Louison Burtin : « le sport de haut niveau c’est comme une drogue »
L’ouverture de cette série d’interviews de grimpeurs français de haut niveau se fait avec Louison Burtin. Plus intimistes, elles vous permettront de mieux connaitre ces habitués des compétitions. Concernant Louison, le jeune homme de 19 ans revient sur les difficultés des dernières années liées à ses entrainements de sportif à haut niveau.
D’abord, posons un point crucial : Louison est aussi un prénom d’homme. Dans une salle d’escalade, l’aîné Burtin est dans son élément : ses entrainements sont rythmés par les railleries avec ses amis grimpeurs. Le multi-médaillé, toujours souriant, se confie tout de même sur le revers de la médaille qu’implique un investissement total dans un sport. Aujourd’hui, il se sent apaisé et retourne à la compétition dès ce mois de février avec une nouvelle approche.
« Je viens de Chamonix donc j’ai découvert l’escalade dans la montagne ». C’est de cette manière qu’il décrit les débuts de son histoire d’amour avec la grimpe. Très rapidement, les facilités qu’il développe lui permettent d’envisager une carrière de haut niveau. En 2020, il termine successivement 3ème, 2ème et 3ème aux coupes de France de bloc de Valence, Chamonix et Chambéry. Ce n’est que le résultat d’un investissement global en escalade qu’il opère depuis son arrivée au lycée. Il a désormais intégré le pôle France de Voiron où il s’entraine quotidiennement. Il se construit et grandit alors autour de ce sport : « Lorsque l’on est sportif de haut niveau, on a une vie de fou et c’est génial. Il y a une sorte de contrat avec la vie qui se met en place dans le sens où l’on a le droit de vivre ça en échange de se donner totalement. »
La compétition fait entièrement partie de sa vie désormais. Il est loin de rechercher la reconnaissance du public ou la gloire dans la victoire, mais il vise plutôt le sentiment d’appartenance à un groupe. Il reconnait, dans les autres parcours de vie, les investissements et éventuellement les sacrifices qui sont propres à tous ceux qui cherchent la performance.
Au début de l’année, quand j’ai repris l’entrainement, mon niveau était insuffisant. Je sentais que ce sentiment d’appartenance s’éloignait et pourtant je continuais parce que je voulais le retrouver. La compétition c’est un peu comme une drogue, comme les jeux d’argent : des mecs vont dépenser plein de sous, être malheureux, tout ça pour un petit moment de leur vie où ils vont gagner et ressentir le sentiment qu’ils recherchent.
Il est possible d’entrevoir le revers de la médaille évoqué plus haut. De manière générale, et particulièrement en escalade, le mental compte énormément dans la performance de l’athlète. Louison revient alors sur son parcours de l’an passé : « J’étais un peu dans un cercle vicieux où je me disais que j’étais nul donc je l’étais encore plus, etc. J’avais du mal à prendre du recul sur ce que je faisais et je me jugeais en permanence donc forcement je ne progressais plus. »
Louison admet un rapport parfois malsain à la compétition et la dépendance qu’elle crée. Les remises en question, le jugement de soi, la volonté de performance, la comparaison avec les autres : tout cela met en place un cercle vicieux qui le fragilise. Pour briser la spirale, il se tourne vers la préparatrice mentale du pôle. Elle lui permet de vider son sac, de parler de ses difficultés à l’entrainement et de sa vie en général. Elle l’aide également à mettre en place des pratiques concrètes pour remédier au plus vite à son mal-être.
J’étais focalisé sur la question « est-ce que je suis nul ou pas ? », je m’interrogeais sans cesse sur ce que je mettais en place et cela m’empêchait de pleinement m’investir. Du jour au lendemain c’est passé parce que, enfin, j’ai traité le problème. Je voulais retrouver du plaisir quand je grimpe et tant pis si je prenais 3 semaines de retard dans mes entrainements.
La préparatrice mentale lui permet notamment de visualiser ses entrainements. Elle lui conseille de mettre en place un emploi du temps clair. Il peut alors se projeter et accepter plus facilement les moments de repos et d’investissements physiques moins poussés qui sont la source de ses angoisses malgré leur nécessité.
Depuis que je suis à Grenoble, et que je vois les autres s’entrainer énormément, j’ai du mal à accepter les périodes de pause parce que j’ai l’impression de prendre du retard. Pourtant c’est bénéfique pour moi de m’arrêter et de me remettre dedans après ça. C’est dans ces moments qu’être en colocation avec d’autres grimpeurs m’a beaucoup aidé : Paul Jenft, par exemple, est parti une semaine sur un bateau avant une Coupe du monde et avec le recul je trouve ça fou.
Malgré les difficultés qu’impliquent les compétitions, Louison s’imagine mal y mettre un terme à l’heure actuelle. Lorsqu’il évoque la crise sanitaire et l’impossibilité à y participer, il décrit un manque et une sensation de vide. « La compétition c’est quelque chose qui fait partie de ma vie maintenant. Tous les sportifs, on se construit autour de notre sport et si l’on nous enlève ça d’un coup on se dit qu’il nous manque quelque chose d’important.».
Il explique son goût pour la compétition par la bienveillance qui règne globalement dans ce sport. Il est vrai qu’il n’est pas rare de voir les athlètes échanger avant une compétition, durant la lecture notamment. Pour lui, la compétition en escalade se résume à essayer de s’exprimer pleinement. la compétition se fait d’abord contre des blocs ou des voies avant de se faire contre un adversaire. Cela permet aux athlètes de tout de même se réjouir de la victoire d’un concurrent. Les difficultés qu’il peut rencontrer ne naissent donc pas directement de la compétition. Il parvient à gérer le stress de la pré-compétition et de la compétition mais plus difficilement la période d’entrainement et les questions qui vont avec.
Ce qui l’attire particulièrement dans la compétition, c’est la recherche du perfectionnement et c’est pour cela qu’il réussit tout de même à s’imaginer dans d’autres projets dans quelques années : « Dans la montagne il y a aussi cette exigence et cette envie d’exceller : c’est pour ça que je pense pouvoir arrêter la compétition un jour. Je vois ma vie de sportif de haut niveau à court terme. Dans quelques années je m’imagine plutôt faire de la falaise ou de la montagne ».
Je trouve qu’il y a un peu une mystification sur le fait que les sportifs, et ceux qui font de l’excellence en général, n’ont jamais de moment où il sont malheureux et où ils se posent des questions. Alors que si !
Modestement, Louison explique qu’un tel investissement a ses heures sombres. Son obsession performative lui a d’ailleurs parfois fait perdre son goût pour la grimpe. Pour se reconnecter avec ce plaisir pur de perfectionnement, il explique aimer aller grimper avec des amateurs d’un très bon niveau. Ils lui rappellent que l’escalade doit tout d’abord être un plaisir personnel.
Le haut niveau c’est égoïste mais il faut être encore plus égoïste que le haut niveau : si on ne se plait plus dans ce rythme il ne faut pas hésiter à arrêter.