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Les Neom Beach Games débutent bientôt: on a posé quelques questions à l’IFSC

- Le 07 novembre 2024 -

C’est un thème délicat que nous allons aborder aujourd’hui, et si nous n’avons  pas la prétention de détenir une quelconque vérité, il nous paraissait important de nous questionner et d’essayer d’y voir un peu plus clair sur les dessous de l’organisation des Neom Beach Games, avec en toile de fond le projet Neom qui est très controversé. 

Les Neom Beach Games, c’est un événement international rassemblant plusieurs sports, essentiellement de plein air. Lancés pour la première fois en 2022, l’escalade y a fait son apparition en 2023 (l’IFSC ayant donné son aval) avec deux disciplines, le bloc et la vitesse. Une décision qui a suscité controverses colère auprès de nombreux grimpeurs face à ce que certains appellent une « catastrophe environnementale, éthique et économique ».

Rappel du contexte: Neom, le projet de ville futuriste

Avant d’aller plus loin, il est essentiel de comprendre ce qu’est Neom et pourquoi cela a suscité autant de débats. Neom est un projet pharaonique financé par l’Arabie saoudite, plus précisément par le prince héritier Mohammed ben Salmane. L’objectif est de construire une ville entièrement alimentée par des énergies renouvelables, centrée sur l’innovation technologique et censée incarner une vision du futur. Située au nord-ouest de l’Arabie saoudite, Neom doit s’étendre sur 26 500 km² et devrait coûter plusieurs centaines de milliards de dollars.

Neom est également au centre d’une stratégie plus large visant à transformer l’image de l’Arabie saoudite sur la scène mondiale. Par exemple, le gouvernement saoudien s’efforce d’attirer des événements sportifs internationaux de haut niveau afin de renforcer sa réputation et de stimuler le tourisme, notamment à travers une série d’initiatives faisant partie de sa « Vision 2030 », un plan ambitieux de diversification économique pour ne plus dépendre uniquement du pétrole.

C’est dans ce cadre que les Neom Beach Games sont organisés.

Les controverses liées au projet Neom

Vous l’avez compris, nous venons de vous présenter la séduisante description marketing du projet Neom. Cependant, en s’attardant un peu sur ce projet, nous constatons rapidement que, selon plusieurs sources (BBC, Le Monde, New York Times, …), cette initiative pose un certains nombres de problèmes sous-jacents. On peut notamment noter les préoccupations relatives aux droits humains: dans un article datant de mai dernier, la BBC affirme que les autorités Saoudiennes auraient été autorisées à utiliser la force létale pour tous ceux qui iraient à l’encontre du projet Neom. De plus, selon plusieurs sources, plus de 6 000 personnes auraient été déplacées pour que ce projet puisse voir le jour, et plusieurs peines de mort prononcées à l’encontre ce certains opposants trop virulents.

Certains dénoncent également un scandale écologique avec la destruction d’un éco-système fragile et une très forte émission de carbone liée à la construction de ce projet futuriste: sur ce point là, si effectivement la construction d’un tel projet est loin d’être éco-friendly, c’est hélas le cas pour de nombreux projets de construction partout dans le monde, il ne faut pas l’oublier, même si, dans le domaine de la construction, on essaye progressivement d’aller vers une neutralité carbone.

Au delà de ces différentes controverses, nous pouvons également nous poser la question de la pertinence du choix géographique d’un tel projet: pourquoi en plein milieu du désert ? La réponse des responsables de ce projet est simple: Le désert offre une vaste étendue de terrain peu peuplé, permettant la construction d’une grande ville sans les contraintes d’infrastructures existantes. De plus, la proximité avec la mer rouge leur permet de se situer proche des routes maritimes internationales.

Mais alors comment se positionner face à ce projet Neom ?

Si d’un côté, l’Arabie Saoudite tente de se développer avec différents projets (touristiques, sportifs, …) pour réduire à terme sa dépendance au pétrole, et sur ce point, on ne peut que comprendre l’objectif, d’un autre côté, la partie immergée de l’iceberg est un peu moins reluisante. Nous sommes face à un pays très souvent critiqué sur les droits de l’Homme, et particulièrement les droits des femmes, trop souvent bafoués. Bien que quelques rares évolutions se mettent en place progressivement, l’Arabie Saoudite a encore un long chemin à parcourir sur ce sujet.

Dès lors, les actions visant un changement / développement en Arabie Saoudite peuvent-elles faire passer au second plan le non respect des droits de l’Homme? Bien évidemment que non.

Les questions que nous pouvons néanmoins soulever sont les suivantes: les promesses liées aux différents projets, dont le projet Neom, sont-elles de la poudre aux yeux ou le pays a-t-il l’ambition à long terme de réformer sa société dans sa globalité ? Est-ce utopiste ? Doit-on leur laisser le bénéfice du doute malgré de nombreux déboires ces dernières années ? Le projet Neom, si il voit le jour, aura-t-il une empreinte carbone neutre grâce aux nombreuses énergies renouvelables utilisées une fois construit ? Cette empreinte carbone neutre sera-t-elle durable dans le temps ? D’autres pays pourraient-ils s’en inspirer ? Autant de questions auxquelles nous n’avons pas la réponse, et qui mériteraient selon nous d’être creusées à l’avenir.

Dès lors, bien que nous nous positionnions clairement contre toute forme d’atteinte aux droits de l’Homme, doit-on pour autant systématiquement blâmer l’Arabie Saoudite pour les moindres tentatives d’avancées technologiques, sociétales, ou environnementales, aussi rares soient-elles ? Vous pourriez rétorquer que Neom n’est ni une avancée technologique, sociétale ou environnementale, et vous auriez peut-être raison de le dire. Néanmoins, la complexité du monde qui nous entoure nous oblige à prendre du recul sans foncer tête baissée vers la facilité.

En écrivant cet article, notre rédaction a également été mise face à ses contradictions … Taper sur les Neom Beach Games, oui ce serait facile, car nous ne pouvons pas soutenir un projet qui bafoue les droits humains.  Mais on pourrait également nous reprocher de relayer la dernière compétition organisée par Redbull par exemple (marque dont on connaît les dérives), ou encore de suivre et d’encenser les JO alors que nous savons pertinemment que tout n’est pas glorieux, ou même de médiatiser le circuit de coupe du monde qui a un bilan carbone catastrophique. Dès lors, où placer le curseur ?  Le plus important selon nous est d’être conscient de ces contradictions, et de tenter, à notre niveau, d’apporter une réflexion, des questionnements, et pourquoi pas quelques réponses.

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Et le monde de l’escalade dans tout ça ?

Maintenant que nous avons fait un tour rapide des tenants et aboutissants de ce projet Neom, et des Neom Beach Games qui y sont associés, revenons-en à l’escalade. Pour notre part, si nous avions déjà vaguement entendu parlé du projet de ville futuriste en Arabie Saoudite, c’est l’année dernière lors de l’intégration de l’escalade aux Neom Beach Games que nous avons découvert avec plus de précisions tous les rouages de ce projet. D’ailleurs, pas mal de grimpeurs ayant participé aux Neom Beach Games l’année dernière n’avaient ni conscience de l’envergure de ce projet, ni conscience qu’ils participaient indirectement, grâce à l’image qu’ils véhiculent, à redorer le blason de Neom.

Aujourd’hui, avec certains éléments en tête désormais, le choix de participer ou non aux Neom Beach Games sera-t-il plus simple? Pas sûr… Dès lors, dans le doute, faut-il participer aux Neom Beach Games au risque de devenir une cible facile en étant qualifié de grimpeur n’ayant ni morale ni éthique? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Nous aurons la réponse dans quelques jours lorsque la liste des participants sera enfin dévoilée.

En attendant, de notre côté, nous sommes allés à la rencontre de l’IFSC, plus précisément de Fabrizio Rossini, directeur média et communication. Voici nos questions et ses réponses…


L’année dernière, l’IFSC s’est associée à NEOM pour un master international en Arabie Saoudite. Pouvez-vous nous dire comment ce projet est né ?

L’année dernière, nous avons reçu la demande d’insérer un événement d’escalade sportive dans les NEOM Beach Games (qui incluaient déjà d’autres sports importants) de la part de notre Fédération membre saoudienne. Nous nous sommes mis d’accord sur un « Master » : nous l’avons défini comme un événement sur invitation et souhaitions l’utiliser partiellement comme plateforme de test pour de nouveaux formats. Nous avons également constaté l’intérêt d’Eurosport Discovery pour couvrir la première édition.

Suite à l’annonce du NEOM IFSC MASTERS en 2023, l’IFSC a reçu de nombreuses critiques, de grands noms de l’escalade (Adam Ondra, Alex Megos …) s’exprimant contre cette initiative. Depuis, aucune réponse officielle de l’IFSC n’a été publiée, pourquoi ?

Nous avons reçu quelques critiques, et nous avons ouvert la discussion sur le sujet au sein de l’organisation. Comme vous le savez, la voix des athlètes est toujours entendue au sein de l’IFSC. Contrairement à de nombreuses autres fédérations internationales, l’IFSC compte deux athlètes comme membres du conseil exécutif, avec droit de vote. Nous avons nos procédures et nos obligations, donc, après l’événement, nous avons eu des discussions avec la commission des athlètes et avec nos fédérations nationales, en particulier lors de la dernière assemblée générale au Chili au début de cette année. C’est ce que l’IFSC était censée faire dans cette situation. Des discussions informelles ont également eu lieu avec certains de ceux qui n’approuvaient pas l’inclusion de cet événement dans notre calendrier.

Une charte d’éthique existe au sein de l’IFSC, pouvez-vous nous en parler ?

Un document a été élaboré il y a des années, et l’évolution actuelle est le code de conduite de l’IFSC. En général, nous nous référons au code d’éthique du CIO.

Le NEOM IFSC MASTERS respecte-t-il cette charte ?

Si vous lisez le code d’éthique du CIO, il peut être difficile de soutenir l’exclusion de cet événement.

Quel intérêt a l’IFSC à répondre favorablement à ce projet NEOM ?

Nous avons une fédération très proactive en Arabie Saoudite (SCHF) : avec le NEOM IFSC Master, la SCHF peut avoir d’énormes possibilités de développement sportif. Développer le sport et les athlètes est notre objectif principal en tant que fédération internationale. Comme vous l’avez dit, nous espérons organiser des événements officiels (Coupes du Monde ?) dans le futur et voir des athlètes saoudiens exceller sur le mur.

D’ailleurs plusieurs autres sports participent aux Beach Games.

Avec l’organisation de ce master, l’IFSC accepte donc inévitablement de soutenir le projet NEOM. Comprenez-vous que cela puisse choquer ?

Nous comprenons que des perspectives différentes et des informations différentes peuvent générer des réactions différentes. L’IFSC regroupe 100 membres, avec 100 pays et territoires représentés : vous pouvez imaginer que ce qui choque certains de nos membres peut au contraire rencontrer l’adhésion d’autres, et vice-versa. Par conséquent, nous devons être attentifs et respecter tous les points de vue. Ce qui compte, c’est d’apporter nos valeurs positives à travers les événements de notre calendrier. Je pense que la même idée est partagée par la FIBA, ou World Aquatics, qui fait partie des Neom Beach Games. Notre travail est de promouvoir notre sport et ses valeurs dans le monde, l’Arabie saoudite en fait partie.

Un événement majeur peut aider à développer le sport et l’escalade en Arabie saoudite, transmettre des valeurs, faire rêver les jeunes, etc. Mais est-il nécessaire de s’associer à NEOM pour cela ? Avez-vous envisagé d’autres solutions ? Pourquoi ne pas organiser une étape de Coupe du monde en Arabie saoudite sans partenariat avec une marque ou un projet ?

Le développement se fait par différentes étapes et demande du temps. NEOM a été le premier plan concret pour lancer un projet de développement dans la région : entre autres opportunités, ils avaient une production télévisée, ils ont embauché un staff de professionnels de l’escalade bien connus pour superviser le côté gestion de la compétition, ils s’occupent des athlètes et des médias locaux présents.

Comme vous vous en doutez, nous ne pouvons pas organiser une Coupe du monde sans aucune base solide auparavant.

Avez-vous déjà refusé certains projets ailleurs dans le monde, et si oui, lesquels et pour quelle raison ?

Si une proposition arrive soutenue par l’une de nos fédérations nationales, et que nos conditions sont remplies, nous l’acceptons normalement.

On parle souvent de sportwashing lorsque des marques, des pays ou des entités utilisent le sport pour améliorer leur image. Il y en a de plus en plus ces dernières années (la Coupe du monde de football au Qatar, des noms de stades devenus des noms de marque, CocaCola sponsorisant les Jeux olympiques, etc.). Quel est votre avis à ce sujet ?

Nous n’entrons pas trop dans ce débat. Nous sommes une Fédération internationale qui régit un sport et nous croyons au sport comme outil social pour rendre les gens actifs et leur permettre de se réunir en paix. Comme je l’ai dit, nous comprenons que différentes perceptions génèrent des sentiments différents, mais le sport signifie l’inclusion. De là commencent les actions qui mènent à un changement pour un monde meilleur, auquel nous devrions tous aspirer.

Un dernier mot à ajouter ?

Nous vous suggérons de recueillir les sentiments et l’opinion de la fédération saoudienne.


Bon, on ne va pas se mentir, on ne s’attendait pas vraiment à d’autres réponses, bien que nos questions ne soient pas à charge. Nous restons dans un discours très politiquement correct où il ne faut pas faire de vague. L’IFSC se positionne ainsi uniquement en tant que fédération internationale avec l’ambition de développer et promouvoir le sport, sans prendre parti dans le monde (géo)politique. Normal me direz-vous, mais associer le nom de  Neom à l’IFSC, n’est-ce pas le début d’une prise de position ? On vous laisse y réfléchir…

Néanmoins, Fabrizio a raison sur un point: nous devrions tous aspirer à un monde meilleur. Est-ce le cas du projet Neom ? Aucune certitude là dessus. L’avenir nous éclairera sur le sujet, mais quoiqu’il arrive, le monde n’est pas parfait et ne le sera probablement jamais… ce qui n’empêche pas d’ambitionner des jours meilleurs.

Publié le : 07 novembre 2024 par Charles Loury

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