalade de vitesse.
Alors que signifie cette flagrante différence pour l’escalade de vitesse ? Si, en près de 60 ans, le 100 mètres a baissé de 5 % pour gagner une demi-seconde, combien de temps faudra-t-il pour que l’escalade de vitesse atteigne un seuil à son tour ?
Pour l’instant, Katibin fait chuter le record à un rythme de plus en plus rapide, tandis que ses adversaires font pression sur le détenteur du record mondial. Il est difficile de faire correspondre la progression de la vitesse à celle d’autres sports, car ces derniers n’ont jamais connu un tel niveau de progression. Même si nous étendons l’historique des records du monde du 100 mètres, on retrouve un temps de 10,8 secondes signé par l’Américain Luther Cary en 1891. L’écart entre ce sprint établi il y a plus de 130 ans et le record actuel n’est que de 12%. Nous sommes donc encore bien loin des 20%.
Un constat identique chez les femmes
Ces mêmes records se retrouvent dans la catégorie des femmes. De 2013 à 2022, le record du monde de vitesse a été battu 14 fois chez les femmes. Aujourd’hui, la Polonaise Aleksandra Miroslaw s’approche du record de Qixin Zhong, puisque son meilleur temps est de 6,53 secondes. Il faut noter que Miroslaw a battu le record du monde à plusieurs reprises cette année, en signant trois nouveaux chronos records depuis l’été 2021.
Depuis 2013, le rythme du record du monde féminin est passé de 7,85 secondes à 6,53 secondes, soit une baisse d’environ 16,8 %. À l’instar de la catégorie masculine, les sprinteuses du 100 mètres ne peuvent pas égaler la progression des grimpeuses sur une période similaire de neuf ans.
Cela dit, le dernier siècle du 100 mètres féminin peut refléter étroitement la progression que nous pouvons attendre en escalade de vitesse. En août 1922, Marie Mejzlíková II a couru un 100 mètres en 13,6 secondes. 66 ans plus tard, en 1988, Florence Griffith-Joyner a réalisé le record du monde actuel en 10,49 secondes. Cette augmentation de la cadence a fait chuter le record de plus de 22 %.
Bien que le sprint sur 100 mètres soit un sport ancien, la participation des femmes à cette discipline est relativement récente. Ce n’est que dans les années 1920 que les femmes ont commencé à avoir davantage accès au sport en Occident. En tant que telle, leur progression peut être comparée à celle de l’escalade de vitesse, tant dans la catégorie des hommes que dans celle des femmes.
Où est donc la limite ?
Le record du monde féminin du 100 mètres n’a pas bougé depuis le sprint de Griffith-Joyner en 1988. Elle avait alors explosé l’ancien record de 0,27 seconde. C’est le genre de progression que nous avons pu constater avec Aleksandra Miroslaw en escalade de vitesse.
Depuis le précédent record du monde d’Iuliia Kaplina en 2020, Miroslaw a réduit son temps de 0,43 seconde. Entre août 2021 et mai 2022, la Polonaise a battu son propre record de 0,2 seconde.
Ainsi, si l’on compare le 100m et l’escalade de vitesse, Miroslaw pourrait établir l’année prochaine un record que personne ne pourra dépasser. Cela dit, l’escalade de vitesse est un sport beaucoup plus technique que le sprint, et il permet des évolutions de méthodes telles que le « Tomoa Skip », un mouvement réalisé par Tomoa Narasaki au départ de la voie, qui a permis de réduire considérablement le temps d’ascension. En tant que tel, une comparaison directe n’est pas possible.
Si nous supposons une croissance de 22% avant un plateau plus dur, alors les grimpeurs les plus rapides chez les hommes sont en bonne voie pour atteindre environ 4,88 secondes avant d’avoir du mal à aller plus loin. Chez les femmes, il semblerait que le seuil se situe autour de 6,123 secondes.
Des chronos encore plus bas ? Oui c’est possible !
Mais il semblerait que les chronos puissent descendre encore plus bas que ces prévisions. Interrogé sur le sujet, Pierre Legreneur, chercheur et expert en biomécanique appliquée à l’escalade, nous le confirme. Pour lui, il existe encore de nombreux aspects à améliorer, qui permettront, à terme, de faire baisser les chronos.
D’une part, les qualités physiques des athlètes. En effet, en escalade, la préparation physique n’est arrivée que très récemment dans l’Histoire de notre sport. En augmentant et personnalisant les qualités physiques des grimpeurs de vitesse, les athlètes seront capables d’améliorer des mouvements, voire même d’en shunter, selon le professeur de l’Université Claude-Bernard de Lyon. Pour faire le parallèle avec la natation, un autre sport de vitesse, les entraîneurs et chercheurs sont maintenant capables d’inventer des mouvements en fonction des qualités d’un nageur.
Techniquement, il reste encore de nombreuses améliorations possibles, confirme Legreneur, premier champion de vitesse en France. Pour lui, il faut optimiser la trajectoire du centre de gravité. Celui-ci doit être le plus droit possible, avec la vitesse la plus constante possible. Une trajectoire linéaire, c’est la garantie du temps le plus bas. Preuve en est avec le « Tomoa Skip ». Plutôt que d’effectuer cet énorme virage au départ, le Japonais Tomoa Narasaki a créé cette méthode consistant à tracer tout droit dès les premières prises. Une technique maintenant adoptée par de nombreux grimpeurs, qui a fait ses preuves, en permettant de baisser les chronos.
En plus des qualités physiques et techniques, le matériel a aussi toute son importance dans un sport de vitesse. Selon Legreneur, il est essentiel de normaliser l’adhérence et le grain des murs de vitesse. Améliorer l’adhérence, c’est permettre un meilleur appuie, et donc une meilleure propulsion.
Enfin, le facteur politique des Jeux Olympiques est à prendre en considération. Si l’on regarde l’histoire des sports olympiques, les J.O ont fait accélérer les performances. De nos jours, une médaille olympique à un poids politique très important pour une nation. C’est pourquoi, celles-ci mettent les moyens afin d’aller décrocher des médailles, ce qui accélère la performance. Le cas le plus flagrant est celui de l’Indonésie, qui a vu ses performances croître de manière significative ces derniers temps. Lors des Jeux de Paris en 2024, la vitesse sera une discipline à part entière, avec ses propres médailles. D’après le chercheur en biomécanique, le processus va encore s’accélérer grâce à l’effet olympique.
Alors en prenant en compte tous ces facteurs, où est la limite ? D’après Pierre Legreneur, qui avait déjà prédit il y a quelques années que l’on passerait sous la barre des 5 secondes, la limite serait de 4,50 secondes.