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Opinion : Adam Ondra donne son avis sur les prises taillées

Le taillage des prises est un sujet extrêmement controversé dans le milieu de l’escalade. Dans un témoignage poignant, Fred Rouhling nous donnait son avis sur la question, lui qui a longtemps été critiqué à ce sujet.

C’est maintenant au tour d’Adam Ondra de s’exprimer sur le sujet. Il nous livre ses impressions et nous donne son avis tranché sur cette pratique.

Voici ses propos.


J’aime être mis au défi par la nature qui a sculpté les falaises de notre planète depuis des siècles. La nature est le meilleur ouvreur et je crois que même pour les ouvreurs des salles d’escalade, la nature est la source principale de leur inspiration. Mais tout comme les ouvreurs en salle, la nature ne fait pas toujours le meilleur travail possible. Ou plutôt, le meilleur travail possible du point de vue d’un grimpeur. Certaines surfaces du rocher n’ont aucune prise, d’autres en ont trop. Certaines surfaces sont trop tranchantes, d’autres sont trop friables. C’est ainsi. Mais la volonté de l’Homme de conquérir des sommets, de siéger sur des falaises à l’aspect impossible ou, plus récemment, d’ouvrir des voies de niveau extrême, est toujours susceptible de changer les règles du jeu, la façon dont le rocher a été créé par la nature.

Si vous grimpez depuis un certain temps, vous devez savoir que le fait de modifier le rocher existe. Cela existe depuis aussi longtemps que l’escalade existe. Atteindre le sommet d’une montagne ou d’une voie par tous les moyens, même si cela implique de modifier le rocher, n’est pas si rare. Je voudrais me concentrer dans cet article sur le taillage des prises en escalade.

Créer de nouvelles voies en taillant des prises, une tentation naturelle

Depuis le boom de l’escalade sportive au début des années 80, le taillage des prises est passé par de nombreuses étapes différentes. Comme les premiers sites d’escalade sportive en Europe ont été développés sur des rochers de très haute qualité, comme le Verdon ou Buoux, il n’y avait pas vraiment besoin de renforcer le rocher. Mais évidemment, de temps en temps, on trouve une ligne étonnante où il manque quelques prises, du moins pour un certain niveau d’escalade. La tentation est alors très naturelle de prendre un burin, de tailler quelques prises, et hop, la nouvelle ligne est née ! Et vous pouvez le faire d’une manière propre et subtil, qui sera très difficile à remarquer. Certaines des voies les plus célèbres du monde, comme « La Rose et le Vampire » 8b à Buoux (avec le célèbre « mouvement de la rose »), sont des lignes logiques et surtout naturelles, mais quelques prises ont tout de même été modifiées.

La deuxième étape est le développement de la grimpe en dévers, parallèlement à l’essor de l’escalade en salle. Les compétiteurs voulaient grimper en dévers. Quand on trouvait des faces déversantes avec un bon rocher solide, elles étaient souvent assez vierges, n’offrant aucune prise. Ou alors, beaucoup trop friables, et c’était alors très difficile de créer une bonne voie, sans utiliser de colle pour renforcer les prises. D’ailleurs, de nombreuses voies célèbres de l’époque des années 90, dont le meilleur exemple est le « Bronx » 8c+ à Orgon, sont entièrement artificielles. Certaines prises sont seulement renforcées, mais d’autres sont complètement taillées.

Le boom du bloc a changé l’essence de l’escalade sportive

Je crois que dans les années 90, avant le boom de l’escalade de bloc, il était communément admis que l’avenir de l’escalade sportive résidait dans la résistance : il suffisait d’empiler beaucoup de sections difficiles les unes sur les autres avec de très mauvais repos. Si vous regardez les voies les plus difficiles dans les parois verticales, il est facile de croire que vous ne pouvez pas vraiment tenir sur des prises encore plus petites, et que l’avenir de l’escalade est destiné à se passer dans les dévers pour l’éternité. La voie à suivre était celle des escalades parfaitement homogènes et super résistantes. Mais si ces escalades homogènes sont très rares à trouver sur le rocher, pourquoi ne pas tailler quelques voies ?

À l’époque, l’escalade de bloc n’était pas une activité très importante, mais une fois qu’elle a pris son essor, elle a ouvert la voie à des lignes plus dures et beaucoup plus naturelles. Pour faire des mouvements difficiles, il ne s’agissait pas seulement de tenir des prises minuscules, mais plutôt d’être plus fort physiquement, plus athlétique. Avec une nouvelle perspective sur ce qu’il était possible de faire en se préparant grâce au bloc, nous avons pu voir beaucoup plus de voies sportives dures émerger. Elles comportaient beaucoup plus de pas de blocs et auraient été considérablement plus faciles et plus homogènes si quelques prises avaient été taillées.

Le taillage des prises doit cesser

Quelle est la situation à l’heure d’aujourd’hui ? Le taillage des prises est souvent considéré comme quelque chose du passé, mais malheureusement, c’est toujours présent et ça sera certainement un problème même à l’avenir. Je n’ai rien contre les voies taillées du passé. Elles font partie de l’Histoire de l’escalade et ne devraient pas être modifiées. Malheureusement, il y a encore beaucoup de voies qui sont ouvertes chaque année en étant taillées. Il y a même des prises percées à l’ancienne, qui créent des mouvements en forme d’échelle. Je crois que c’est quelque chose qui doit cesser. Je suis assez ferme à ce sujet.

D’un autre côté, il y a beaucoup de cas où je n’ai pas d’avis tranché. Aujourd’hui, nous grimpons souvent sur des rochers « tendres » et de mauvaises qualités et il est souvent impossible de réaliser à quel point la qualité de la roche était mauvaise une fois que l’on voit une falaise bien développée après que tout ait été nettoyé. Santa Linya en est un parfait exemple. Au lieu de tailler des prises dans un mur vierge, nous utilisons de la colle car il est souvent nécessaire de faire des voies agréables et sûres dans le « choss » (terme désignant une roche très mauvaise). On peut se demander si cela vaut la peine de faire des voies dans ce type de rocher en utilisant beaucoup de colle. N’est-il pas préférable de laisser ce rocher de mauvaise qualité être du rocher de mauvaise qualité ? Avec du recul, je crois que cela en vaut généralement la peine. Peut-être même pour des raisons environnementales : vous n’avez pas besoin de traverser le monde entier pour vivre une bonne journée d’escalade.

Utiliser le moins de colle possible et des méthodes de nettoyage plus « agressives ».

J’étais auparavant un puriste total : je voulais le moins de modification possible du rocher. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie-t-il qu’il ne faut pas brosser avec une brosse douce ? Cela signifie-t-il qu’il ne faut pas poncer les arêtes super pointues des prises qui s’effriteraient de toute façon après de nombreuses années ? Quand est-il acceptable de renforcer une prise ? Quand est-ce dangereux ? Est-il acceptable de renforcer une petite prise qui semble se détacher du mur et quand on a le sentiment qu’elle se brisera dans quelques années ?

Personnellement, je suis passé de puriste à pragmatique au fil des ans. Après avoir grimpé dans de nombreuses régions et vu l’évolution de ces falaises, en ouvrant moi-même quelques voies, je me soucie davantage de laisser des voies belles et sûres et d’utiliser des méthodes de nettoyage plus « agressives ». Sans cette pratique, certains secteurs n’existeraient pas ou ne seraient tout simplement pas agréables à grimper. Prenons par exemple le cas de Margalef, l’un des sites d’escalade les plus célèbres. Toutes les prises y sont extrêmement tranchantes et sans limer les bords des trous, la plupart des voies seraient incroyablement douloureuses. En utilisant de la colle, il est très difficile de définir la frontière entre renforcer les prises (éviter que les prises existantes ne se cassent) et créer de nouvelles préhensions. Ma règle est d’utiliser le moins de colle possible. J’essaie plutôt de me débarrasser de toutes les prises fragiles et de ne renforcer quelque chose que lorsque c’est nécessaire. « Renforcer » une prise qui supporte à peine son propre poids, c’est déjà créer une prise artificielle pour moi. Néanmoins, créer de nouvelles voies représente beaucoup de travail et nous devrions féliciter tous ceux qui travaillent dur pour créer des voies qui nous divertissent tous. D’un autre côté, c’est une question d’éthique très difficile que d’établir des directives claires sur ce qui est OK et ce qui ne l’est pas lorsque vous créez une voie.

Les voies d’El Capitan doivent-elles être considérées comme des voies taillées ?

Détruire une belle ligne naturelle en ajoutant quelques prises artificielles est BIEN pire que de tailler une ligne complète dans une vieille carrière 100% vierge. En fait, ajouter quelques prises (par collage ou taillage) ne devrait pas être accepté, mais ce n’est pas si grave, car c’est réversible du point de vue de l’escalade, même s’il y aura toujours des traces. Le pire, c’est de changer les prises existantes. C’est irréversible ! Beaucoup de voies qui sont d’anciennes voies d’artif sont grimpables à cause des traces des broches – de petits trous créés par les broches ou les pitons laissés par les anciens grimpeurs d’artif. Ces voies doivent-elles être considérées comme taillées ? Nous parlons en fait de toutes les voies d’El Capitan. Est-il acceptable de tailler une prise pour créer un beau 7b homogène que beaucoup de grimpeurs peuvent apprécier au lieu d’un 8b que seuls quelques grimpeurs élites pourront grimper ? Mon opinion est absolument claire – ce devrait être la dernière option. Comme le fait qu’au lieu de tailler un début de voie, faire un « début au jumar » est une meilleure option selon moi, comme c’est le cas dans quelques voies à Flatanger. Dans « Walkyries » 8c, on jumarre sur une corde fixe, sur environ 6 mètres et ensuite on commence à grimper depuis une prise évidente. C’est l’une des lignes les plus classiques de Flatanger.

Ce sont mes opinions concernant le taillage des prises. Quelle est votre opinion ? Considérez-vous que le fait de tailler est une bonne ou une mauvaise chose ? »

Adam Ondra

Publié le : 03 septembre 2021 par Nicolas Mattuzzi

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